Climat

Le Nil, de l'Egypte à l'Ouganda, chronique d'un assèchement annoncé

Jowali Kitagenda, 40 ans, jette son filet pour attraper des poissons sur le Nil à Jinja, dans le sud de l'Ouganda le 7 octobre 2022.

© BADRU KATUMBA

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Par RTBF avec AFP

Pour les Pharaons, il était la vie. Aujourd'hui, le Nil assure la survie de millions d'Africains. Mais avec le changement climatique, conjugué à son exploitation par l'homme, le compte à rebours a commencé pour le deuxième fleuve le plus long du monde.

Des sources au delta, "la transformation est en cours"

L'image du fleuve long de plus de 6.500 km, célébré comme un dieu aux temps pharaoniques avec ses felouques, ses papyrus et ses mythes, n'a déjà plus rien d'idyllique.

La transformation est en cours. En 50 ans, son débit est passé de 3.000 m³ par seconde à 2.830 m³, soit près de 100 fois moins que l'Amazone. Avec la baisse des précipitations et la multiplication des sécheresses annoncées en Afrique de l'Est, il pourrait diminuer de 70%, selon les pires prévisions de l'ONU.

Dans le delta, la Méditerranée a grignoté chaque année entre 35 et 75 mètres de terre depuis les années 60. Si elle monte d'un mètre seulement, elle engloutira 34% de cette région du nord de l'Egypte et neuf millions de personnes devront se déplacer.

C'est le troisième endroit du globe le plus vulnérable au changement climatique.

Le lac Victoria, plus gros pourvoyeur d'eau du Nil hors précipitations, est menacé par le manque de pluie, l'évaporation et les lents changements d'inclinaison de l'axe de la Terre. Il pourrait disparaître un jour.

Ces prévisions aiguisent les appétits et les tentatives de capturer le débit du fleuve et les barrages construits au fil des années n'ont fait qu'accélérer une catastrophe annoncée.

De l'Egypte à l'Ouganda, le bassin du Nil couvre 10% de la superficie de l'Afrique et constitue une ressource essentielle pour quelque 500 millions de personnes.

Le fleuve est englouti par la mer

Vu du ciel, les promontoires de Damiette et de Rosette dans la Méditerranée ont disparu. Au sol, les vagues s'abattent violemment sur des terres agricoles qui inexorablement, s'affaissent. Les barrières de béton censées les protéger sont à moitié recouvertes de sable et d'eau. Dans le delta du Nil, la terre a été engloutie sur 3 km entre 1968 et 2009.

Le débit affaibli du fleuve ne peut plus repousser la Méditerranée, dont le niveau s'élève avec le réchauffement climatique (environ 15 cm au 20e siècle).

Et le limon, qui au fil des millénaires consolidait le terrain et faisait barrage naturel, n'arrive plus jusqu'à la mer. Ces sédiments de terre et de débris organiques, normalement entraînés par les eaux et déposés sur le lit des fleuves, restent bloqués dans le sud de l'Egypte depuis la construction du barrage d'Assouan pour réguler les crues, dans les années 60.

Avant, "il y avait un équilibre naturel", explique le chef de l'Autorité de protection des côtes Ahmed Abdelqader. "A chaque crue, le Nil déposait du limon qui renflouait notamment les promontoires de Damiette et de Rosette. Mais cet équilibre a été perturbé par le barrage."

Les terres agricoles disparaissent

Ali Tabo, 50 ans, un pêcheur devenu agriculteur qui a abandonné la pêche pour la culture et l'élevage d'animaux, sur les rives du Nil à Namiyagi, dans le sud de l'Ouganda le 7 octobre 2022.
Ali Tabo, 50 ans, un pêcheur devenu agriculteur qui a abandonné la pêche pour la culture et l'élevage d'animaux, sur les rives du Nil à Namiyagi, dans le sud de l'Ouganda le 7 octobre 2022. © BADRU KATUMBA

Si les températures augmentent encore, la Méditerranée avancera chaque année de 100 mètres dans le delta, selon l'agence de l'ONU pour l'Environnement (Pnue). Le sel de la Méditerranée y a déjà pollué de nombreux hectares, affaiblissant les plants ou les tuant.

