Environnement

Les aires marines protégées, leurres du récit climatique ?

La chronique Océans

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Par Marie-Amélie Lenaerts via

Dans un contexte marqué par la dégradation des ressources naturelles de notre planète, l’aire marine protégée s’est imposée ces dernières années comme l’outil privilégié de la protection des mers et des océans. Le principe est assez simple : il s’agit de délimiter des zones maritimes qui seront préservées des impacts liés aux activités humaines. Mais la biodiversité et les habitats qui s’y trouvent sont-ils vraiment protégés ?

Une véritable course à la désignation de nouvelles aires protégées

Selon Nicolas Fournier de l’ONG Oceana, "les pays membres de l’UE se sont lancés dans une véritable course à la désignation de nouvelles aires protégées. En 20 ans, la surface maritime couverte par des sites Natura 2000 en Europe a été multipliée par six".

L’objectif des Etats ? Respecter des engagements pris au niveau européen et mondial, comme lors de la COP sur la biodiversité en 2011. Les pays signataires de cette convention se sont engagés à protéger 10 % des mers et des terres d’ici 2020. Lors de chaque grande rencontre multilatérale, les Etats rendent compte de leurs chiffres et de leurs résultats nationaux. Les intentions pour l'avenir sont plus ambitieuses encore. Fin août 2022 aura lieu à Kunming, en Chine, la COP15 Biodiversité avec, au cœur des négociations, la volonté de relever cet objectif à 30 % d’ici à 2030.

En Belgique, 37 % de notre mer du Nord sont désignés zone protégée (zone Natura 2000). En France, le deuxième pays au monde en termes de surface maritime, le seuil des 30 % est également dépassé : Emmanuel Macron a annoncé lors de la clôture du One Ocean Summit de Brest en février dernier que la France venait d’atteindre 33 % de sa superficie maritime classés " aires protégées ", grâce à l’extension des réserves naturelles des terres australes françaises.

Des zones d’une grande résilience avec des bénéfices multiples…

Un tel vent puissant devrait nous porter vers l’optimisme car les aires marines protégées (AMP) offrent de nombreux bénéfices : elles contribuent à la sauvegarde des écosystèmes fragiles, favorisent la reproduction des espèces, protègent les côtes, stockent le carbone et génèrent aussi des retombées sociales, économiques et culturelles.

Les AMP sont particulièrement recommandées dans les zones qui subissent des pressions comme la surpêche. Selon Joachim Claudet, écologue et directeur de recherche au CNRS, lorsqu’on arrête de pêcher dans une AMP, les poissons grandissent plus, pondent plus d’œufs et se reproduisent davantage. Le stock grossit et les poissons finissent par sortir de l’AMP, là où ils peuvent être pêchés. Etant plus gros, avec plus d’œufs, ils repeuplent aussi les zones avoisinantes. " Une aire marine protégée bien gérée est bénéfique pour la pêche autour de l’AMP, à court et à long terme ", ajoute Joachim Claudet.

© Tous droits réservés

Il existe aussi un consensus scientifique sur la résilience d’une AMP et son plus grand potentiel d’adaptation au changement climatique. Par exemple, quand les AMP sont côtières, la flore régule la houle en cas de tempête. Le 2ème volet du rapport du GIEC paru en février 2022 parle en outre des AMP comme d’un outil d’atténuation du réchauffement climatique, séquestrant davantage de carbone.

… mais la majorité de ces zones n’existe que sur papier...

Malgré une multiplication par six de la surface maritime couverte par des sites Natura 2000 au cours des 20 dernières années, force est de constater que la plupart des espèces et des habitats marins menacés restent dans un mauvais état de conservation " explique Nicolas Fournier de l’ONG Oceana en citant un rapport de l'Agence européenne de l’environnement.

