Coupe du Monde 2022

Le témoignage éclairant du Belge Quentin Parent, ex-préparateur physique au Qatar

Quentin Parent a senti beaucoup de respect des Qataris envers son boulot.

© Photo communiquée

Dans huit jours, la Coupe du monde de foot débutera officiellement au Qatar avec, le 20 novembre à 17 heures, le match d'ouverture entre le pays organisateur et l'Équateur. Ce Mondial 2022 fait et fera encore couler beaucoup d'encre, c'est certain (preuve encore avec la sortie récente de l'ancien président de la FIFA Sepp Blatter reconnaissant avoir fait un mauvais choix). Le Qatar est critiqué de toutes parts. Pourtant, dans le chef de celles et ceux qui y vivent ou qui y ont vécu, les propos sont parfois plus nuancés. Et il est de notre devoir journalistique d’en faire également écho.

Nous avons rencontré Quentin Parent. Ce souriant Hennuyer (Frasnes-lez-Anvaing) de 36 ans, " prof de gym " de formation, a bossé pendant une saison complète, en 2017-2018, comme préparateur physique à Doha, au sein de la fameuse Aspire Academy, bien connue du côté de l’AS Eupen. Notamment formé par le regretté Guy Namurois, il a travaillé au Standard et à Anderlecht (où il a encadré chez les jeunes un certain Remco Evenepoel). Désormais papa d’une petite Ella, il a décidé en septembre dernier, en concertation avec sa compagne Lucile, de quitter le monde du foot pro et ses horaires compliqués pour retourner dans l’enseignement secondaire, à l’Institut Saint-François d’Ath.

Voici son témoignage, éclairant à plus d’un titre, sur les côtés pile et face de ce Mondial qatari auquel il n’assistera pas... " Je me suis renseigné mais vu les prix, je vais rester en Belgique ! "

Quentin Parent, ex-préparateur physique à l'Aspire Academy, au Qatar

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Quentin, quel était exactement votre boulot au Qatar ?

" Lors de la saison 2017-2018, j’ai été recruté par l’Académie Aspire qui est le Centre national du sport qatari. On y gère cinq ou six sports importants. L’objectif est de briller dans ces disciplines-là sur la scène internationale. J’ai personnellement été engagé comme préparateur physique par le département football. Mon job était de rendre les footballeurs meilleurs physiquement en leur donnant avant tout des bases d’éducation physique car la culture du sport est beaucoup moins présente là-bas qu’en Europe. "

Un peu d’humour : êtes-vous devenu millionnaire pendant votre saison passée au Qatar ?

" (Il rit) Oh oui oui oui, vraiment ! En fait, pas du tout ! Les salaires y sont plus élevés qu’en Belgique, c’est vrai. Mais le coût de la vie y est aussi plus élevé. Idem pour le prix des logements. Je ne suis donc malheureusement pas devenu millionnaire… "

Vous avez travaillé dans deux clubs belges importants, le Standard et Anderlecht. Quand on débarque à l’Aspire Academy, y a-t-il un monde de différence ?

" Le plus interpellant c’est la différence entre les infrastructures. C’est d’ailleurs le gros point positif pour la pratique du foot au Qatar. Les moyens consacrés à la formation sont énormes. On y dépense beaucoup dans la brique mais aussi dans l’humain. En Belgique, au Standard, à Anderlecht ou ailleurs, les centres de formation doivent être attentifs à chaque euro dépensé alors qu’à Doha, nous étions parfois six sur le terrain pour gérer les entraînements. Même si je reconnais évidemment l’impact positif que cela pouvait avoir sur le développement des joueurs, c’était pour moi démesuré ! "

 

En écoutant les responsables de l’Aspire Academy, on avait l’impression qu’il était plus important de montrer que l’on travaillait bien plutôt que de vraiment bien travailler !

Depuis septembre, Quentin Parent a retrouvé un rythme "plus calme" en quittant le Sporting d'Anderlecht et en rejoignant l'enseignement. L'occasion de profiter plus souvent des magnifiques paysages du Pays des Collines où il habite avec sa petite famille.
Depuis septembre, Quentin Parent a retrouvé un rythme "plus calme" en quittant le Sporting d'Anderlecht et en rejoignant l'enseignement. L'occasion de profiter plus souvent des magnifiques paysages du Pays des Collines où il habite avec sa petite famille. © Samuël Grulois / RTBF

Lors de votre recrutement, avez-vous ressenti un respect sincère par rapport à votre CV de préparateur physique ? Ou bien alors, avez-vous plutôt eu l’impression qu’on utilisait votre expertise dans l’unique but de développer le football dans le pays ?

