Metro Boomin, le producteur star américain est devenu le premier beatmaker dont cinq albums dépassent le milliard d’écoutes. Pour ce qui est du rap francophone, les beatmakers qui sortent des projets se multiplient aussi.
En 2019, Ikaz Boi sort "Brutal Vol.2". Sur la tracklist, des noms emblématiques de la scène rap sont présents, comme Hamza, Damso ou encore Leto.
Plus récemment, toujours en France, Binks Beatz sort un deuxième opus de son projet "Drip Music" en septembre 2022. Et comme Ikaz Boi, le haut du panier du rap francophone s’est donné rendez-vous sur le projet : YG Pablo, Frenetik et Laylow, lui aussi invité sur l’album "CIELA" de Dioscures, plus instrumental que les deux autres.
Ces trois albums ne sont que des exemples, pour montrer que les beatmakers passent de l’ombre à la lumière. On parle de plus de 400.000 auditeurs mensuels pour Ikaz, 243.000 pour Binks Beatz et 75.000 pour Dioscures.
La Belgique a du talent
Les beatmakers belges suivent la tendance et sont aussi à mettre en avant. Pour rappel, un beatmaker est celui qui crée les instrus d'un morceau sur lesquels les rappeurs posent et chantent ensuite. En résumé, c'est un compositeur moderne.
Je me suis retrouvé avec plein de morceaux et de manière assez naturelle, j’ai eu envie de les sortir
Ils sont audacieux et avant-gardistes. Dee Eye, par exemple, sort "Sunset 2000" en mai 2021. C’est un projet qui dénote par son originalité, ses sonorités électros et solaires : "J’avais envie de faire un projet, mais pas avec uniquement de la trap. J’ai décidé de ne pas me prendre la tête et si un track n’était qu’instrumental, c’était comme ça. Il n’y avait rien de calculé " explique-t-il.
"J’aime beaucoup expérimenter et parfois les artistes ne sont pas sensibles à ça. Je me suis retrouvé avec plein de morceaux et de manière assez naturelle, j’ai eu envie de les sortir" continue le beatmaker.
Mais pourquoi vouloir sortir des albums et ne plus placer des prod's pour les rappeurs ? "Personnellement, en tant qu’artiste, j’ai un certain besoin de reconnaissance. J’avais envie que les gens ne me connaissent pas que pour mes placements. J’avais envie de montrer une autre facette de moi. Et, sans prétention, peut-être inspirer des gens comme je l’ai été par d’autres avant " répond Dee Eye.
Proche de Dee Eye, BBL de la Miellerie a aimé le parti pris par le compositeur : "Ça me fait plaisir qu’il ait choisi cette DA. Je trouve ça chouette que tous les producteurs ne proposent pas la même chose. C’est différent et c’est utile, parce qu’il a pu montrer l’étendue de ce qu’il savait faire". Pour l’instant, Dee Eye ne met pas de côté un nouveau projet, mais ce n’est pas d’actualité.
Je dois faire aussi les choses en grand en tant qu’artiste
"J’ai fait beaucoup de scène : j’ai rappé, j’ai chanté, j’ai dansé. Je pense que j’ai gardé ce mood de me mettre en avant en tant qu’artiste. Et je vise très grand pour ma carrière donc je dois faire aussi les choses en grand en tant qu’artiste", assure Chipeur, membre du collectif de beatmakers Bon Baiser. Le beatmaker n’a pas chômé en 2021 : il a sorti deux projets. Le premier avec son collectif, où le défi était de créer un EP de 5 sons en moins de 24 heures. Défi relevé haut la main, car le projet est sorti en à peine 17 heures.
Pour le deuxième, l’ambitieux Bruxellois a décidé de sortir 11 titres aux sonorités trap, le tout, avec une diversité remarquable. Cette diversité dans le projet "Snack" s’explique surtout par les voyages et les rencontres qu’il a faits au cours de sa vie artistique : "J’aime bien m’installer dans une ville et faire connaissance avec d’autres artistes. Je prends la peine d’inviter beaucoup de gens pour faire voir mon travail et pour faciliter les collaborations".
Rythmé par ses voyages, Chipeur est désormais à Paris. Il s’y est installé et commence naturellement à collaborer avec d’autres artistes Parisiens : "Quand j’arrive dans une nouvelle ville, un projet suit. Ici, je vais collaborer avec des artistes émergents pour tenter de me faire connaître sur Paname."
Sortir un projet en tant que beatmaker permet aux artistes de comprendre et de reconnaître le travail de ceux qui composent leurs tracks. Au-delà de cet aspect, les quatre beatmakers que nous avons interviewés s’accordent à dire que créer un projet, c’est surtout pour se faire kiffer.
Il est important pour eux de pouvoir partager des moments de création avec des gens qui viennent de partout : "Ce que j’ai kiffé, c’est surtout le partage autour de tout ça. Avec "Snack", on m’a appelé pour faire un festival ! J’ai pu créer mon show avec tous les artistes que j’avais invité et on a partagé nos créations avec le public. C’était marrant parce qu’ils ne se connaissaient pas, mais on était tous ensemble sur scène et on a tous pris du plaisir à fond " raconte Chipeur.
L’ère des homes studios
Les projets de beatmakers ne datent pas d’hier. Dr. Dre, Timbaland, ces producteurs ont permis aux compositeurs de passer sur le devant de la scène. Aujourd’hui, ce phénomène est encore plus renforcé par nouvelles technologies : "Les homes studios facilitent la chose. Tu ne dois plus payer des milliers d’euros tes sessions", explique BBL, membre du duo de beatmakers La Miellerie.
Produire à moindre coût demande aussi de pouvoir maîtriser tous les maillons de la chaîne de production. "Première Récolte" de La Miellerie est autoproduit, ce qui signifie que les deux compositeurs ont été multi-casquettes tout au long de la réalisation de leur album. "Le processus est différent. On doit organiser l’agenda des artistes pour s’assurer que les sessions se déroulent correctement par exemple. Il y a une certaine urgence que l’on n’a pas quand on place des prod's. En tant que compo, on a un truc un peu agréable, c’est qu’on s’occupe de la prod', pas de la promo, de clip etc. Ici on a endossé tous ces rôles", indique Siméon de La Miellerie.
Qui dit autoproduction, dit aussi financement de ses propres productions, de ses clips, de ses masterings, etc. "On a fait cet album pour l’expérience, donc "Première Récolte" est vraiment une réussite ! Pouvoir dire qu’on l’a fait, c’est une fierté parce qu’énormément de compositeurs rêvent de sortir des projets comme ça.
Alors, est-ce que les projets de beatmakers sont l’avenir ? Pas forcément. La Miellerie répond : "Vu la complexité de réaliser ce genre de projet, je pense qu’il y aura de plus en plus de projets d’un artiste en collaboration avec un seul beatmaker."