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L’erreur qui crée un trou de plusieurs millions d’euros dans les caisses du CPAS de Schaerbeek

Par Karim Fadoul

"C’est catastrophique !" Un proche du dossier n’y va pas par quatre chemins pour décrire la claque que viennent de recevoir les responsables administratifs et politiques du CPAS. Un trou de "plusieurs millions d’euros", toujours selon cette source, vient d’apparaître dans les comptes du Centre public d’action sociale.

Certaines estimations parlent de 5 millions, d’autres de 6,5 millions, voire de 11,5 millions, de 13 millions et même 20 millions. "C’est effrayant", commente une autre source. Les chiffres précis ne seront connus que d’ici à la fin du mois de juillet. En attendant, c’est un véritable vent de panique qui souffle au siège du CPAS et au sein du collège communal Liste du bourgmestre-Ecolo.

C’est mi-mai que l’information tombe, lors de l’analyse du compte 2022 du CPAS : un manque à gagner important apparaît. Et il ne concernerait pas que le compte 2022, il porte aussi sur les comptes 2017, 2018, 2019, 2020 et 2021. Pour rappel, si le budget est une prévision de dépenses et de recettes pour une année à venir, le compte est le résultat de cette prévision, au terme de l’année en question.

Une erreur d’écriture comptable

Quels éléments ont conduit à créer ce manque à gagner, de plusieurs millions on le rappelle ? Selon un document rédigé par la présidente du CPAS Sophie Querton (Liste du Bourgmestre), "certaines créances ont été mal inscrites en comptabilité, cette erreur d’inscription n’a pas été rectifiée au fil des années et d’autres créances n’ont tout simplement pas été récupérées".

Concrètement, les CPAS proposent deux grands types d’aide à leurs bénéficiaires : le revenu d’intégration sociale et l’équivalent au revenu d’intégration sociale, pour les demandeurs qui n’entrent pas totalement dans les conditions mais qui sont dans une situation de besoin. Ces deux aides sont payées par les CPAS puis remboursées par l’Etat fédéral. Sans rentrer dans les détails techniques et certaines conditions, le premier est remboursé à 70% et le deuxième à 100%.

Mais en 2017, la loi change : le remboursement du Fédéral (via le Service public de programmation Intégration sociale) passe de 100 à 70% quand le revenu est attribué à certains bénéficiaires d’origine étrangère présents sur le territoire belge depuis cinq ans. Lorsqu’il confectionne son budget, le CPAS de Schaerbeek semble zapper ce changement et continue de mentionner un remboursement à 100% alors que le Fédéral ne reverse et ne reversera que 70%.

L’erreur d’encodage se répète chaque mois, chaque année, de 2017 à 2022. "Personne ne s’en rend compte", admet la présidente du CPAS Sophie Querton. Tout le monde au CPAS pense en fait que le Fédéral va finir par payer les 30% restants.

Jusqu’en mai 2023, à l’occasion donc de la confection du compte 2022 et de la découverte de la mauvaise écriture comptable. Ce qu’on nomme les "droits constatés" n’ont pas été récupérés et cela crée un trou. "Suite aux différents contacts avec les administrations régionales et fédérales, nous pouvons affirmer que les comptes 2023 et 2024 seront également affectés par des mali importants dus aux mêmes erreurs", annonce la présidente dans sa note remise aux conseillers de l’aide sociale.

Ce n’est pas tout. En parallèle, on découvre qu’une partie de certaines aides indûment versées à des bénéficiaires sociaux n’ont pas été récupérées. Mais il est aussi question de créances ouvertes dont les services ignorent l’origine. Et cela également crée un "gap" dans les comptes.

Quelles suites et quelles conséquences, désormais ? On l’a dit : le montant du manque à gagner n’a pas encore été déterminé avec précision. Il le sera dans les prochaines semaines. Ce qui est sûr, c’est que le CPAS tablait sur des subsides qui ne viendront finalement jamais en raison d’un dysfonctionnement interne.