" J’ai ressenti du respect. Dès nos premières réunions collectives, on nous répétait ceci en boucle : ‘On veut faire la meilleure académie de foot du monde, vous êtes les meilleurs préparateurs physiques du monde, et donc chaque séance que vous préparez doit être la meilleure du monde !’ Ça faisait plaisir à entendre, ça rajoutait un peu de gloriole à notre boulot, c’était gratifiant. Et c’est vrai que j’étais entouré de collègues qui étaient passés dans les plus grands clubs européens, Liverpool, l’Inter Milan, Manchester, etc. Nous avions pas mal de temps pour imaginer nos entraînements, tous ensemble, ce qui nous permettait de bien réfléchir pour proposer le meilleur travail possible. Je ne peux donc pas nier qu’il y avait du respect pour ce qu’on faisait. "

Vous avez assisté à la construction des stades qui accueilleront les matches de la Coupe du Monde. Vous ne les avez pas tous vus finis mais c’était déjà clairement impressionnant, non ?

" C’était impressionnant, je confirme. Et j’ai souvent été surpris par les endroits choisis, des endroits parfois bizarres pour monter ces enceintes dans un pays qui n’est pas très grand. Tout a été mis en place pour les déplacements vers les stades. On a construit des lignes de métro, des autoroutes. On a agrandi les villes en érigeant de tout nouveaux quartiers dans des zones vides. Avec mes collègues, nous nous posions déjà beaucoup de questions à l’époque, surtout sur l’après-Coupe du monde : que vont devenir ces endroits ? Les villes vont-elles devenir des villes fantômes ? "

Des questions qui sont d’ailleurs toujours sans réponses…

" Effectivement ! Pour les Mondiaux d’athlétisme 2019 organisés à Doha, on a créé un nouveau quartier à proximité du stade. En voyant ce chantier, on se doutait bien que tous ces bâtiments ne seraient jamais remplis. Mais au Qatar, il est capital de construire en permanence de nouvelles choses pour en mettre plein la vue aux touristes qui débarquent ! "

J’ai parfois l’impression que tout est gonflé pour taper sur le Qatar ! Je veux juste relativiser un petit peu toutes les polémiques qui ressortent aujourd’hui alors que la situation était bien pire il y a une décennie.

Malgré la chaleur accablante, l'ancien employé de Neerpede a testé le vélo et le jogging... dans le désert!
Malgré la chaleur accablante, l'ancien employé de Neerpede a testé le vélo et le jogging... dans le désert! © Photo communiquée

Si je vous comprends bien, la philosophie qatarie est de montrer encore et encore au reste du monde que le pays est " capable " ?

" Vous me comprenez bien, oui. Le pays a été bâti pour montrer aux gens que tout est faisable au Qatar, que tout est beau même dans le désert ! Par exemple, l’aéroport de Doha a été dessiné pour que les voyageurs en transit aperçoivent les gratte-ciels de la ville depuis toutes les pistes. On ressent cette volonté à tous les niveaux. En écoutant les responsables de l’Aspire Academy, on avait l’impression qu’il était plus important de montrer que l’on travaillait bien plutôt que de vraiment bien travailler ! "

Que vous inspire le brouhaha actuel autour de cette Coupe du monde ? Le Qatar a été désigné pays organisateur en 2010, une éternité…

