Un jour dans l'histoire

Le vin français spolié par les nazis : la cuvée cachée et amère de la collaboration

Durant la Seconde Guerre mondiale, des Weinfürher, des délégués allemands du vin, sont envoyés dans les vignobles français afin de s’emparer de la production viticole, avec la complicité de nombreux professionnels du secteur. De quelle manière et avec quelles conséquences pour l’économie ? Réponses de l’historien Christophe Lucand, chargé de cours à Sciences Po Paris, chercheur associé à la chaire UNESCO "Culture et Tradition du vin".

"Le vin est un vecteur formidable pour analyser cette période de la guerre et la corruption de l’armée allemande, mais aussi de l’ensemble de la population allemande" confie l’historien Christophe Lucand, auteur du livre Le vin des nazis : comment les nazis font main basse sur le vignoble français.

A l’origine du pillage et de la collaboration

Selon Christophe Lucand, "l’Allemagne sort de longues dictatures féroces marquées par des pénuries très fortes. Quand les soldats pénètrent sur le territoire français, ils entrent dans un véritable pays de cocagne", notamment pour les produits agricoles dont le vinLa France, elle, sort d’une période de surproduction : les caves regorgent de vins qui se vendent mal ou à bas prix.

L’objectif du projet de conquête porté par les nazis était de réduire la France en un pays de paysans, pourvoyeurs de matières premières agricoles pour le Reich. "Le vin est ainsi vu comme une production d’excellence et stratégique".

Dès les premiers jours, l’occupation allemande ressemble à une tournée des palaces et grands restaurants qui sont souvent restés ouverts. Les propriétaires de ces lieux vont l’accueillir car les Allemands paient bien, vite et cherLe quartier général de cette collaboration parisienne : le Ritz ou encore le Cercle européen, un réseau de collaboration d’affaires dans une Europe allemande.

En province, la situation va allumer tous les opportunismes, comme le précise Christophe Lucand :

Dès l’été 1940, autour des vignobles gravitent une foule d’aventuriers, d’opportunistes qui vont tenter de dégager profit d’une situation exceptionnelle.

Mais il ne faut pas être escroc pour commercer. L’État français, le gouvernement de Vichy, rétablit de plein droit le commerce avec le Reich.

D’ailleurs, lors de ses recherches, l’auteur découvre des documents sur Jean de Mayol de Luppé. Ce prêtre, héros de la Grande Guerre, puis prélat auprès du pape, entre dans une collaboration à l’extrême, et entretiendra des réseaux avec les pires des nazis qui utilisent la violence politique mais aussi économique via le pillage, dont le vin français fera partie. Dans ce réseau, on trouve Pierre Laval et Otto Abetz. Ce dernier, ancien ambassadeur d’Allemagne à Paris et francophile fut l’envoyé d’Hitler et de Joachim von Ribbentrop en France occupée. Il utilise son réseau d’influence afin de séduire et d’obtenir tout ce qui compte en France.

Des nazis buvant du vin pendant l’Occupation de Paris
Des nazis buvant du vin pendant l’Occupation de Paris © Apic via Getty images

Vins ordinaires et vins fins

Le vin recherché était surtout le vin ordinaire pour approvisionner la population civile allemande, mais aussi pour soutenir l’effort de guerre. La France en produisait 80% sur le marché. Moins connu, à la fin de la guerre, ce vin servira aussi à la fabrication d’alcool de carburation.

Mais l’entourage de Hitler, tels Hermann Göring et von Ribbentrop, apprécie beaucoup les vins fins, dont le Champagne, qui alimentent leur mondanité. La demande des vins rares explose en quelques mois, aboutissant à la pénurie. Afin de discipliner le marché, les nazis envoient des Weinführer, négociants en vins, délégués par Berlin pour diriger les vignobles français : de la Champagne au Bordelais, en passant par le Cognac.

Du côté des Maisons de Champagne, un Comité interprofessionnel de Champagne est créé au printemps 1941, composé de membres des grandes Maisons de l’époque, dont certaines seront mises totalement sous tutelle du weinführer, d'autres gardent une certaine autonomie : moet et chandon Pommery, Totinger, emercier, bollinger, la veuve cliqot, monsardin

Durant l’Occupation, selon les chiffres officiels, 3 millions d’hectolitres ont été prélevés par les soldats allemands, dont un million de ce cru est consommé directement en France. Toutefois, l’essentiel est vendu via le marché noir, de gré à gré, sans document écrit.

De l’abondance pour l’Occupant à la restriction pour la population

Au centre de ce commerce florissant, des intrigants sans scrupule de tous horizons comme Lucien Douvier, ou le joueur de football autrichien du Stade de Reims Erich Bieber, mais aussi un paradis fiscal avec la Principauté de Monaco qui abrite des sociétés écrans de ces grandes Maisons à partir desquelles s’organise le commerce avec l’Allemagne. Mais d’autres pays participent à cet approvisionnement international du vin comme la Belgique.

Pour la population, le vin se fait rare et difficile à obtenir. Le gouvernement du Maréchal Pétain rationne et organise le contrôle du vin en installant une politique prohibitionniste, d’hygiène sociale et de santé publique dans le but de limiter la production et la consommation du vin.

Quid des collaborateurs à la fin de la guerre ?

Le pays étant à reconstruire, la justice ne châtiera que quelques personnes, les plus visibles. Comme le précise l’historien : "La plupart des grands collaborateurs, dans le domaine du vin ou autre, vont échapper aux véritables poursuites parce qu’ils ont les moyens de se reconvertir. Certains vont acheter des preuves, des faits établissant qu’ils ont joué pendant toute la guerre un double jeu, participant à leur façon à la collaboration et à la Résistance".

►► Ecoutez l’intégralité de l’entretien dans podcast ci-dessus.

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