Les agriculteurs le disent : les légumes n'ont plus la même qualité. Pour compenser les effets de la salinisation des sols, il faut plus d'eau douce dans les champs et davantage pomper dans le Nil.

A terme, la Méditerranée pourrait avaler 100.000 hectares de terres agricoles dans le delta, situé à moins de dix mètres au-dessus du niveau de la mer, soit quasiment l'équivalent de la superficie de l'île de la Réunion, selon le Pnue. Une catastrophe pour le nord de l'Egypte, d'où provient 30 à 40% de la production agricole nationale.

La baisse du débit compromet l'alimentation électrique

En Egypte, 97% des 104 millions d'habitants vivent le long du fleuve sur moins de 8% du territoire. La moitié des 45 millions de Soudanais vivent sur 15% du territoire le long du Nil qui assure 67% des ressources en eau du pays. En 2050, la population de ces deux pays aura doublé. Ils auront aussi tous deux gagné deux à trois degrés et le Nil, lui, aura encore changé.

Les projections du groupe des experts climat de l'ONU (Giec) anticipent qu'avec le réchauffement, l'évaporation réduira son débit de 70% et la quantité d'eau disponible par habitant de 75% en 2100. Les inondations et autres pluies diluviennes qui devraient s'abattre dans les décennies à venir sur l'Afrique de l'Est ne compenseront que 15 à 25% de ces pertes, assurent ces experts.

Or, dans les 10 pays qu'il traverse, le Nil assure cultures et énergie à des populations à l'entière merci des pluies et surtout de son débit. Le Soudan, par exemple, tire plus de la moitié de son électricité de l'énergie hydroélectrique. En Ouganda, ce chiffre grimpe jusqu'à 80%.

Mais cette électricité pourrait ne pas durer éternellement, s'inquiète Revocatus Twinomuhangi, coordinateur du Centre de l'Université Makerere sur le changement climatique.

"Si les pluies se raréfient, le niveau du lac Victoria et donc du Nil va baisser. Cela réduira la production hydroélectrique", prévient-il.

Selon une étude réalisée en 2020 par six chercheurs d'universités américaines et britanniques se basant sur des données historiques et géologiques des 100.000 dernières années, le lac Victoria pourrait avoir disparu d'ici 500 ans.

Le Soudan au bord du gouffre

Englué dans le marasme politique et économique, secoué par des coups d'Etat depuis des décennies ou des manifestations hostiles au pouvoir militaire, le Soudan peine à gérer ses ressources hydriques.

Chaque année, des pluies diluviennes s'y abattent, faisant encore cet été près de 150 morts et emportant des villages entiers, sans pour autant aider aux cultures, faute d'un système d'agriculture et de stockage ou de recyclage des eaux pluviales.

Aujourd'hui, la faim menace un tiers des habitants.

Le pays a pourtant longtemps été un acteur majeur des marchés mondiaux du coton, de l'arachide ou de la gomme arabique. Grâce aux petits canaux d'irrigation creusés à l'époque coloniale, un faible débit suffisait pour que l'eau s'engouffre et vienne nourrir ses terres fertiles. Le système, qui devait être développé avec le Grand plan d'irrigation d'al-Jazira, a fait long feu depuis longtemps.

Les champs cultivés sous la houlette de l'Etat dirigiste et clientéliste du dictateur Omar el-Béchir renversé en 2019 ne sont plus que jachère. A la place, les familles cultivent concombres ou poivrons sur de petites parcelles.

Comme le Soudan, les pays riverains du Nil (Burundi, République démocratique du Congo, Egypte, Ethiopie, Kenya, Ouganda, Rwanda, Soudan du Sud et Tanzanie) sont tous en queue de peloton au classement ND-GAIN de la vulnérabilité au changement climatique.

Pour Callist Tindimugaya, du ministère ougandais de l'Eau et de l'Environnement, "l'impact du réchauffement va être énorme"."Si nous avons des pluies rares mais drues, nous subirons des inondations. Si nous avons de longues périodes sans pluie, alors nous aurons moins de  ressources en eau." Or, martèle le responsable, "on ne peut pas survivre sans eau".

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