En 2009, Denis Ducarme avait déposé un texte afin de faire modifier le règlement d'ordre intérieur de la Chambre. Une initiative similaire avait été lancée au niveau du Parlement bruxellois, par Philippe Pivin (MR). Préventivement, le bureau du Parlement bruxellois avait épluché son propre règlement. En l'absence d'article sur le sujet, il avait été décidé de ne pas empêcher Mahinur Ozdemir de prêter serment et de mettre la question au frigo.
Silence en 2014
En 2014, Mahinur Ozdemir est réélue et la question ne revient plus sur le tapis. En 2019, Mahinur Ozdemir (exclue entre-temps du cdH) ne s'est pas représentée. Mais lors de la campagne, chez Ecolo, Farida Tahar apparaît comme une potentielle future élue (comme l'écrit L'Echo), malgré une 68e place. Le 26 mai, elle récolte 2993 voix et devient parlementaire.
Pourquoi les initiatives entreprises par le MR n'ont-elles jamais abouti? Aujourd'hui, Denis Ducarme ne souhaite pas faire de commentaires. Pas plus Vincent De Wolf, chef de groupe sortant MR au Parlement bruxellois. Ni même Françoise Schepmans, tête de liste lors des dernières élections. Peut-être parce qu'elle a croisé Farida Tahar, alors PS, sur les bancs du conseil communal de Molenbeek entre 2012 et 2018?
En tout cas, la question du port des signes religieux ou philosophiques dans les assemblées parlementaires belges semble faire beaucoup moins débat. De là à parler d'une normalisation? "C'est un peu tôt pour le dire. Nous le verrons au terme de sa prestation de serment et s'il y aura eu des commentaires dans un sens ou dans l'autre. Pour parler de normalisation, il faut rappeler que nous en sommes à la deuxième femme concernée, ce qui est bien peu pour parler d'une normalisation", commente Caroline Sägesser, chercheuse au CRISP, le Centre de recherches et d’informations socio-politiques. "Mahinur Ozdemir a été la première élue à porter le foulard en 2009. Cela a forcément suscité des réactions. Dix ans après, peut-être n'y aura-t-il aucune réaction? Peut-être seront-elles beaucoup moins intenses? Mais je serai très étonnée qu'il n'y en ait pas dans la mesure où on a pu constater durant la campagne que ce thème du foulard restait important pour un certain nombre de personnes avec des réactions plutôt émotionnelles."
L'absence de consensus politique
En 2014, on l'a dit, Mahinur Ozdemir est réélue. "Ceux qui avaient annoncé qu'ils allaient agir de façon à rendre impossible le port de signes convictionnels dans un parlement n'ont rien fait. Il n'y avait donc plus de motifs dans leur chef de se remobiliser en 2014", analyse Caroline Sägesser. "Il n'y a pas de consensus politique pour soutenir une telle interdiction. D'une manière générale, d'autres initiatives ont été prises pour restreindre le port de signes convictionnels. Cette matière est extrêmement délicate à la fois politiquet et juridique. Car on touche à une matière qui traite de la liberté de culte. On assiste donc à un conflit entre deux normes: la liberté de cultes d'une part et la volonté de neutralité dans l'espace public d'autre part."
"Ce qui va sans doute se produire, dans les semaines et les mois à venir, c'est que cette question va revenir sur le tapis", conclut enfin Caroline Sägesser. "Il faut tout de même rappeler que Farida Tahar a été élue grâce à son score personnel important. Ses électeurs ont voté pour elle en sachant qui elle était, quelles étaient les valeurs qu'elle défendait et qu'elle avait fait de la défense de femmes musulmanes qui portent le foulard un de ses thèmes de prédilection. C'est finalement peut-être elle et pas ses détracteurs qui va remettre cette question sur le tapis politique."
Tout ce qui est nouveau fait peur
Pour Mahinur Ozdemir, "tout est ce qui est nouveau fait peur", estime-t-elle. "J'étais pionnière en la matière si l'on veut. C'était nouveau et cela avait suscité une surmédiatisation au niveau belge et au niveau international. Cette surmédiatisation était selon moi disproportionnée. Mais je peux comprendre les craintes. Dix ans plus tard, on se rend compte qu'il y a un processus de normalisation. La preuve: en 2014, lorsque j'ai été réélue, cela a été tout à fait normal. Plus aucune polémique. En 2009, par contre, des textes ont été déposés notamment par le MR pour interdire la présence de signes convictionnels dans les assemblées. Cela m'avait étonné de la part du MR, le parti des libertés individuelles, loin de la ligne exprimée par ce parti en 2007. Le MR s'était replié dans un arc identitaire, dans une forme de choc des civilisations. Aujourd'hui, on constate que ce sont les conservateurs qui perdent du terrain. Nous vivons dans un monde globalisé. On ne peut plus défendre le modèle: une couleur, une religion, que des hommes."