Lithium &Cie: le temps de la mine est (re)venu
Après nous, les mouches?
En rentrant du travail, ils sifflotent comme s’ils avaient passé la journée à la plage. Ils ont la bouille...
Monde
© DeAgostini/Getty Images
Un smartphone pèse en moyenne 120 grammes. Pour le fabriquer, il faut environ 70 kilogrammes de ressources naturelles, soit 600 fois son poids. Parmi ces ressources, on retrouve une soixantaine de métaux différents : 80 à 85% de métaux ferreux et non ferreux, 0,5% de métaux précieux, 0,1% de terres rares et 15 à 20% d’autres substances.
À mesure que la technologie se développe, ces métaux sont toujours plus petits et nombreux dans les téléphones. Pourtant, les extraire du sous-sol se fait avec d’indéniables conséquences environnementales, sanitaires et humaines.
Responsable de trois quarts des émissions de CO2 de l’appareil, leur extraction conduit parfois à alimenter des conflits armés aux dépens des populations locales. D’où l’expression, désormais largement répandue tant dans la sphère politique qu’universitaire ou associative, de "minerais de sang".
Avant de se retrouver dans votre téléphone, d’où proviennent ces métaux et comment sont-ils extraits ?
(Cliquez sur chaque minerai pour découvrir sa provenance. Sources : Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, Commission européenne, BFMTV et Université de Birmingham)
Il faut distinguer l’étape d’extraction de celle du raffinage de ces métaux. Comme le montre la carte ci-dessus, le lieu de la première est souvent différent de la seconde. Le raffinage, qui précède l’étape de la transformation, est généralement effectué dans les pays où se situent les usines de production.
Aujourd’hui, seule une poignée de pays extrait la plupart des métaux contenus dans un smartphone. Cela crée une situation de dépendance forte, notamment de l’Union européenne (UE), vis-à-vis de ces pays extracteurs. Les pays de l’UE importent ainsi de 75% à 100% de la plupart des métaux.
L’infographie ci-dessous illustre cette inégale répartition de leur extraction, voire le quasi-monopole de certains Etats.
59% du cobalt mondial provient de RDC. Son extraction s’opère dans des "conditions moyenâgeuses" selon l’expression de Guillaume Pitron, auteur de "La Guerre des métaux rares". Une grande partie des mines congolaises sont dites "artisanales" car généralement non déclarées. Les métaux y sont extraits à la force des mineurs dont le respect des droits est plus qu’aléatoire.
"Cent mille mineurs, particulièrement dans la région méridionale de Lualaba" travailleraient dans ces mines estime Guillaume Pitron, également journaliste et chercheur associé à l’IRIS. 57% d’entre eux seraient employés par des intermédiaires et 63% d’entre eux touchaient moins que le revenu minimum nécessaire pour vivre décemment en RDC.
Selon l’UNICEF, plus de 40.000 enfants travailleraient dans les mines du sud de la RDC, dont beaucoup dans des mines de cobalt et de coltan.
En RDC, les barrages routiers restent une source importante de revenus pour les acteurs armés étatiques et non étatiques.
Rapport "Projet Madini", 2021
Cette situation résulte notamment de l’incapacité de l’État congolais à réguler l’activité minière. Cela a pour conséquence son contrôle par différents groupes informels dont des milices armées, lit-on dans un rapport du Projet Madini : "les barrages routiers restent une source critique de taxation des ressources naturelles par les acteurs armés étatiques et non étatiques, et une source importante de revenus pour ces groupes".
Cette ingérence ne se cantonne pas qu’à l’extraction du cobalt. Elle concerne aussi celle de l’or – 1% des mines d’or du monde sont en RDC. Dans la région du Butembo à l’est du pays, "l’or produit de manière artisanale reste probablement le minerai le plus utilisé pour financer les groupes armés et les réseaux illicites dans la région", indique le rapport du Projet Madini.
À cause de la quasi-inexistence du contrôle de l’État congolais sur l’activité minière, "les cas de pollution des fleuves alentour et de détraquement des écosystèmes sont légion", indique Guillaume Pitron. Les concentrations de cobalt dans les urines de populations riveraines des mines de la ville de Lubumbashi, dans la province du Katanga, seraient jusqu’à 43 fois supérieures à un échantillon témoin, rapportent des études réalisées par des médecins congolais citées dans le Washington Post.
La pollution issue de l’extraction des métaux n’est pas propre qu’aux mines artisanales, même si l’opacité de leur fonctionnement complique l’identification des responsables. Les mines industrielles, qui sont largement représentées en Amérique latine, sont aussi responsables de nombreux maux environnementaux et sur les populations locales.
Le Chili, qui concentre à lui seul 38% des mines de lithium, doit faire face à de nombreux enjeux écologiques et sociaux causés par cette activité minière.
Très gourmande en eau, l’extraction du lithium accroît la sécheresse des sols, qui sont déjà très arides au Chili. Au-delà d’un pompage massif de l’eau, celle-ci se retrouve aussi fortement contaminée, ce qui entraîne "la disparition d’espèces endémiques fragiles", précisent les auteurs d’une étude parue en 2020.
L’extraction du lithium provoque des conflits autour de la ressource en eau entre différentes communautés dont celle des Toconao au nord du Chili.
