Un jour dans l'histoire

Les bains publics : l’histoire d’une institution hygiéniste en Belgique qui a encore de l’avenir

Par Gérald Decoster via

Pour évoquer l’épopée des bains publics, Laurent Dehossay recevait l’historienne Sophie Richelle, auteure de Bains publics. Se laver en ville (1850-2000), édité en mars dernier par l’Université de Bruxelles. À l’heure où tous – ou presque – possédons une salle de bains chez nous, une histoire qu’il est bon de (re) découvrir.

Durant l’Antiquité et le Moyen-Âge, les bains collectifs – thermes et étuves – sont coutumiers. Mais ces pratiques engendrent des contacts… charnels, de plus, progressivement, on s’imagine que l’eau est dangereuse pour une peau qui laisserait passer les maladies.

Une maison de bains, extrait de « Facta et dicta memoriabilis de Valerius Maximus », vers 1470 – Staatsbibliothek zu Berlin.
Une maison de bains, extrait de « Facta et dicta memoriabilis de Valerius Maximus », vers 1470 – Staatsbibliothek zu Berlin. © Photo par Fine Art Images/Heritage Images/Getty Images

Au cours du 16e siècle, l’hygiène va gravement se réduire. Au 17e siècle, si le bain existe encore, mais il est parcimonieux, c’est le linge qui va jouer le rôle d’agent nettoyant… Les bains publics connaissent alors une longue parenthèse.

Des découvertes médicales et hygiénistes

« Le propre et le sale », de Georges Vigarello, Seuil éditions, 2013.

Heureusement, le siècle de Voltaire va remettre en grâce les vertus nettoyantes de l’eau, comme l’explique Sophie Richelle : "… il y a toujours eu des bains… qui sont plutôt l’apanage d’une société, enfin d’une partie de la société plus aisée. Mais on voit qu’au 18e, ça va comme ça, graduellement, un peu découler dans tout l’ensemble de la société et c’est à ce moment-là qu’on lit dans les sources que 'le bain ne surprend plus'. Ça, c’est le travail de l’historien Georges Vigarello "Le propre et le sale". C’est aussi à ce moment-là qu’on voit se rouvrir des établissements de bains, notamment à Bruxelles".

Les découvertes de Pasteur et de Koch en matière de transmission des maladies vont révolutionner l’hygiène. Il est désormais établi que se laver permet de se maintenir en bonne santé. Dès le début du 20e siècle, des cours d’hygiène sont donnés, dans l’espoir que ces bonnes pratiques percoleront dans les foyers.

En Belgique, le Conseil supérieur d’hygiène publique est institué en 1849, il deviendra, bien plus tard, Conseil Supérieur de la Santé. Rapidement, Charles Rogier va pousser à la création de bains publics : "Il invite les particuliers à mettre en place des sociétés, plutôt de type mécénat, pour rendre accessible (les bains) au peuple, et il va notamment utiliser l’argument – qui peut être surprenant aujourd’hui – de rentabilité de ces établissements : en fait, on gagne des sous à ouvrir un établissement de bains publics, argument qui ne va plus tenir déjà à l’aube du XXe siècle. Et donc, il est entendu dans une certaine mesure, c’est-à-dire qu’à Bruxelles, à Liège et à Gand, il y a des bains publics sur un partenariat autorité communale et société d’actionnaires privés qui vont se mettre en place…".

L’essor des bains publics en Belgique

Des mineurs anglais aux douches, 1954.

C’est assez tardivement que le Conseil supérieur d’hygiène publique va tenter de favoriser une législation en matière d’hygiène, mais "il n’y a pas vraiment de législation en général, enfin à l’échelle nationale, en termes d’hygiène, d’imposition des bains etc., sauf – c’est un peu l’exception – dans les charbonnages, et ça, on est dans les années 1910. Après, la législation pour d’autres secteurs professionnels, ça va arriver plus tard, dans les années 40".

Ce n’est qu’en 1901 qu’un service public de bains est instauré en Belgique. Un premier bassin de natation populaire voit le jour à Anvers, "il ouvre en 1852 mais il ne va être rendu accessible aux femmes qu’en 1879, et encore, uniquement pour la partie payante. Donc on peut imaginer que les femmes d’origine très modeste, qui n’ont pas les sous pour se payer l’entrée, eh bien n’ont pas accès à cette nouveauté-là", comme le souligne Sophie Richelle.

Dès 1912, la cité scaldienne investit dans des bains publics : "… elle va ouvrir un nombre plus important d’établissements que dans les autres villes, avec notamment ce complexe important jusqu’en 1965 à la Palaisstraat ou à la Zakstraat".

Dès 1854, les "Bains économiques et lavoirs de Bruxelles" ouvrent leurs portes. Leur particularité est d’être la fondation d’une œuvre philanthropique sous le patronage de la Ville : "… c’est la première génération de bains publics, que ce soit à Bruxelles, à Liège et à Gand. Donc à Liège, un établissement qui s’appelle " Les bains et lavoir Saint-Léonard " et à Gand, Les bains Van Eyck qui existent encore aujourd’hui, qu’on peut encore fréquenter, ce sont des établissements portés par une société d’actionnaires mais souvent parrainée par la ville qui met à disposition un terrain ou qui met à disposition la conduite d’eau courante".

Un système identique sera établi dans d’autres villes, telles Gand ou Liège où "il y a comme ça trente-quatre établissements, ce sont Les Bains et Lavoir de l’Est, du Nord et de l’Ouest qui vont être mis en place et portés par des sociétés. Et la commune va plus investir dans des lieux de baignade en plein air, comme Les bains de la Constitution. C’est seulement en 1942 que les iconiques Bains de la Sauvenière vont ouvrir leurs portes, vraiment une institution importante pour la ville de Liège".

Un avenir pour ces institutions ?

« Bains publics. Se laver en ville (1850-2000) », par Sophie Richelle, éditions de l’Université de Bruxelles, 2023.

Si les derniers bains publics seront construits à Anvers en 1975, dans son étude Bains publics. Se laver en ville (1850-2000), l’historienne Sophie Richelle s’est penchée sur une question cruciale : de tels endroits sont-ils encore nécessaires de nos jours ? "Oui et ça a fait l’objet d’une série documentaire radiophonique que j’ai réalisée avec une collègue, Pauline Bacquaert, sur l’accès à l’eau aujourd’hui à Bruxelles, pour se laver, laver ses vêtements et pouvoir aller aux toilettes. Les estimations, même à la baisse, signalent que 10% de la population bruxelloise n’a pas accès à l’eau comme ils veulent, soit parce qu’ils ont des problèmes de paiement de facture, soit ils sont dans des logements vétustes ou alors, ils n’ont pas de salle de bains, ou ils sont carrément sans logement".

Construits par Maurice Van Nieuwenhuyse, de 1949 à 1953, les Bains du 28, rue du Chevreuil à Bruxelles…

Avec le principe d’une nouvelle hygiène s’étant développé tout au long du 20e siècle, il reste du travail car "c’est devenu l’aspiration globale et donc ceux qui n’ont pas le choix de pouvoir le faire, ça touche vraiment aux soins de soi et la dignité humaine".

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