Chronique littérature

Les autres ne sont pas des gens comme nous, un livre irrévérencieux de J. M. Erre

© Buchet-Chastel

Sophie Creuz vous propose un livre plein d’humour. Les autres ne sont pas des gens comme nous, paru chez Buchet-Chastel, est la dernière irrévérence de l'auteur français J. M. Erre.

Celle qui proclame que Les autres ne sont pas des gens comme nous s’appelle Julie. Elle a 25 ans, aime lire, aime le patinage artistique, est accro aux réseaux sociaux et rêve du grand amour. Bref, elle est comme les autres, "je suis normale, quoi", dit-elle ; à un détail près, elle est très lourdement handicapée de naissance, sans mouvement possible et sa voix dépend d’un appareil qui lui donne un débit mécanique.

Mais ce qu’elle a surtout, c’est une audace à toute épreuve et un humour ravageur qui l’incite à écrire sur les gens différents : les gens pas comme elle en somme, les gens normaux. Qui sont ces gens normaux ? Les délateurs qui dénoncent leurs voisins, ceux qui ont le vin mauvais, ou alors les "faux culs" et les "bonnes copines" qui vous flinguent le moral. Il faut oser, car elle le sait Julie, se mettre à la place des non-handicapés quand on est soi-même invalide, c’est s’exposer au reproche de faire de l’appropriation culturelle, et de parler de ce qu’on ne connaît pas ! Il faut une autorisation pour cela, une patente, un brevet. On n’a pas le doit de déranger le convenu, l’attendu et le permis.

A l’exercice périlleux de l’irrévérence, J. M. Erre excelle, piégeant le politiquement correct à son propre jeu. Et quitte à les dépasser, il dépasse joyeusement les bornes, puisque cet auteur mâle de cinquante ans se glisse dans la peau de son personnage : une jeune femme de 25 ans, et qui n’est même pas de sa région.​​​

Un livre résolument décalé

L’auteur fait dans l’énorme. La démesure, c’est sa spécialité, totalement à contre-courant du béni-oui-oui, de l’insignifiant et du tiède. Alors, ce serait absolument insupportable, si ce n’était intelligent, plein de sympathie au fond, pour nos contradictions et nos frilosités, et pour notre malaise devant tout autre qui nous renvoie à nos stéréotypes. Sa Julie, est bien placée pour comprendre nos infirmités et accompagner nos maladresses, et pour débusquer les anomalies de la prétendue normalité.

Nous sommes là dans le registre de Jean Yanne, de Guy Bedos ou de Desproges et Fluide Glacial dont J. M. Erre est un des piliers. Il pratique ce genre d’humour qui ne rit pas des autres, mais de soi, avec les autres.

Cela donne une série de portraits corsés. On rit, on s’offusque, on s’étrangle et on se réjouit de voir la moralité et l’hypocrisie attrapées au filet. Et puis on les oublie aussitôt les avoir lus parce que ces portraits sont conçus comme des sketchs.

Le bonheur est au fond du couloir à gauche

Son précédent roman, très drôle lui aussi avait déjà un titre très engageant : Le bonheur est au fond du couloir à gauche. Il prenait le développement personnel au pied de la lettre. On y découvrait un homme largué par sa femme qui lui laissait tous ses livres de développement personnel, de coachings et de conseils bienveillants, en lui recommandant d’en prendre de la graine. Il les lisait tous, en appliquant scrupuleusement les consignes. Les catastrophes vont s’enchaîner pour lui.

J. M. Erre nous venge avec mordant des modes qui nous contaminent à notre insu. Mais sa Julie veille au grain, heureusement ! Elle nous interpelle avec sagesse, et nous renvoie à nos propres infirmités : "Face à la catastrophe climatique qui s’annonce, dit-elle, j’ai l’impression que le monde est aussi paralysé que moi. Une humanité incapable de faire un geste, qui me ressemble, enfin. C’est gentil à vous de faire en sorte que je me sente comme tout le monde, fallait pas."

C’est un livre qui secouera certainement les "sensitive readers" qui nous prennent pour des imbéciles, et réécrivent les livres du passé pour y ôter tout ce qui pourrait offenser une montagne d’êtres différents qui nous ressemblent tellement. Contre cette frilosité, ce politiquement correct à l’excès, qui sépare plus qu’il ne fait sens commun, il fallait bien un livre qui restaure ces chefs-d’œuvre en péril que sont l’impertinence et le second degré.

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