Et Dieu dans tout ça?

Le pèlerinage d’Éric-Emmanuel Schmitt à Jérusalem : "Mon christianisme était intellectuel et il est devenu charnel"

Et dieu dans tout ça ?

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Par Africa Gordillo & Pascal Claude via

Alors qu’Israël a célébré les 75 ans de son indépendance la semaine passée, des Israéliens s’interrogent à l’image de cet habitant de Tel Aviv interrogé par Reuters, Uzy Zwebner : "Quel genre de pays va-t-on devenir ? Est-ce qu’on va être une démocratie, un pays moderne ou bien est-ce qu’on va devenir comme tous les pays qui nous entourent ?". Il fait partie de ces Israéliens en rupture avec le gouvernement de Benjamin Netanyahu et de sa réforme de la justice.

Ces tensions font ressurgir des divisions. Entre les Ashkénazes, les juifs venus d’Europe de l’Est, et les Séfarades qui ont émigré d’Afrique du Nord et du Proche-Orient ; entre la Jérusalem religieuse et la Tel Aviv laïque voire une division entre colons d’extrême-droite et urbains aux idées plus libérales. Les Arabes israéliens – un cinquième de la population – se tiennent eux à l’écart de ce questionnement qui ne fait pas avancer la question de la création d’un État palestinien.

Israël, terre complexe. Terre sainte aussi. Non seulement pour les juifs et les musulmans mais aussi pour les chrétiens. C’est là que s’est rendu à l’automne dernier l’écrivain Éric-Emmanuel Schmitt, à la demande du Vatican.

Éric-Emmanuel Schmitt, homme de raison et de foi, est allé "là-bas, où tout a commencé." L’écrivain en est revenu transformé jusque dans sa chair. Son dernier récit, Le défi de Jérusalem paru chez Albin Michel, relate son voyage, son expérience, sa croyance.

Éric-Emmanuel Schmitt est l’invité de Pascal Claude dans l’émission "Et dieu dans tout ça ?", ce dimanche 30 avril, après le journal de 13 heures.

Une vue prise en 1976 en Algérie, dans le Sahara central, des formations montagneuses du massif du Hoggar vers l’Assekrem. Le Hoggar qui culmine au Tahat (2918 m) est peuplé par des Touaregs.
Une vue prise en 1976 en Algérie, dans le Sahara central, des formations montagneuses du massif du Hoggar vers l’Assekrem. Le Hoggar qui culmine au Tahat (2918 m) est peuplé par des Touaregs. © AFP

"Pourquoi partir ? À quoi bon parcourir la grotte de Bethléem, les collines de Nazareth, le désert de Judée, les rives du lac Tibériade, le chemin de croix jusqu’au Calvaire ? Ma foi ne sera pas modifiée quand elle aura gagné des pieds. Se cache-t‑il en Israël, en Palestine, en Jordanie, un élément que les Livres occulteraient ? L’esprit ne se nourrit pas de pierres, de sentiers, de bâtiments. Meilleur croyant, c’est n’importe où que je peux le devenir."

L’écrivain, le dramaturge, le réalisateur est parti avec toutes ses interrogations en Terre sainte. Avec des interrogations mais aussi après une expérience mystique dans le désert de Hoggar qu’il a racontée dans un récit antérieur, La Nuit de feu. Il avait alors 28 ans.

"J’ai été totalement changé de manière alchimique, intérieurement, par cette nuit. J’entre dans le désert athée, je vis cette nuit d’extase sous les étoiles dans un moment de grand danger vital puisque je me suis perdu dans le massif du Hoggar. Et cette nuit d’extase change ma vie. […] On m’a retrouvé et le travail intérieur s’est fait parce qu’une révélation, c’est une révolution. Il a fallu tout refonder. J’ai rencontré quelque chose qui me dépassait."

"La foi est une grâce, enchaîne celui qui a reçu une formation de philosophe. C’est un don que l’on reçoit sans aucun mérite. Je crois que beaucoup plus de gens reçoivent des grâces et des dons mais ils n’en veulent pas ou ils refusent de s’en rendre compte ou ils mettent ça dans leur poche."

