Economie

Le handicap salarial est-il un indicateur fiable ?

Le marché matinal

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Le handicap salarial est l’un des thèmes abordés dans le dernier rapport de la Banque Nationale de Belgique paru fin de la semaine dernière.

Le handicap salarial, c’est le baromètre de compétitivité de nos entreprises belges par rapport à nos voisins, la France, les Pays-Bas et l’Allemagne. Il s’agit de voir qui a le coût du travail le plus élevé, celui qui est donc le moins compétitif et qui risque de voir théoriquement une partie de son activité quitter un territoire pour un autre plus attractif.

Au niveau des chiffres, le handicap salarial a été évalué à 2% l’an dernier. Sur la période cumulée 2022-2023, il devrait s’élever à 5,7%, selon le Conseil central de l’économie. Et dans son dernier rapport, la Banque Nationale de Belgique le voyait retomber autour de 2,3% en 2025.

Autrement dit, les salaires sont donc plus hauts que dans les pays voisins, la Belgique présenterait un désavantage concurrentiel.

Une notion remise en cause par les syndicats et certains économistes

Cette notion de handicap salarial est régulièrement mise en avant par les autorités et les fédérations d’entreprises mais elle est aussi très critiquée.

À commencer par les organisations syndicales. Le président de la FGTB, Thierry Bodson, qui siège au conseil de régence de la Banque Nationale, a refusé d’approuver l’entièreté du dernier rapport de la BNB, en désaccord avec de nombreux points, dont celui sur la compétitivité. Et c’est assez compréhensible finalement, puisque ce chiffre est le point de départ des négociations entre partenaires sociaux sur les augmentations de salaire, hors indexation, dans notre pays, la fameuse norme de modération salariale, sujet hautement inflammable. Et dont le mode de calcul est également remis en cause.

Ce calcul est également pointé du doigt par des économistes. C’est le cas de Xavier Dupret, économiste à la Fondation Joseph Jacquemotte. Certes les salaires horaires sont plus élevés en Belgique que chez nos trois principaux voisins, mais il faut relativiser : "la compétitivité n’est pas basée que sur les salaires, que sur un coût. Il faut aussi faire référence à la productivité. Et de ce point de vue-là, la Belgique dispose d’un avantage de productivité tout à fait net par rapport à ces trois pays

Xavier Dupret remet également en question la notion même de désavantage concurrentiel au regard de la structure économique de la Belgique. "Nous sommes une économie de services, ce qui veut dire qu’il n’y a finalement pas de facteurs de compétition qui jouent. Lorsque je m’adresse à une entreprise qui me fournit un service qui est plutôt de proximité, je n’ai pas un concurrent néerlandais ou allemand qui peut se substituer à lui."

Xavier Dupret est rejoint dans son analyse par Philippe Defeyt, économiste et président de l’Institut du développement durable. Il pointe, lui, les subsides à l’emploi, c’est-à-dire les aides qui font baisser le coût salarial.

Ils sont plus importants proportionnellement que chez nos principaux concurrents. Et il analyse une autre donnée encourageante : "on dit qu’il y a un handicap salarial, oui, peut-être, mais on doit constater en même temps que le nombre d’heures de travail en Belgique (et finalement, ce qui compte pour la prospérité d’un pays, c’est combien d’heures de travail peut-on offrir à nos salariés) a augmenté plus vite que chez nos trois principaux concurrents, précise Philippe Defeyt."

On ne peut toutefois pas nier que les salaires augmentent plus vite chez nous que chez nos voisins. C’est évidemment dû à l’indexation automatique des salaires chaque fois que l’indice santé est dépassé. Or, l’inflation a atteint de tels niveaux que cet indice a été dépassé plusieurs fois au cours de ces derniers mois.

Mais il pourrait y avoir seulement un décalage dans le temps par rapport à la France, l’Allemagne et les Pays-Bas. "Dans d’autres pays, il n’y a pas l’indexation automatique, donc les syndicats, quand les prix augmentent, quand il y a de l’inflation, doivent déposer un cahier de revendications, doivent éventuellement menacer de faire grève et doivent, le cas échéant, faire grève pour obtenir une augmentation, argumente Philippe Defeyt. Et donc, en tout état de cause, ça prend plus de temps dans d’autres pays pour que les salaires suivent l’inflation qu’en Belgique."

Chez nous, ce côté automatique ne risque-t-il pas d’entraîner une spirale prix-salaires ? Pour Xavier Dupret, le plus dur est passé. "Dans toute la zone euro, il n’y a pas d’indexation automatique des salaires. Quelque part, les salaires ont déjà cédé devant l’augmentation des prix, et donc, pour maintenir leurs marges, les entreprises vont devoir maintenant moins agir sur leur power pricing, leur capacité à augmenter les prix de par leur position dominante, tout simplement pour préserver leur niveau de vente."

Comme on le constate, la notion de handicap salarial est sujette à interprétation, à remise en question, un peu comme les indicateurs du PIB. Le débat ne fait que commencer.

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