Belgique

Le gérant d’un commerce flamand poignarde à mort un "intrus" : que dit le droit belge sur la légitime défense ?

Supérette de Houthalen-Helchteren où les faits ont eu lieu.

© TV Limburg

Dans la nuit de vendredi à samedi, le gérant d’une supérette flamande située dans le Limbourg a poignardé une personne qui s’était introduite dans son commerce. L’intrus est décédé sur le coup. "Il y a une enquête judiciaire qui est en cours pour déterminer les circonstances exactes, le propriétaire a été emmené au commissariat pour un interrogatoire" expliquait Alain Yzermans, bourgmestre de Houthalen-Helchteren, aux médias flamands.

Selon le parquet du Limbourg, l’enquête est toujours en cours et la légitime défense n’a pas encore été écartée. Sur les réseaux sociaux et dans la presse, plusieurs riverains de la localité ont tenu à apporter leur soutien à l’entrepreneur, certains estimant injuste qu’il soit placé en détention.

Un fait divers qui en rappelle d’autres en Belgique, où des commerçants s’en sont pris à des voleurs. Des dossiers qui, à chaque fois, ont relancé les discussions autour de la légitime défense. Sélection non exhaustive.

Trois cas similaires : deux « légitimes défenses » et un « homicide involontaire »

Une nuit d’octobre 2018, Dominique Castronovo, pompiste à Comblain-au-Pont, dort dans un fauteuil de son bureau. Il est réveillé par des bruits et se retrouve nez à nez avec de jeunes voleurs. Les trois personnes prennent la fuite mais l’homme sort de la station et tire sur leur voiture. Une balle traverse le coffre et tue l’un des cambrioleurs, âgé de 19 ans. Trois ans plus tard, ce pompiste sera condamné à 3 ans de prison avec sursis et à verser 60.000 euros de dédommagements aux parents de la victime. Le tribunal qualifie les faits d’"homicide involontaire" et estime qu’il n’y avait pas d’intention de tuer au départ.

Plus loin, à Tilff, toujours en province de Liège, Jean-Claude Bens, bijoutier alors âgé de 67 ans, est attaqué en rue près de son domicile par deux jeunes en novembre 2011. Déjà victime de plusieurs agressions, le bijoutier porte une arme, mais pour laquelle il n’a aucun permis. Au moment de l’assaut, il attrape son fusil et dégaine. L’un des deux assaillants meurt sur le coup, l’autre prend la fuite, blessé à la main. Ici le tribunal correctionnel de Liège estime qu’il y a bien eu légitime défense. Le bijoutier est tout de même condamné à 4 mois de prison pour port illégal, détention d’arme et détention de munitions.

Enfin en décembre 2010, dans une bijouterie de Tubize, deux braqueurs tentent un hold-up en plein jour. Armés d’un fusil factice et encagoulés, les deux jeunes hommes entrent dans la bijouterie et malmènent la femme et la fille du gérant, Paul Olivet. Celui-ci arrive et fait feu avec son fusil de chasse. Le jeune homme de 15 ans est tué sur le coup, son complice lui est mis en joue jusqu’à l’arrivée de la police. Dans cette affaire, la chambre du conseil de Nivelles a estimé que le bijoutier avait agi en état de "légitime défense".

Bien souvent dans ces affaires, les habitants des localités concernées font entendre leur mécontentement de voir un "honnête citoyen" enfermé, même brièvement.

Que dit le droit belge ?

Dans le code pénal, la légitime défense est définie comme "l’emploi immédiat et nécessaire de la force pour repousser une agression injuste, qui se commet ou va se commettre". C’est en fait l’une des rares exceptions du code pénal où des coups, blessures voire un homicide deviennent des actes licites.

Mais attention, comme le précisent les polices locales en ligne : si elle est parfois perçue comme un "permis de tuer", la "légitime défense est strictement encadrée". Pour établir cet état de "légitime défense", plusieurs conditions doivent être vérifiables : qu’il y ait bien un cas d’agression sur une personne, que celle-ci soit actuelle ou imminente, injuste, grave et dirigée contre des personnes.

Il faut que cette personne puisse raisonnablement considérer que sa vie est en danger

Selon plusieurs juristes interrogés, c’est "la personne qui pose l’acte" qui est au centre du questionnement du juge, il faut que celle-ci puisse "raisonnablement considérer que sa vie est en danger". Pour prouver cette menace, il faut des "raisons", des éléments objectifs qui montrent qu’il y avait bien un risque pour l’intégrité physique de la personne. Dans le cas du vol à la pompe à essence de Comblain-au-Pont, les voleurs ayant pris la fuite, ils ne représentaient plus un risque pour le pompiste, ce qui explique que les faits aient été qualifiés d’"homicide involontaire". A l’inverse pour les deux attaques sur des bijoutiers, il y a une menace évidente. Même si l’arme à Tubize était factice, la violence physique des deux braqueurs sur les employées pouvait laisser penser qu’il y avait un risque de menace pour l’intégrité de ces dernières.

Dans le cas de la supérette limbourgeoise, il faudra, selon plusieurs sources judiciaires prouver qu’il y avait bien "un risque pour la personne" du commerçant, et pas seulement sur ses avoirs, ses marchandises, auquel cas, "le juge pourrait demander pourquoi il n’a pas appelé la police". Et si le risque est prouvé, il faudra également démontrer qu’il y a eu une forme de proportionnalité dans la riposte du commerçant à son agresseur. "Est-ce qu’il était armé ? Qu’est-ce qui justifie le coup de couteau fatal ?" questionne l’un des juristes contactés.

Autant d’interrogations auxquelles l’enquête judiciaire devrait apporter des réponses dans les prochaines heures. Le commerçant comparaîtra lui devant la chambre du conseil, à Hasselt, mardi. Dans tous les cas, son avocat l’a déjà annoncé : il demandera au tribunal la libération de son client.


 

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