Le patron de Moderna a-t-il vendu pour 400 millions de dollars en actions avant de disparaître de Twitter ?

Le patron de l’entreprise pharmaceutique Moderna aurait vendu jusqu’à 400 millions de dollars (selon différentes publications en ligne) en actions de sa société avant de supprimer son compte Twitter. Ces allégations sont partagées massivement sur les réseaux sociaux ces derniers jours.

Le compte Twitter du CEO de Moderna, rarement utilisé selon le média de fact checking américain Snopes, et comme le confirme cette archive Internet datant du 19 décembre 2020, n’est effectivement plus accessible en ligne. La raison pour laquelle celui-ci n’est plus visible n’est pas connue. Snopes a tenté de joindre l’entreprise Moderna à ce sujet, sans réponse à ce stade.

Certains comptes d’utilisateurs influents ont repris l’information de la vente des actions du patron de Moderna, conjuguée à la disparition en ligne de son compte Twitter, pour suggérer qu’il s’agissait d’un signe d’un aveu d’inefficacité ou de la dangerosité du vaccin anti-Covid développé par la société.

Plusieurs chiffres reviennent à travers différentes publications concernant le montant des ventes de ses actions Moderna, certains articles et publications évoquent un prix de vente de 1,8 million de dollars pour les 10.000 actions de Stéphane Bancel. Selon d’autres publications, dont un compte Twitter francophone, le montant s’élèverait à 400 millions de dollars.

Qu’en est-il réellement ?

Le Français Stéphane Bancel est le directeur général de la société de biotechnologies américaine Moderna, qui produit notamment le vaccin ARN anti-Covid "Spikevax", depuis 2011.

Comme l’explique l’économiste Étienne de Callataÿ, il est courant qu’un CEO ait la possibilité de détenir des parts de la société qu’il dirige : "Cela permet aux actionnaires d’inciter le patron à augmenter la valeur de l’action. Mais cela peut-être aussi une incitation à prendre des risques, comme cela a pu être observé lors de la crise des subprimes en 2008".

Étienne de Callataÿ rappelle également qu’il y a des règles strictes qui encadrent l’achat et la vente d’actions d’une entreprise par l’un de ses dirigeants : "Un CEO ne peut jamais acheter ou vendre des actions de son entreprise quelques semaines avant la publication des résultats annuels. En effet, s’il sait que les résultats vont être négatifs, il pourrait décider de se séparer de ses actions avant que la valeur ne baisse. Inversement, s’il sait que les bilans seront positifs, cela devrait pousser l’action à la hausse et il pourrait acheter des actions avant que celles-ci prennent de la valeur".

Des mesures sont donc prises pour encadrer ces pratiques et faire en sorte d’éviter ce qui est appelé un délit d’initié, à savoir l’utilisation d’informations sensibles et de nature confidentielle dont ne disposent pas les autres investisseurs afin de maximiser ses profits.

Parmi ces mesures, il y a notamment la possibilité de programmer la vente d’actions dans le temps. Un système mis en place dans une volonté de transparence de ces transactions réalisées par des dirigeants qui détiennent des actions. Si les récentes transactions de Stéphane Bancel s’inscrivent dans une tendance qui dure depuis plusieurs années, elles sont également planifiées.

En utilisant par exemple des outils de suivi des transactions comme Finviz ou Insiderscreener, il est possible de constater que Stéphane Bancel a vendu pour 10.000 actions d’une valeur de 158.05 dollars le 10 février, ainsi que 9000 actions d’une valeur de 154,26 dollars le 9 février 2022. Lorsque Bancel a vendu ses 19.000 actions en deux jours, cela ne représente en fait que 0,00009% de ses actions, au total.

Par ailleurs, la somme de ces deux transactions est d'environ 1,34 million pour celle du 9 février et 1,58 million de dollars pour la transaction du 10 février. Au total, ces deux transactions représentent donc 2,92 millions de dollars ou l’équivalent d’à peu près 2,57 millions d’euros en deux jours. Le montant de ces transactions ne correspond pas aux chiffres de 1,8 million ou 400 millions de dollars cités dans les différentes publications consultées.

Sur les sites de suivi des transactions boursières, d’autres opérations effectuées par des personnes haut placées de l’entreprise comme le directeur financier David Meline ou le directeur des actions techniques Juan Andres sont également visibles.

Il apparaît de fait que ces ventes d’actions n’ont rien d’une nouveauté, mais sont en réalité régulières, et ont lieu depuis plusieurs mois, voire plusieurs années.

Les transactions de la société Moderna sont régulées par la Securities and Exchange Commission (SEC), organisme de contrôle des marchés financiers américain. Les données relatives sont consultables sur la base de données "Electronic Data-Gathering, Analysis, and Retrieval" (EDGAR).

Sur la page dédiée à la société Moderna, il est possible de consulter les "Déclaration des changements dans la propriété effective des titres", qui correspondent aux transactions effectuées par un dirigeant, administrateur ou détenteur d’au moins dix pour cent des parts de la société.

Le document correspondant aux transactions des 9 et 10 février 2022, indique que celles-ci ont été programmées selon la règle 10b5-1. Cette réglementation américaine qui a pour objectif de prévenir les délits d’initiés.

Pour la vente des 10.000 actions, le document indique qu’elle a été effectuée selon un plan d’investissement "adopté le 18 décembre 2018, et modifié le 16 septembre 2019." Chaque semaine des transactions impliquant des ventes d’actions sont planifiées de manière récurrente et légale.

D’après le site Zonebourse, Stéphane Bancel possède toujours environ 22 millions d’actions soit plus de 5% des parts totales de la capitalisation boursière de Moderna.

Si le cours de l’action de Moderna en bourse a connu une très forte hausse avec l’arrivée du vaccin anti-covid, les ventes d’actions par les initiés de l’entreprise de biotechnologie sont régulières et encadrées. Elles posent cependant des questions.

Une enquête de la radio publique américaine NPR, relevait que Stéphane Bancel avait vendu pour environ 40 millions de dollars d’actions Moderna détenues par lui-même ou par des fonds d’investissement associés début 2020, suscitant des interrogations quant à de potentiels délits d’initiés. Il n’existe cependant, actuellement, aucune preuve que ces ventes s’appuient sur des informations internes confidentielles.

Les affirmations selon lesquelles le PDG de Moderna aurait soudainement liquidé ses actions avant de quitter les réseaux sociaux sont donc infondées.