L’extension des aires marines protégées doit en fait être relativisée. D’abord parce que certaines de ces zones, bien que déclarées, n’existent que sur papier. Au niveau mondial, environ 7 % de la surface des océans sont protégés (sur un objectif de 10 % pour 2020, cfr. ci-dessus). Seulement la moitié de ces zones sont mises en œuvre et gérées activement (3,6 %), avec une réglementation et des contrôles. L’autre moitié, ce sont des zones reconnues légalement, qui existent " sur le papier " mais où aucune réglementation n’est en vigueur (1,6 %), ou bien des zones qui ont été " proposées " (2,1 %), c-à-d que l’intention de créer une AMP à cet endroit a été rendue publique, par exemple par le biais d’une annonce comme celle d’Emmanuel Macron au One Ocean Summit.

© Sala et al, 2018 – Marine Policy

… ou elles ne sont que partiellement protégées

Ensuite, les zones auxquelles on colle l’étiquette d’aire marine protégée n’ont pas toutes le même degré de protection. Il y a premièrement les AMP sous protection dite "intégrale" où aucune activité extractive ou destructive n’est tolérée et où tous les impacts sont minimisés. Mais il existe aussi (beaucoup) d’AMP où le chalutage de fond est autorisé, une méthode industrielle qui est accusée de détruire les fonds marins, en râclant et emportant tout sur son passage. Concernant la Belgique, Nicolas Fournier de l’ONG Oceana explique que "le ratio dans les eaux belges est de l’ordre de 1 % d’AMP en protection intégrale contre 99 % au sein desquelles on recense des activités à fort impact sur la biodiversité, comme l’extraction de sable".

En France qui, rappelons-le, est le deuxième territoire maritime mondial, 1,7 % des AMP sont sous protection intégrale ou haute. Mais quand on creuse un peu, il apparaît que 80 % de cette catégorie minoritaire se trouve dans les terres australes et antarctiques françaises, c'est à dire dans des régions vastes et non peuplées. Selon Joachim Claudet, "cela signifie qu’il n’y a quasiment pas de protection intégrale ou haute dans des zones impactées par une mauvaise gestion des pêches, là où le besoin est réel."


Il faut revenir à l’essence même d’une aire marine protégée

Comment en est-on arrivé là ? La protection n'est-elle qu'une illusion alors qu’en réalité les habitats et les espèces continuent à se détériorer ? Joachim Claudet explique que "l’objectif de ‘30 % de zones protégées pour 2030‘ est basé sur l’évidence scientifique qui a démontré que si 30 % des océans est sous protection intégrale ou haute, il y aura un impact positif sur l’ensemble des océans. " Pour reprendre ses mots : "ces chiffres ne sortent pas d’un chapeau !".

Or aujourd’hui, les zones sous protection intégrale ou haute sont ultra-minoritaires, continue-t-il : "au niveau mondial, 7 % de la surface des mers sont des AMP, et seulement 1,44 % sont sous protection intégrale ou haute. " Nicolas Fournier ajoute : "l’outil a en fait été dévoyé par les Etats". Beaucoup ont trouvé la formule attractive et s’en sont emparés pour matérialiser leur bonne foi. Ce qui fait qu’aujourd’hui la majorité des AMP sont en protection partielle.

Mais pour qu’une AMP fonctionne bien, il faut qu’elle soit intégrale ou haute, ce qui nécessite un portage politique fort. Il faut allouer des moyens pour gérer et protéger efficacement les AMP mais aussi faire des choix qui impliquent des privations pour certains usagers à court terme, sans perdre de vue les bénéfices environnementaux, économiques et sociaux à long terme.

Les aires marines protégées sont bel et bien un dispositif efficace pour protéger nos mers et nos océans, mais uniquement quand elles sont bien gérées. Si les Etats veulent être à la hauteur des objectifs qu'ils se sont eux-mêmes fixés, au rendez-vous de la protection de l'environnement et de la biodiversité, il est grand temps de revenir à l’essence même de ce qu’est une aire marine protégée…

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