Le nouveau Refuge de Devendra Banhart

À un moment dans l'histoire, Devendra Banhart était l'incarnation parfaite du beatnik. Extension improbable du Summer of Love, le musicien arpentait les scènes d'ici et d'ailleurs tel un troubadour tombé du ciel. Torse nu pour faire corps avec des mélodies acoustiques qui se promenaient, elles aussi, dans leur plus simple appareil, le chanteur s'est taillé une réputation XXL lors de concerts joyeux et franchement débridés. Longs cheveux noirs suspendus par-dessus ses chansons du bonheur, l'Américain d'origine vénézuélienne a imposé son style : du soleil dans la voix et un max de chaleur dans son petit cœur de crooner. Mais tout ça, c'était avant. Avant de passer chez le coupe-tif, avant de tailler sa barbe au poil près et de s'afficher en couverture des plus grands magazines de mode. Un changement d'apparence qui aura également des conséquences dans le studio d'enregistrement. Où le mec le plus stylé de l'indé sert des tubes soignés et toujours bien amenés dans des albums sophistiqués, tous produits par Noah Georgeson, confrère et compère de toujours.

Depuis 2005, donc, Noah Georgeson produit les albums de Devendra Banhart, mais s'infiltre également dans les coulisses de disques sortis par Adam Green, The Strokes, Balthazar ou Cate Le Bon. Au printemps dernier, Noah et Devendra, sans doute un peu trop confinés, ont commencé à enregistrer une trame instrumentale d'ambiance : une musique conçue comme un refuge dans un monde soudainement détraqué. Entre drones synthétiques en apesanteur et orchestrations en lévitation, l'affaire sent bon l'encens et les émanations de la culture New Age. C'est que Devendra Banhart et Noah Georgeson ont grandi dans cet environnement, entre les arômes des magasins d'aliments naturels et le son des labels New Age comme Windham Hill Records. Les voilà donc, un peu à la surprise générale, embarqués sur "Refuge", un disque ambient, ultra planant et méditatif à souhait.

La méditation limite le stress, c'est une certitude. Pour celles et ceux qui en douteraient encore, l'écoute de "Refuge" s'impose. Cool de chez chillax, l'album conçu par Devendra Banhart et Noah Georgeson met d'ailleurs en scène un groupe d'amis et d'icônes du monde de la méditation et de la pleine conscience. Entourés par Mary Lattimore à la harpe, par le bassiste attitré de Rodrigo Amarante, Todd Dahlhoff, mais aussi par Jeremy Harris de Vetiver au synthétiseur et David Ralicke (Beck, Sia) aux cuivres et aux bois, Devendra et Noah délaissent les mélodies multicolores pour se concentrer sur les chakras. C'est que, depuis une dizaine d'années, Devendra Banhart étudie le bouddhisme vajrayāna. Pour finaliser l'album, il a d'ailleurs convié ses maîtres spirituels. Sharon Salzberg, pionnière de la méditation, intervient ainsi sur le titre Sky Burial, tandis que Neten Chokling Rinpoché, le maître tibétain du chanteur, récite un mantra à la fin d'Asura Cave, un morceau pimpé à l'aide d'enregistrements de cérémonies bouddhistes recueillies au Népal par Devendra Banhart.

Inspiré par les souvenirs du passé, mais aussi par les réalités d'une époque sérieusement chamboulée, "Refuge" témoigne d'une ferveur mystique sans précédent. À ranger sous l'étiquette ambient, évidemment, l'album déborde pourtant du simple cadre musical. "Nous espérons créer un sentiment de confort et de retour au moment présent", explique d'ailleurs Devendra Banhart dans un communiqué de presse. "Il est vraiment essentiel d'instaurer un espace entre nos vies et nos angoisses." Pour décompresser et s'écarter du monde avec les yeux fermés, la musique enregistrée sur "Refuge" est assurément un havre de paix. Un moment hors du temps pour Devendra Banhart et les siens.