Jointe à Lviv (ouest de l’Ukraine), Colleen Holt Thompson, 55 ans, Américaine du Kentucky et bénévole régulière en Ukraine depuis 2006 auprès d’orphelinats via un réseau de parents adoptifs américains, lance auprès de l’AFP un cri du cœur.
Mère adoptive de six Ukrainiens, elle est arrivée en urgence à Lviv le 3 mars pour aider à évacuer des orphelins et poursuivre sa procédure d’adoption d’une adolescente, Maure, lancée il y a trois ans.
Aucun gouvernement n’est préparé à de telles évacuations à grande échelle
Le "chaos" de l’évacuation de nombreux orphelins vers l’étranger l’a abasourdie.
Selon des chiffres officiels de fin mars, 3000 enfants placés ont été transférés à l’étranger, principalement en Pologne, Allemagne, Italie, Roumanie, Autriche, République tchèque.
"Aucun gouvernement n’est préparé à de telles évacuations à grande échelle", reconnaît Colleen Holt Thompson. "Mais mes inquiétudes se sont aggravées quand j’ai reçu des appels de personnes dans des administrations nous demandant si nous avions les noms et les âges d’enfants qui voyageaient vers Lviv en bus ou en train et dont ils n’avaient pas trace de l’identité, ni de leurs accompagnants…".
Elle affirme aussi avoir reçu des appels "perturbants" d’une personne lui demandant la liste d’enfants d’un orphelinat que son réseau tentait d’évacuer de Marioupol, notamment des enfants concernés par des adoptions aux Etats-Unis. "Cette personne disait qu’elle pouvait évacuer ces enfants en Grèce via un jet privé… C’est fou ! Il y a vraiment de graves inquiétudes quant au trafic d’enfants".
Elle s’alarme aussi du nombre d’enfants évacués "dans d’autres pays européens dans des familles qu’ils ne connaissent pas et qui n’ont pas été contrôlées".
Les enfants sont terrifiés, les plus grands essaient de rassurer les plus petits
"Je vous le dis, il y a des enfants qui ne reviendront jamais en Ukraine, d’autres qui seront perdus, et il y a actuellement des milliers d’enfants dans des hôtels, des campements, chez des particuliers, avec des gens dont on ne sait pas s’ils sont formés ou simplement de confiance", lâche-t-elle.
Placée dans un orphelinat à l’âge de 4 ans, Maure (qui vient d’en avoir 18) a déjà vécu en 2014 lors de la guerre de Crimée une évacuation traumatique de son orphelinat à Donetsk alors qu’elle avait 10 ans. Au lendemain du déclenchement de l’invasion russe, elle a de nouveau été évacuée à travers la guerre jusqu’à Lviv dans un autre orphelinat – et son bunker lorsque les sirènes retentissent – mais n’a pas été autorisée à rester avec Mme Thompson. "Le directeur de l’établissement veut l’évacuer avec les autres enfants en Autriche…", s’émeut-elle.
Depuis le 12 mars, des règles ont été imposées par le gouvernement pour l’évacuation et le suivi de ces groupes d’enfants mais beaucoup reste à faire selon les ONG.
Selon l’UCRN, 2500 enfants ont urgemment besoin d’être évacués de zones de combats. "En fait, ces évacuations se déroulent lorsque les combats sont les plus intenses ; les enfants sont terrifiés, les plus grands essaient de rassurer les plus petits", témoigne Darya Kasyanova, directrice de programme à l’ONG SOS Villages d’enfants Ukraine.
"Les encadrants constatent un recul dans le développement de ces enfants, qui mangent peu et dorment mal".