Ne pas récupérer l’argent auprès des Schaerbeekois

Heureusement, disent d’aucuns, tous les allocataires ont reçu leurs aides sociales. Par contre, le CPAS se retrouve avec un trou dans ses caisses qu’il va falloir combler. Le CPAS dispose d’un budget d’environ 210 millions d’euros, dont 52 millions sont versés sous forme de dotation par la commune de Schaerbeek.

Un CPAS ne peut pas se retrouver en déficit, selon la loi. Pour combler le manque à gagner, le CPAS peut soit puiser dans son fonds de réserve soit demander l’aide de la commune de Schaerbeek déjà en grandes difficultés financières. L’erreur sera-t-elle donc à charge du contribuable schaerbeekois ?

Pour Mathieu Degrez, conseiller communal PS (opposition), "hors de question de diminuer les politiques sociales et les aides octroyées aux bénéficiaires du CPAS. Ce sera inacceptable pour nous. Mais il est clair que s’il s’avère que ce couac déséquilibre complètement nos finances communales, le collège devra nous expliquer comment on va revenir à l’équilibre, comme l’impose la Région bruxelloise. Schaerbeek a déjà augmenté plusieurs taxes, elle a l’un des précomptes immobiliers les plus élevés du pays. Je ne vois pas comment Schaerbeek va pouvoir mettre en place de nouvelles taxes qui impactent encore plus les habitants."

Un problème grave de gestion

"Un problème grave de gestion supplémentaire vient aggraver la situation financière déjà délicate de la commune", réagit de son côté Cédric Mahieu, conseiller communal Les Engagés. "Encore une fois, les contribuables schaerbeekois seront les dindons de cette nouvelle farce de mauvaise gestion."

Pour le MR de Schaerbeek, il faut mener un audit interne au CPAS. "Qu’un trou d’une telle profondeur passe inaperçu, c’est en soi signe de dysfonctionnement. D’autant que ce trou ne semble pas seulement comptable. C’est un trou d’au moins 15 millions d’euros en cash", déclare Yvan de Beauffort, président du MR de Schaerbeek qui ajoute qu’au-delà des services comptables et des responsabilités, que les conseillers CPAS et que la tutelle communale n’aient rien vu non plus pose aussi question.

Georges Verzin (conseiller libéral indépendant) fait part de sa grande "inquiétude et ma grande préoccupation sur ces conséquences désastreuses pour les Schaerbeekois".

Responsabilités

Reste à déterminer, enfin, les responsabilités administratives et politiques. Comment cette erreur a-t-elle pu passer sous les radars des responsables financiers et les organes de contrôle comme la Région pendant une demi-douzaine d’années ? Au niveau politique, l’opposition réclame la transparence totale, compte tenu du fait que les erreurs ont été commises au cours de deux législatures, sous la présidence de Dominique Decoux (Ecolo) jusqu’à fin 2018 et depuis sous l’actuelle présidence de Sophie Querton.

"Avec certitude, ce qu’on peut dire, c’est qu’il s’agit d’erreurs d’écriture comptable et de lacunes de récupération qui ont amené le CPAS à cette situation assez dramatique et désolante", réagit Sophie Querton auprès de la RTBF. "Je précise tout de même que la Région bruxelloise, qui a un pouvoir de tutelle, est à nos côtés pour travailler sur la question, la commune également. Mais je tiens à rassurer : les citoyens bénéficiaires ne seront pas impactés. Les revenus d’intégration seront versés en heure et à temps et l’ont toujours été depuis 2017, même si nous avons pu connaître quelques problèmes par le passé."

Les montants aujourd’hui irrécupérables s’évaluent à ce stade à cinq millions d’euros pour les années 2017, 2018 et 2019. La suite de la note doit encore faire l’objet d’analyses pointues, précise la présidente.

"Quant aux responsabilités", poursuit-elle, "nous en parlerons après la clôture des analyses comptables."

Aujourd’hui, 8000 citoyens schaerbeekois bénéficient du revenu d’intégration sociale ou de l’équivalent au revenu d’intégration sociale.

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