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Le groupe Wagner agit aussi en Europe centrale : quelle menace pour l’Union Européenne ?

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Par François Saint-Amand, d'après une interview menée par Eddy Caekelberghs

Le groupe Wagner, engagé sur le front ukrainien, aurait pris la partie orientale de Bakhmout. Cette armée privée est aussi au cœur de l’actualité, au vu de son influence qui s’étend particulièrement en Afrique. Est-elle aussi active en Europe ? Réponse dans Le fin Mot, avec Michael Eric Lambert, analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin.

Bien que privé, le groupe paramilitaire Wagner, mené par l’homme d’affaires russe Evgueni Prigojine, est engagé sous les ordres du Kremlin pour combattre l’Ukraine. Il jouit même d’une influence grandissante dans le monde.

Les membres de cette organisation opèrent aussi dans une dizaine de pays africains comme le Mali, le Mozambique, ou encore la République centrafricaine. Mais ils ne s'arrêtent pas à l'Ukraine et à l'Afrique.

Pour l’analyste de l’agence Pinkerton Michael Eric Lambert, la présence du groupe Wagner est aussi attestée en Europe centrale : "Effectivement, il est actif en Europe. En Afrique, c’est la majorité de ses activités. Mais il faut bien le rappeler, c’est un groupe paramilitaire russe qui compense les défaillances des troupes russes sur le terrain, qui est très actif en termes de propagande. On le retrouve notamment en Serbie mais également en Biélorussie, dans des zones grises dont on parle beaucoup moins souvent, comme par exemple l’Abkhazie ou la Transnistrie. De fait, le recrutement est très très large et a pour objectif naturellement d’envoyer davantage de troupes en Ukraine pour compenser, comme je l’ai dit, les défaillances du Kremlin sur le terrain".

Pourquoi le groupe Wagner recrute en Serbie

On ignore cependant le poids réel du groupe Wagner sur le terrain de ces pays européens.

En Serbie, seule certitude affirme Michael Eric Lambert, la présence d’une unité serbe "très active", emmenée par Davor Savičić, un ancien membre des Tigres d’Arkan "un groupe (paramilitaire) qui a été actif pendant la guerre de Bosnie ou encore au Kosovo, et on sait qu’ils ont recruté massivement puisqu’il y a un membre de l’équipe qui a été tué en 2017. Maintenant, la raison pour laquelle le groupe Wagner est impliqué en Serbie, vous l’aurez compris, c’est simplement parce que la Serbie est très proche de la Russie. Culturellement, les Serbes arrivent à comprendre le russe, utilisent le même alphabet, partagent la même religion. Donc il y a une proximité entre les deux. Et puisque la Russie supporte la Serbie dans sa politique au Kosovo, elle est beaucoup plus flexible en ce qui concerne les recrutements de Wagner" explique celui qui est également titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD. Une campagne de recrutement, lancée sur des médias locaux serbe, condamnée par le président serbe Aleksandar Vučić, ce dernier visant un rapprochement avec l’Union Européenne.

"Maintenant, l’une des raisons aussi pour laquelle le groupe Wagner recrute activement en Serbie, plutôt que dans des zones comme la Centrafrique ou encore le Mali, c’est lié au fait que les soldats serbes sont beaucoup moins visibles sur le terrain en Ukraine que ne le sont ce qu’on appelle les 'Russes noirs', donc les Africains qui combattent à ses côtés. De fait, c’est beaucoup plus pratique pour éviter d’avoir une mauvaise propagande vis-à-vis du groupe Wagner".

Logo du groupe Wagner et slogan en russe de l’organisation informelle pro-russe "Narodna Patrol le 20 janvier 2023 à Belgrade, en Serbie.
Logo du groupe Wagner et slogan en russe de l’organisation informelle pro-russe "Narodna Patrol le 20 janvier 2023 à Belgrade, en Serbie. © Srdjan Stevanovic/Getty Images

Wagner aussi présent dans le Caucase

Le groupe Wagner est aussi suspecté d’agir dans le Haut-Karabakh, région de l’Azerbaïdjan disputée avec l’Arménie depuis environ un siècleMais rien n’est encore sûr. Pourquoi ? Toujours par rapport à la zone nébuleuse qu’il entretient avec le pouvoir russe. "On ignore si le groupe Wagner aurait un intérêt à supporter davantage l’Arménie, donc un membre de la communauté de défense russe, ou à supporter l’Azerbaïdjan. On sait que le groupe Wagner est beaucoup plus impliqué en Transnistrie, en Abkhazie et en Ossétie du Sud, donc trois zones grises également. Pour le cas du Haut-Karabakh, c’est beaucoup plus complexe dans la mesure où la Russie joue un rôle ambigu entre les deux États. Elle n’a donc pas vraiment d’intérêt à aller, ni du côté des Azéris, ni du côté des Arméniens. On trouve davantage des combattants qui viennent de Syrie et éventuellement de Tchétchénie. Mais l’implication réelle est difficile à déterminer".

