Quelques années plus tard, en 2000, forte de ses expériences dans le métier, Isabelle créé sa société, Iota production. En fait, quelle est la différence entre directeur·trice de production, producteur·ice exécutifs, et producteur·trice tout court ?
"Ah oui, ce n’est pas du tout la même chose !", réagit-elle. "Producteur·trice, c’est quand tu accompagnes le film du début de sa fabrication jusqu’à la fin. Tu accompagnes l’auteur ou l’autrice dans le développement du projet, tu contactes vendeurs et distributeurs en amont pour faire circuler le film quand il sera fini, et tu cherches les financements pour le produire. Attention, c’est ta société, mais ce n’est pas ton argent : on n’est pas des banques ! Mais c’est toi qui vas chercher des fonds pour financer le film. Le producteur ou la productrice est responsable de ce qu’on appelle la 'bonne fin': livrer en temps et en heure le film tel qu’il a été présenté dans les contrats signés."
Des producteur·trices exécutifs, Isabelle en engage justement parfois. "C’est une personne qui va m’aider à organiser toute la gestion d’un film – voire de plusieurs. Quelqu’un qui a une vision d’ensemble, mais qui n’est pas responsable de la bonne fin."
Enfin, directeur·trice de production, c’est "celui ou celle qui s’occupe de la gestion du film spécifiquement au moment du tournage. Ces personnes peuvent être sous la responsabilité d’un·e producteur·trice exécutif."
Isabelle est plus que bien placée pour savoir tout ça, : elle a déjà fait les trois. Longtemps directrice de production, elle a ensuite fait de la production exécutive pour d’autres, et a cumulé les casquettes plusieurs années pour compléter les entrées financières de sa société. "Mais maintenant la boîte fonctionne bien, alors je n’en ai plus besoin", sourit-elle derrière son verre.
Dès le début, je me suis intéressée aux réalisatrices
Depuis 22 ans, Iota production accompagne les parcours de différents auteurs et autrices, tant en documentaire qu’en fiction. "Je suis une passionnée, et j’aime passer d’un univers créatif à un autre, d’un budget à une réflexion artistique puis lire un contrat. Et j’apprends sans cesse", poursuit sa fondatrice, qui estime à un tiers le nombre de femmes dans le cinéma belge francophone à faire aujourd’hui le même métier. On pense à Julie Esparbes (Dalva), Alice Lemaire (Overseas, Rêver sous le capitalisme) ou encore Annabella Nezri (#SalePute) qui est avec Isabelle dans le CA de l’Union des Producteurs et Productrices Francophones (UPFF).
Le féminisme, une question tardive
Un tiers de femmes dans la corporation, c’est un chiffre bien plus élevé que quand Isabelle a débuté. Mais à l’époque, la question du féminisme, "personne ne se la posait – et moi non plus d’ailleurs !", se souvient-elle. "Étudiante à Liège, j’ai fait un stage à 20 ans dans une association venant en aide aux femmes battues et j’ai été conscientisée à la spirale de la violence, à une compréhension du fonctionnement de la société par le prisme du patriarcat. Puis je me suis lancée dans la vie active sans plus trop y faire référence."
C’est en 2008, en produisant La domination masculine de Patric Jean, que la réflexion est revenue dans sa vie. "Ensuite, nous avons eu une présidente de la commission du film, Joëlle Levie, qui précédemment avait travaillé au Québec. Elle a d’emblée annoncé qu’elle aurait une attention particulière pour les femmes productrices et réalisatrices. Cela m’a fait du bien, je me suis sentie encouragée."
Enfin et surtout, arrive en 2017 la déferlante #MeToo, et avec elle une conscientisation plus générale dans la société. " Ça m’a fait me rendre compte de beaucoup de choses : des modèles dominants que j’avais intégrés, des inégalités, le manque de reconnaissance ou celui d’avoir moins facilement accès à des montants financiers importants… "
À une époque, tu avais beau prendre une grosse voix et crier fort, tu n’étais pas entendue
"On était beaucoup moins de femmes à l’époque, et j’ai compris qu’on avait peu ou pas accès à la camaraderie d’affaire spécifique aux hommes. Je n’y étais pas conviée, mais en fait, je ne me posais même pas la question. C’est pareil pour le fait de parler dans des grandes tablées : on fait attention à la parole aujourd’hui, mais je me rappelle à une époque, tu avais beau prendre une grosse voix et crier fort, tu n’étais pas entendue." Alors que la nouvelle génération qui se lance porte ces questions comme une évidence, pour celles qui sont depuis longtemps dans le métier, cette réflexion est venue parfois bien après.