Rapport "Les Amis de la Terre", 2013
Cette pollution de l’eau va entraîner des conflits entre les populations locales qui doivent désormais se battre pour avoir leur (faible) part. "Au Chili, dans le Salar d’Atacama, l’exploitation minière consomme, contamine et détourne les rares ressources en eau, aux dépens des communautés locales. L’extraction du lithium a provoqué des conflits autour de la ressource en eau, avec différentes communautés, dont la communauté des Toconao au nord du pays", lit-on dans un rapport de l’ONG Les Amis de la Terre.
Outre l’impact environnemental, l’activité minière va aussi déstabiliser le tissu social et économique d’une région. Parce qu’elle utilise davantage de machines, elle nécessite une main-d’œuvre qualifiée pour cela.
Celle-ci est composée majoritairement de travailleurs immigrés d’autres régions du pays. "Parce qu’ils sont mieux payés par rapport au salaire moyen local, l’arrivée massive de ces travailleurs entraîne notamment une hausse de prix de l’immobilier ou des produits de première nécessité" souligne Marie Forget, enseignante-chercheuse en Géographie à l’Université Savoie Mont Blanc.
Outre ses grandes réserves de charbon, tungstène, de graphite ou de nickel, la Chine a aujourd’hui un quasi-monopole sur les terres rares (86%). Avec leurs propriétés chimiques particulières, ces métaux sont utilisés dans de nombreux composants électroniques ou aimantés d’un téléphone. Au-delà du GSM, on les retrouve dans un nombre considérable de nouvelles technologies du numérique et de la transition écologique, telles que les éoliennes ou les batteries de véhicules électriques.
Le néodyme est l’une d’entre elles. Il provient principalement des mines de Mongolie intérieure, dans la ville de Baoutou, dite "la 'Silicon Valley' des Terres rares". Mais derrière cette belle vitrine, se cachent "des rejets d’eau acide et des déchets chargés en radioactivité ainsi qu’en métaux lourds", selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).
La ville de Baoutou n’est plus une vulgaire zone minière, les chinois lui préfèrent le titre de "Silicon Valley" des terres rares.
Guillaume Pitron, journaliste
Guillaume Pitron s’est rendu dans l’une des mines chinoises d’où le néodyme est extrait. Dans son livre "La Guerre des métaux rares", il raconte apercevoir "aux abords du Weikuang Dam, un gigantesque réservoir artificiel au creux duquel des torrents d’eau noirâtre en provenance des raffineries attenantes. Dix kilomètres carrés d’effluents toxiques dont le trop-plein déborde par intermittence dans le fleuve Jaune".
Les conséquences sanitaires et environnementales de ces rejets toxiques sont indéniables comme Guillaume Pitron a pu le documenter. Il s’est rendu dans l’un des villages voisins de la mine qui a même été surnommé "le village du cancer" en raison du nombre anormalement important de cas de cancers, d’accidents cardiovasculaires et d’hypertension.
En plus de la richesse de son sous-sol, la Chine capitalise aussi énormément de mines hors de ses frontières. Et ce quel que soit le métal considéré.
"Les opérations minières sont souvent détenues par des pays tiers. La Chine qui contrôle 15/17 mines de cobalt en République démocratique du Congo" précise ainsi Chris Heron, de l’Association Européenne des Métaux (Eurométaux).
De l’autre côté du globe, en Indonésie, premier pays extracteur de nickel, la majorité des mines est contrôlée par des entreprises chinoises telles que le géant Tsingshan Holding Group, par ailleurs associé au groupe français Eramet dans la production d’alliages de ferronickel.
Quant au lithium, la chercheuse en géographie Marie Forget indique que "si on prend les compagnies chinoises elles sont présentes dans toutes les régions où on exploite ce métal".
L’extraction des métaux des smartphones cause de nombreux dommages environnementaux, sociaux voire géopolitiques. La Chine est en passe de devenir le leader mondial de l’extraction, du raffinage mais aussi des industries de hautes technologies utilisatrices de terres rares, métaux désormais indispensables pour fabriquer les "super-aimants" des GSM.
La Commission européenne envisage de constituer des réserves stratégiques de ces métaux rares tout en relançant la production sur son territoire. S’il n’existe à ce jour aucune règle internationale contraignante pour assurer une filière minière éthique et durable, une association tente de lever le voile. Les 50 pays membres de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives s’engagent à être transparents sur "les conditions d’octroi des droits d’extraction, la manière dont les revenus parviennent au gouvernement et profitent à la population".
De plus en plus miniatures, les métaux qui composent un smartphone sont aussi de moins en moins substituables et recyclables.
"Plus on a des alliages complexes et des petites quantités de métaux, plus il est difficile de recycler ces métaux. En termes de géographie, ces métaux vont forcément être de "première main" c’est-à-dire minés, et non pas issus des filières de recyclage" note Marie Forget de l’Université Savoie Mont Blanc.
Actuellement, seule une vingtaine des métaux d’un smartphone est recyclable.
Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF
En rentrant du travail, ils sifflotent comme s’ils avaient passé la journée à la plage. Ils ont la bouille...
La voiture électrique porte la promesse d’une transition écologique propre. Pour faire fonctionner les batteries de ces...