Quand il parle de l'amour, André Comte-Sponville cite d'abord Aristote :
Aimer, c'est se réjouir.
"Merveilleuse formule, qui sera complétée par Spinoza quelque vingt siècles plus tard. Il écrit que l'amour est une joie qu'accompagne l'idée d'une cause extérieure. Autrement dit : aimer, c'est se réjouir de. C'est ce petit de que Spinoza ajoute à la pensée d'Aristote. Jouir ou se réjouir, parce qu'on peut aussi aimer un mets, un vin.
Aimer, c'est jouir ou se réjouir de quelque chose. Ce qui veut dire qu'il n'est d'amour que de joie, et de joie que d'aimer.
Cette très belle définition est démentie par notre expérience. Il y a des chagrins d'amour, des amours médiocres, des couples impossibles, haineux... On a donc besoin d'une autre définition pour comprendre qu'au fond, l'amour, qui devrait être joie dans son principe, est si souvent lié à la tristesse, au chagrin d'amour.
Cette autre définition, c'est celle de Platon, qui écrit dans Le Banquet :
L'amour est le désir et le désir est manque.
Ce qu'on n'a pas, ce qu'on n'est pas, ce dont on manque, écrit Platon, voilà les objets du désir et de l'amour.
Et là, on comprend très bien qu'il y ait des amours tristes ou malheureuses. Puisque, soit je désire ce que je n'ai pas, puisque le désir est manque. Et alors je souffre de ce manque. Soit j'ai ce que, dès lors, je ne désire plus, puisque ça ne me manque plus, puisque je l'ai. Et puisque le désir est manque, je ne le désire plus.
Donc soit je désire ce que je n'ai pas et je souffre de ce manque. Soit j'ai ce que, dès lors, je ne désire plus, et je m'ennuie.
D'où la phrase de Schopenhauer, qui va droit à l'essentiel, en bon disciple de Platon :
Toute notre vie oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l'ennui. Souffrance parce que je désire ce que je n'ai pas et je souffre de ce manque. Ennui parce que j'ai ce que, dès lors, je ne désire plus.