" Je ne suis pas surpris… Il est logique que tout s’accélère à l’approche de l’évènement et que des polémiques éclatent. En revanche, ce que je comprends moins, c’est la non-réaction quasi générale lors de la désignation du Qatar. Depuis douze ans, on n’en a presque plus entendu parler. Je vais vous faire part de mon expérience là-bas, de ce que j’ai pu connaître. J’ai eu l’occasion de discuter avec pas mal d’ouvriers migrants, en provenance du Pakistan, du Népal, d’Inde, etc. Ils m’ont toujours dit que c’était leur propre choix d’être et de rester là car, même s’ils n’étaient pas bien considérés, ils gagnaient de toute façon plus d’argent que s’ils travaillaient chez eux. Ils m’expliquaient aussi que leurs conditions de vie au Qatar étaient meilleures que dans leur propre pays. La plupart envoyaient de l’argent pour aider leurs familles. Au début des années 2010, il y avait énormément d’excès. Quand j’y étais, en 2016 et 2017, ça allait un peu mieux et j’ai rencontré peu de personnes qui se plaignaient vraiment… Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! Je n’ai pas tout vu, tout entendu. Le week-end, j’allais parfois rouler à vélo hors de la ville, dans le désert, et je suis tombé sur des cités où logeaient effectivement de nombreux travailleurs... Je ne veux pas défendre bec et ongles le Qatar, loin de là, mais il n’empêche que j’ai parfois l’impression que tout est gonflé pour taper dessus ! Je veux juste relativiser un petit peu toutes les polémiques qui réapparaissent aujourd’hui alors que la situation était bien pire il y a une décennie. "

J’ai un jour assisté à la finale de la Coupe du Roi de football. C’était fin mai et pourtant j’étais en pull dans le stade car… j’avais froid à cause de l’air conditionné, une aberration ! Les petits efforts quotidiens que l’on fait en Europe sont brisés au Qatar en un coup d’accélérateur de SUV !

Pendant sa saison à l'Aspire Academy, Quentin Parent a eu l'occasion de croiser quelques vedettes comme Axel Witsel en stage avec le Tianjin Quanjian, son équipe chinoise de l'époque.
Pendant sa saison à l'Aspire Academy, Quentin Parent a eu l'occasion de croiser quelques vedettes comme Axel Witsel en stage avec le Tianjin Quanjian, son équipe chinoise de l'époque. © Photo communiquée

Et concernant l’écologie ?

" Là, c’est différent. J’ai vraiment été choqué par ce que j’ai vu. En vivant là-bas, j’ai compris le raisonnement des Qataris : le pétrole et les énergies fossiles se vendent beaucoup moins cher que chez nous. Leur premier réflexe est donc d’aller vers ce type de consommation. Produire des panneaux solaires ou des éoliennes leur coûte plus d’argent que de simplement exploiter le pétrole, ressource qu’ils ont à disposition immédiate. Et pourtant, ils ont le soleil, le vent, le désert et la mer ! Je sais que la situation évolue. Suite aux différentes polémiques à leur propos, ils ont été contraints de changer des choses pour améliorer leur image. Et comme ils aiment innover, ils travaillent sur d’autres solutions. Mais clairement, avec le contexte sur place que je viens de vous décrire, ils sont à l’opposé de toute logique écologique. L’air conditionné, par exemple, tourne tout le temps, partout, à l’intérieur mais aussi à l’extérieur. J’ai un jour assisté à la finale de la Coupe du Roi de football. C’était fin mai et pourtant j’étais en pull dans le stade car… j’avais froid à cause de l’air conditionné, une aberration ! Les petits efforts quotidiens que l’on fait en Europe sont brisés au Qatar en un coup d’accélérateur de SUV ! Je pense qu’ils ont quelques décennies de retard, notamment sur l’utilisation du plastique. Avec les grands évènements que le pays organise depuis plusieurs années, j’espère que les choses vont changer grâce à l’exposition médiatique. Ils n’ont pas vraiment le choix. Ce que je vais dire est peut-être dur mais, pour moi, le Qatar n’est pas un pays où l’humain doit habiter car il faut y lutter contre des facteurs climatiques qui ne sont pas vivables pour l’homme. "

On en oublierait presque que la Coupe du monde, c’est du sport… Vous avez côtoyé de jeunes joueurs qui font désormais partie de l’équipe nationale qatarie. Quel est leur réel niveau ? 

