Journal du classique

Le monde de la musique classique craint l’interdiction du bois de pernambouc

© Getty Images

Les archetiers du monde entier sont inquiets. Le bois de pernambouc, originaire du Brésil et utilisé depuis le XVIIIème siècle pour la fabrication des archets, pourrait être interdit à la vente ainsi qu’au transport à échelle globale. Le 8 novembre, ce sont près de 200 acteurs de la vie musicale classique qui signaient une tribune concernant le sujet.

A l’aube de la dix-neuvième session de la Conférence des Parties à la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, aussi connue sous la Convention de Washington) qui se tiendra au Panama à la mi-novembre 2022, le monde de l’archeterie se retrouve à nouveau secoué par une nouvelle qui pourrait bien remettre en perspective tout le travail des archetiers mais aussi toute la pratique des musiciens à archets.

En effet, en 2007 déjà, la Conférence des Parties à la CITES qui se tient tous les trois ans depuis 1976, à La Haye aux Pays-Bas, un premier projet d’ajout du bois de pernambouc à l’Annexe II de la CITES a été signé. L’Annexe II met en lumière des espèces de faune et de flore qui pourraient être rapidement menacées si leur commerce ne devenait pas plus contrôlé. Cette annexe oblige notamment toute commande de bois de pernambouc à avoir un permis d’exportation. En adoptant de telles mesures, le Brésil espérait mettre un frein à l’exportation illégale du bois de pernambouc qui participe à l’appauvrissement de l’espèce.

Le Brésil souhaiterait maintenant pouvoir transférer son bois dans l’Annexe I de la CITES. L’Annexe I couvre des espèces menacées d’extinction dont le commerce international est généralement interdit. Si cette proposition devait être adoptée, la circulation des archets en pernambouc se verrait donc régulée et nécessiterait des autorisations ou permis spéciaux.

Les archetiers et musiciens s’unissent

Dans un communiqué regroupant sept syndicats professionnels liés au monde de la musique, on tire la sonnette d’alarme. Basculer le pernambouc de l’Annexe II à l’Annexe I de la CITES reviendrait très certainement à une extinction de l’archèterie telle que nous la connaissons. Toutes les parties du bois, tous les archets et tous les produits finis exceptés l’instrument et ses parties seraient interdits à la circulation sans avoir un passeport musical conforme à une résolution (Rés. 16.8) adoptée précédemment par la CITES. Ce sont des formalités administratives gigantesques qui se profilent pour des orchestres symphoniques, par exemple.

N’entravons pas la diffusion de la culture en général et de la musique en particulier sous de faux prétextes. Ne faisons pas du monde musical un bouc émissaire de la déforestation en interdisant le commerce du bois de Pernambouc.

Dans une tribune publiée le 8 novembre sur Le Monde, près de 200 personnalités du monde de la musique classique dont le violoncelliste Yo-Yo Ma et d’autres musiciens d’envergure internationale s’expriment sur l'éventualité d’une interdiction du bois de pernambouc qui sera discutée lors de la CITES du 14 au 25 novembre. Ils s’étonnent d’une telle décision qui ne règlerait pas le problème — l’archeterie étant déjà conscientisée quant à la rareté du bois de pernambouc — et appellent le monde politique à trouver une solution qui ne fragiliserait pas plus encore le monde de la musique.

Les particularités du bois de pernambouc

Le bois de pernambouc, appelé également pau-brasil est une espèce endémique du Brésil que l’on retrouve principalement dans la forêt atlantique, qui longe le littoral brésilien jusqu’à l’extrême-nord argentin et paraguayen.

Arbre national du pays qui lui doit aussi son nom, le pernambouc ou bois-brésil est utilisé dès le XVIème siècle dans l’industrie textile grâce à une couleur rouge profonde qui peut être extraite du bois.

C’est au XVIIIème siècle que le pernambouc va devenir l’essence de prédilection à la confection des archets, sous la main de l’archetier français François Xavier Tourte (1747-1835). C’est sa densité élevée, mais aussi sa résistance ainsi que sa souplesse qui ont fait de ce bois un allié de choix dans l’évolution de l’archeterie.

Quelles solutions ?

Les causes de la raréfaction du pernambouc sont multiples. Outre l’archeterie qui participerait à ce problème, la déforestation de masse pour faire pousser d’autres types de plantes qui ont un meilleur rendement, la vente illégale ou encore l’urbanisation des régions sont pointées du doigt.

Depuis plus de vingt années, des professionnels de l’archeterie du monde entier se sont unis afin de mettre en place avec des ONG brésiliennes un programme de conservation du pernambouc. Près de 340 000 pernamboucs, arbre à la croissance lente pouvant atteindre une quinzaine de mètres, ont déjà été plantés.

Enfin, l’archeterie artisanale telle que nous la connaissons depuis le XVIIIème siècle serait vouée à disparaître. Des recherches dans la fabrication d’archets avec d’autres essences de bois ont déjà été faites et sont toujours en cours, mais le pernambouc est le bois de prédilection des plus grands archetiers. C’est lui qui aide les violonistes, les violoncellistes, altistes et autres interprètes à obtenir leur son chaud et unique. Si les archets en fibre de carbone sont de plus en plus communs, ils ne présentent pas les mêmes caractéristiques que des archets en bois. Ils ne connaissent pas de dilatation ou contraction et ne bougent pas comme le bois, matière vivante. Mais ces derniers pourraient être amenés à remplacer les archets en pernambouc dans le futur.

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