Des conséquences en Belgique
"D’habitude, on passait les commandes le lundi et elles arrivaient le mercredi, explique Ryan Pearce, le gérant du Stone Manor, un supermarché spécialisé dans les produits britanniques installés dans la banlieue bruxelloise depuis 1983. Mais maintenant, avec cette pénurie de chauffeurs, on doit parfois attendre trois semaines pour être livré. Du coup, nous avons décidé de passer nos commandes auprès de grossistes installés en Irlande. On y trouve presque les mêmes produits qu’au Royaume-Uni, ce qui ne change pas grand-chose pour nous finalement ".
Cette astuce permet Ryan Pearce de contourner deux problèmes à la fois : les difficultés d’approvisionnement en provenance du Royaume-Uni et toutes les difficultés administratives engendrées par le Brexit. Mais pour de nombreux opposants au Brexit, les deux problèmes seraient liés.
Selon eux, la pénurie de chauffeurs serait en fait une conséquence indirecte du Brexit, car depuis le divorce du Royaume-Uni avec l’union européenne de nombreux Polonais, Roumains et Bulgares, qui occupaient des postes de chauffeurs outre-manche, sont rentrés dans leur pays. Une vague massive de départs qui n’a toujours pas été compensée par de la main-d’œuvre locale. Une analyse que réfute jusqu’ici le gouvernement britannique, pour qui cette pénurie de routiers s’expliquerait plutôt par la pandémie de Covid19 qui tiendrait de nombreux chauffeurs éloignés de leur camion.
Covid ou Brexit ?
"C’est aussi ce que l’on peut lire sur les réseaux sociaux, raconte ce client britannique du Stone Manor. Il y a des gens qui disent que tout ça c’est à cause du coronavirus. Mais le virus est partout et les magasins en France, en Belgique, aux Pays-Bas ne manquent pas de nourriture. Alors pourquoi ça se passe uniquement au Royaume-Uni ? Je ne vois qu’une réponse. C’est à cause du Brexit."
Cette pénurie alimente aujourd’hui l’interminable débat sur les conséquences du Brexit au Royaume-Uni. Pour les partisans du divorce, la crise ne serait due qu’à la pandémie, tandis que les plus europhiles de Britanniques sont convaincus qu’il s’agit d’un des nombreux effets négatifs du Brexit. Mais qui dit vrai dans cette affaire ?
"Si on y regarde de plus près, on doit reconnaître que c’est une combinaison de facteurs, explique Catherine Barnard, professeur de Droit du travail à l’Université de Cambridge. Le Brexit en est certainement un, même si le gouvernement prétend toujours le contraire. Il est vrai que c’est d’abord la crise du Covid qui a poussé les chauffeurs routiers à rentrer chez eux. Mais ces chauffeurs, qui pratiquaient un métier peu qualifié, ont aujourd’hui beaucoup de mal à revenir travailler au Royaume-Uni à cause de la nouvelle politique d’emploi du gouvernement qui veut favoriser la mise au travail de la main-d’œuvre locale. En résumé, on peut donc dire que cette pénurie de chauffeurs est liée au Brexit, à la politique d’immigration ainsi qu’au sous-investissement dans un secteur qui n’a jamais été considéré comme très 'glamour'. Il a juste fallu que les gens aient des difficultés à trouver du milk-shake chez Mc Donald’s ou de poulet chez Nando’s, pour qu’ils commencent à prendre conscience du problème."
Un problème qui mettra certainement plusieurs mois à être résolu car trop peu de Britanniques possèdent actuellement le permis de conduire pour poids lourd. Dinde et Christmas pudding risquent donc de se faire assez rares à Noël.