" En effet, j’ai entraîné certains membres actuels de l’équipe nationale. À l’époque, ils avaient entre 14 et 18 ans. Je vous préviens : ils peuvent être surprenants ! Le Qatar a initié son projet il y a déjà quelques années. Quand je m’occupais des jeunes Anderlechtois, j’ai le souvenir d’un tournoi au Maroc avec la génération 2005-2006. Aspire Academy participait également à la compétition et elle s’est retrouvée en demi-finale ! Alors qu’on doutait de leurs qualités, les joueurs qataris ont vraiment assuré face à des équipes de haut niveau venant de France, de Belgique, etc. Et puis, n’oubliez pas que les adultes ont été champions d’Asie (NDLR : en 2019, en battant le Japon en finale 1-3) ! Ils se débrouillent plutôt bien lors de leurs confrontations internationales. Je n’oserais pas parier mais le Qatar pourrait bien être compétitif lors de ce Mondial à domicile. "

La question piège : puisque vous les avez connus lors de votre passage à l’Aspire Academy et que ce n’est pas évident à mémoriser, pouvez-vous nous citer quelques noms de joueurs qataris qui participeront à la Coupe du Monde ?

(Il éclate de rire) Des prénoms peut-être mais des noms de famille c’est impossible ! Trop difficile à retenir… "

Ces dix dernières années, le Qatar a organisé de nombreux grands évènements sportifs comme les Championnats du monde de cyclisme, de handball, d’athlétisme… On a l’impression que la Coupe du monde de foot sera le sommet. Qu’est-ce que les Qataris pourront encore mettre sur pied après ça ?

" C’est vrai, ce Mondial c’est le sommet ! Toute la ville de Doha a été aménagée pour l’occasion. Chaque voie de métro, chaque autoroute, chaque centre commercial a été construit en fonction de la Coupe du monde. Comme je le disais précédemment, je me demande vraiment ce que vont devenir ces stades… Dans l’Aspire Zone, où je bossais, se trouvait l’enceinte nationale de l’époque avec ses 50 000 places. Je ne l’ai vue utilisée que deux fois en une saison : une fois lors d’une rencontre amicale contre la Chine avec à peine 15% des tribunes pleines, et une autre fois lors de la Coupe du Roi où les gradins étaient remplis. Tous les matches de championnat se déroulent dans de plus petits stades de 4 à 5000 places… et ils ne sont jamais sold-out ! Je ne sais pas ce que le Qatar pourrait organiser à l’avenir à part les Jeux Olympiques. L’idée trotte peut-être dans la tête des dirigeants. Je ne pense pas qu’ils seront un jour en mesure de les accueillir mais avec les Qataris, on ne sait jamais. " (NDLR : suite au forfait de la Chine à cause de la crise sanitaire, le Qatar organisera aussi du 16 juin au 16 juillet 2023 la Coupe d’Asie de football)

On veut faire la meilleure académie de foot du monde, vous êtes les meilleurs préparateurs physiques du monde, et donc chaque séance que vous préparez doit être la meilleure du monde !

A Doha, le Belge gérait la préparation physique des 9-12 ans et des 13-18 ans de la section football de l'Aspire Academy.
A Doha, le Belge gérait la préparation physique des 9-12 ans et des 13-18 ans de la section football de l'Aspire Academy. © Photo communiquée

Les stades sont donc rarement remplis et pourtant, vous en avez vus certains étonnamment pleins lors de compétitions qui ne le " méritaient " sans doute pas…

" Quand je vivais à Doha, j’ai assisté à la Diamond League d’athlétisme. Malgré la présence des meilleurs athlètes de la planète, il était impossible de remplir le stade de 50 000 places. Le meeting a donc été déplacé dans une plus petite structure. Et malgré cela, ce n’était pas encore plein. Des tickets avec ‘repas compris’ ont alors été offerts aux ouvriers des chantiers avoisinants pour mettre l’ambiance et pour que les tribunes soient bien garnies sur les images télévisées diffusées partout dans le monde. La méthode est également employée pour les matches de foot des équipes nationales de jeunes, surtout quand l’adversaire s’appelle l’Inde ou le Pakistan, sachant que de nombreux ouvriers viennent de ces pays-là. "

Les stades seront-ils pleins pendant la Coupe du monde ?

(Il sourit) Honnêtement, de mon humble avis, j’en doute mais les organisateurs qataris feront en sorte qu’ils le soient en invitant, si besoin, des ouvriers, des gens sur place. (NDLR : une vingtaine de supporters belges ont d’ailleurs été invités, tous frais payés, pour assister au match d’ouverture Qatar-Équateur) Vous savez, là-bas il y a pas mal de désinformation : un ami, qui vit toujours au Qatar, m’a dit que toutes les places pour tous les matches étaient vendues… "

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