Environ 50.000 combattants de Wagner

Ce recrutement hétéroclite se traduirait en tout cas par un nombre conséquent de mercenaires Wagner en Ukraine. "On a des rapports au niveau du département d’Etat américain qui mentionne à peu près 50.000 combattants en Ukraine qui dépendraient du groupe Wagner" dévoile Michael Eric Lambert. "Bien sûr, on aurait un total de 10.000 contractuels et à peu près 40.000 personnes qui viendraient de prisons ou de zones un peu plus obscures. Naturellement, les nombres sont difficiles à évaluer. On sait qu’aujourd’hui on a eu à peu près 4000 personnes qui dépendent du groupe Wagner, qui sont mortes en Ukraine".

Le groupe Wagner maintient encore bien le secret autour de ses autres zones d’influence, comme ses relations avec la Chine. Seule certitude, si l’entreprise est enregistrée en… Argentine, elle a des locaux à Saint-Pétersbourg et à Hong Kong.

La menace d’une nouvelle guerre dans les Balkans ?

Les autres pays européens doivent-ils cependant craindre la présence de cette milice russe en Serbie ? La Russie a-t-elle pour objectif, avec ce bras droit militaire, de raviver les tensions dans les Balkans et de dévier l’attention de l’Union Européenne du conflit ukrainien ?

C’est tout à fait possible selon l’analyste renseignement pour l’agence Pinkerton : "Il y aurait un intérêt pour le groupe Wagner à pousser un petit peu plus pour qu’il y ait davantage de tensions entre le Kosovo et la Serbie. Cela peut donc être un élément qui permettrait de déstabiliser un peu l’Europe centrale".

Il nuance toutefois car non seulement, les voisins de la Serbie, les Croates, ont tendance à s’engager pour se battre aux côtés des Ukrainiens, mais en plus "l’armée serbe n’est pas en mesure de mener une guerre de haute intensité". Même constat pour les états voisins.

Par contre, le groupe Wagner peut être impliqué dans des opérations de déstabilisation en Europe centrale, par exemple en Tchéquie, il est très impliqué en Biélorussie, un intérêt probablement à entraîner les troupes russes et se manifestera davantage dans des zones un peu plus obscures telles que la Transnistrie ou encore l’Abkhazie, pour essayer de déstabiliser ce flanc un petit peu plus oriental de l’Europe.

Michael Eric Lambert ajoute : "En Europe centrale, mis à part vraiment le cas du Kosovo, il y a peu de chances que quelque chose se passe. Et là, encore une fois, ce n’est pas du tout dans l’intérêt de la Serbie". Elle tolère une présence russe du groupe Wagner pour des connexions culturelles, mais pas pour une vision diplomatique et économique, puisque le pays cherche à se rapprocher de l’UE, tout comme de la Chine.

L’arme la plus dévastatrice de la Russie : la guerre d’influence

Pour Michael Eric Lambert la menace que constitue la Russie sur les autres pays européens, à l’heure actuelle, reste la guerre d’influence. Le Kremlin vise surtout à fragiliser le front quasi commun des membres de l’UE en déstabilisant certains de ses territoires dissidents, ou par le biais des élections. On connaît l’épisode de l’ingérence russe dans les élections présidentielles américaines, admis par Evgueni Prigojine.

"L’idée c’est vraiment de créer une forme de zizanie au sein des États, des désaccords entre eux pour éviter d’avoir un bloc uni face à la Russie. Maintenant, on constate qu’il y a une multitude d’éléments sur lesquels la Russie va s’appuyer, une multitude de journalistes, une multitude de supports notamment, encore une fois au niveau des groupes d’extrême droite qui se sentent plus proches du Kremlin".

L’analyse précise qu’il s’agit de la force principale de la Russie : "D’un point de vue statistique, vous avez à peu près 450 millions d’Européens, vous avez un budget qui est beaucoup plus élevé du côté de l’Union européenne. Je ne mentionne même pas les Etats-Unis. On a en fait tous ces avantages. Quand on regarde un tout petit peu, en comparant avec la Russie, 144 millions d’habitants, un budget qui est similaire à celui de l’Espagne, l’Europe pourrait gagner facilement une guerre face à la Russie. Mais c’est cette division entre les Etats européens qui ne s’accordent pas, qui n’ont pas le même matériel militaire, qui n’ont pas la même posture diplomatique. On l’a constaté avec la réticence de l’Allemagne à envoyer par exemple les chars Leopard 1 et Leopard 2 en Ukraine". Une Europe unie aurait donc tous les avantages, d’un point de vue théorique, à gagner face à la Russie. Les prochaines élections présidentielles françaises en 2027, seraient donc aussi dans le viseur de Poutine et par conséquent, de Wagner, avec Marine Le Pen, qui a le vent en poupe. L’extrême droite, a, par définition, une politique plus isolationniste, nationale, que d’autres partis.

La Russie pense sur le long terme. Elle ne pense pas la guerre en Ukraine en termes de mois, elle le pense davantage en années, voire en dizaines d’années.

"Toutes ces élections, tous ces éléments-là sont à prendre en compte et il est évident que le Kremlin a un regard très attentif sur ce qui va se passer en France, tout comme il a un regard très attentif sur les élections dans d’autres zones un petit peu plus particulières, comme en Pologne. Ou encore une fois en Allemagne".

► Découvrez l'entièreté de cet entretien dans le podcast ci-dessus de l'émission Le fin Mot.

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