"Je suis la trace"

Trente-cinq ans plus tard, quelle trace reste-t-il de cette "révélation" ? "Je suis la trace", répond sans ambages Éric-Emmanuel Schmitt. L’écrivain confesse vivre sans aucune certitude mais, sourit-il, "il vaut mieux fonder sa vie sur des éblouissements que refuser les éblouissements et construire sur l’obscurité. La foi procure l’éblouissement." Et de pointer "la folie du christianisme" c’est-à-dire sa croyance fondée sur l’amour.

"Toutes les religions sont rationnelles à côté de ça, précise Éric-Emmanuel Schmitt. La base du judaïsme, c’est le respect. La base de l’islam, c’est l’obéissance. On peut défendre rationnellement la nécessité du respect dans une société ou la nécessité de l’obéissance. La base du christianisme, c’est l’amour. Alors là. Allez expliquer ça rationnellement, vous ne pouvez pas. On est en plein territoire inconnu. On est en plein risque, on est en pleine folie."

Église du Saint-Sépulcre à Jérusalem.
Église du Saint-Sépulcre à Jérusalem. © Lanzellotto Antonello – Getty Images

Philosophe de formation, Éric-Emmanuel Schmitt a travaillé des milliers d’heures sur le christianisme, en philosophe, pour se construire sa propre opinion. Il a notamment lu les quatre Évangiles, d’une traite : "L’Évangile est un texte dynamique qui s’écrit toujours. Quand on lit les quatre évangiles, comme il y a des contradictions entre les textes, […] on se rend compte qu’on n’a pas affaire à quatre faussaires mais à quatre témoins qui – comme de vrais témoins – discordent. Et donc quand vous lisez les quatre évangiles, vous êtes en train d’écrire le cinquième."

Ces textes ont profondément marqué l’écrivain, jusqu’à son voyage au Proche-Orient. "C’est ce qu’apporte un pèlerinage. Quand vous allez en Terre sainte, c’est ce que j’ai fait en septembre et que j’ai décrit dans le Défi de Jérusalem, vous arrivez dans des lieux dont souvent l’attribution est tout à fait incertaine archéologiquement et historiquement, mais vous êtes dans des lieux qui vous amènent à méditer tout à coup sur des passages des écritures et vous vous rendez compte que fleurissent encore des bourgeons sur ces textes-là parce qu’ils ont suffisamment de clarté et d’obscurité pour être dynamiques et être à l’origine d’autres textes."

"J’ai l’impression d’être dans un parc d’attractions"

Mais à Jérusalem, au cœur de la chrétienté, dans l’église du Saint-Sépulchre, c’est le choc : "Je déteste ce que je vois. Je suis entouré de gens qui ont des comportements que je ne comprends pas. Ils toussent, ils embrassent, ils mettent de l’huile. Il y a des moines qui sont des vrais capos qui organisent la circulation… J’ai l’impression d’être dans un parc d’attractions et j’ai envie de faire demi-tour."

Là, dans la partie du Saint-Sépulchre qui correspond au Golgotha c’est-à-dire où Jésus est censé avoir été crucifié, Éric-Emmanuel Schmitt ressent une présence humaine. "Je suis un peu en état de panique parce que je suis devant quelque chose que je ne comprends pas. […] Je sens la présence d’un mort… censé être mort il y a deux mille ans. Là je suis content que l’espèce de capo me donne un coup de pied pour me faire dégager et je m’effondre parce que, oui, c’était violent. Profondément violent. Je n’ai pas eu le temps de consentir. Je ne voulais pas ça. Je ne m’attendais pas à ça et je n’ai pas eu le temps de consentir."

Éric-Emmanuel Schmitt "s’effondre alors près d’un pilastre". Et, "je comprends que je viens de recevoir un cadeau extrême. […] parce que mon christianisme était intellectuel et il est devenu charnel. Tout à coup j’éprouve dans mon corps ce que mon esprit ne peut pas comprendre. Et ça c’est un cadeau."

La postface du récit Le Défi de Jérusalem est signée par le Pape François que l’écrivain a rencontré à son retour de Terre sainte.

Éric-Emmanuel Schmitt est l’invité de Pascal Claude dans l’émission
"Et dieu dans tout ça ?", ce dimanche après le journal de 13 heures.

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