Pour ce nouvel épisode des Bobines du cinéma, on retrouve Tinne Bral dans un café ixellois. Tinne est associée depuis 2007 chez Imagine, une compagnie de distribution de films.
Ses premiers films à elle, elle les a vus à Tielt, la ville en Flandre où elle a grandi. Grâce à des décentralisations de la Cinémathèque, elle a découvert François Truffaut ou Charlie Chaplin projetés dans un local pour l’occasion. "Sinon, on prenait la bicyclette et on allait à Pittem, à quelques kilomètres de là. J’ai découvert plus tard que c’était le cinéma qui avait, à l’époque le plus grand écran de Belgique ! (Le cinéma Alfa, qui a fermé au début des années 80, NDLR). Je me souviens, à 12 ans, on y était en séance scolaire, et je trouvais le film mièvre au possible. Alors j’ai décidé que je ne pouvais pas voir ça. Je me suis levée, et je suis sortie de la salle. Tout le monde était scandalisé ! J’ai failli être renvoyée (rire)."
Déjà un signe de son caractère bien trempé. Mais souvenir le plus fort, c’est The Man Who Fell To Earth, avec David Bowie. "C’était au Studio Skoop à Gand. J’ai menti à la caisse, car je n’avais pas encore 16 ans. Je suis rentrée le soir, et j’étais complètement subjuguée. J’étais déjà fan de Bowie, mais après ce moment, ça a été pour la vie." Grâce à ce film, Tinne découvre aussi la différence entre cinéma commercial, et les films d’auteur.
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Passionnée d’images, la jeune femme écume les cinémas et les musées. Parfois seule, parfois avec son papa. "Je suis très visuelle", explique-t-elle, ouvrant grand ses yeux clairs. Elle optera, en toute logique, pour des études d’Histoire de l’Art – mais avec des cours à options en ciné. Elle parle de ses années d’étudiante avec des étoiles dans les yeux, entre souvenirs joyeux de guindaille et découvertes artistiques stimulantes. Caissière au Studio, la salle art et essai de Leuven, elle voit "environ 365 films par an". Elle s’essaye aussi à la critique d’art, sans succès. "Le cinéma m’emballait, mais je ne savais pas encore ce que je voulais y faire."
Au début des années 90, ses recherches d’emploi la font atterrir chez K com, une agence de pub qui venait de reprendre les rênes du Festival du film de Bruxelles (aujourd’hui devenu le BRIFF). Dans les bureaux de K com, elle œuvre en tandem avec un certain Christian Thomas : "J’étais le pendant néerlandophone, lui le pendant francophone." Quelques années plus tard, ce dernier allait fonder Imagine Film Distribution…
Ensuite, Tinne quittera les terres belges pour vivre brièvement à Madrid avec son compagnon, puis aux Pays-Bas où elle travaille pour l’institut Binger, un incubateur de talents pour le cinéma, aujourd'hui fermé. Elle y apprend à lire des scénarios, développer un projet de long-métrage, et voyage dans des festivals internationaux. "Mais je suis rentrée, car la Belgique me manquait". Mais le retour fin 2005 est brutal : sans emploi, elle traverse des soucis de santé, et une rupture qui l’amène à quitter son logement. "J’ai commencé l’année 2006 avec rien. Je me suis dit : ça ne peut qu’aller mieux."
Haut les cœurs. Les années qui suivront lui apporteront le meilleur mais aussi le pire en termes d’expériences professionnelles. Son passage à la Fondation de la Vocation (aujourd’hui vocatio.be), lieu de rencontres fascinantes avec des personnalités hautes en couleur, fut une expérience riche : "Pour quelqu’un qui devait se reconstruire comme moi, c’était génial". Tout le contraire du poste de directrice de communication au Flagey qu’elle décroche ensuite, ignorant qu’à l’époque le lieu est au cœur d’un conflit linguistique et culturel :"C’était le panier de crabes de la politique belge, tout le monde démissionnait ou avait peur pour sa place…"
Je suis très sensible à la question des représentations des minorités, dans les arts plastiques en général et dans le cinéma en particulier
Et puis un jour, Christian Thomas entre dans son bureau. Tinne et lui n’avaient jamais perdu contact : depuis qu’il avait lancé Imagine Film en 2002, elle faisait parfois des traductions pour lui. "Il me donnait des DVD en échange, j’étais contente. J’aimais bien son catalogue."
C’est justement après une avant-première de We Feed The World, un film Imagine présenté au Flagey, que Tinne fait une confession à Christian qui va tout changer. "La salle était bondée, c’était une super soirée, il m’a dit 'Tinne t’as un boulot en or'. Il ne savait pas l’envers du décor… J’ai rétorqué que oui, mais que si un boulot 100% dans le cinéma se représentait, j’y réfléchirais sérieusement. A ce moment-là, Christian était en recherche de remplaçante pour sa collaboratrice. Il hésitait entre former une nouvelle recrue, ou trouver une associée expérimentée… Il n’en a pas dormi pendant une semaine, et c’est sa femme qui a fini par lui dire ‘Appelle Tinne ! Si tu ne lui demandes pas, tu ne sauras jamais.’ Alors il m’a appelée. On est allés manger un vendredi, et le lundi je lui ai dit c’est bon, je fais le saut dans le vide."