Belgique

Les caméras de surveillance s’équipent de reconnaissance faciale : fini, l’anonymat dans l’espace public ?

Reconnaissance faciale : la fin de l'anonymat en rue ?

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Terminé, l’anonymat dans la rue ? Les caméras de surveillances sont si répandues dans l’espace public qu’on n’y prête même plus attention. Et ces dernières années, les technologies de reconnaissance faciale ont progressé à toute vitesse. Serons-nous tous un jour identifiable en rue par une intelligence artificielle ?

La reconnaissance faciale, ça existe depuis des années. Peut-être que vous l’utilisez pour déverrouiller votre smartphone par exemple. Mais cette technologie est aujourd’hui devenue suffisamment performante pour pouvoir être utilisée avec les caméras de surveillance installées dans l’espace public.

Craintes pour la vie privée

"On va enregistrer une série de mesures du visage, explique Manuel Lambert, conseiller juridique à la Ligue des Droits Humains. Sur la voie publique, une personne peut être tracée en direct. Virtuellement, c’est la fin de l’anonymat", s’inquiète-t-il. Repérage d’individus suspectés d’avoir commis une infraction ou de personnes portées disparues, analyse de l’humeur des clients d’un magasin pour mesurer leur satisfaction… le nombre de possibilités d’utilisation, tant dans l'espace public que privé, donne le vertige.

Le problème, c’est que les algorithmes évoluent plus vite que les lois. En Belgique, pour le moment, aucun cadre juridique n’existe pour réglementer l’utilisation de la reconnaissance faciale dans l’espace public. Cela n’a pas empêché les autorités de faire appel au très controversé logiciel Clearview lors d’essais à l’aéroport de Bruxelles en octobre 2019, en toute illégalité.

La Chine, parfaite dystopie

Dans certains pays, le recours à cette technologie est déjà banalisé. L’exemple le plus connu est celui de la Chine. Dans certaines villes, le tableau est digne d’un épisode de la série Black Mirror, certaines caméras allant jusqu’à sanctionner les piétons qui ne traversent pas la rue au feu vert.

Couplée au système de crédit social utilisé pour noter les citoyens, la reconnaissance faciale peut s’avérer redoutable pour limiter les libertés individuelles et contrôler les comportements.

Aux États-Unis, les règles ont changé rapidement avec Donald Trump.

Alors non, la Belgique n’est pas la Chine. Mais nous ne sommes pas à l’abri de basculer vers un régime plus autoritaire un jour. Que ce soit sur le court ou le long terme, un tel scénario n’est pas si improbable si l’on tient compte des derniers sondages annonçant l’extrême droite du Vlaams Belang comme premier parti au nord du pays.

L’argument des opposants à la reconnaissance faciale dans l’espace public est que si la technologie est déjà en place, il devient beaucoup plus facile pour un pouvoir politique d’avoir recours à des usages plus liberticides de cet outil. "Aujourd’hui, la Belgique est un État démocratique, mais nous ne sommes pas à l’abri de changements, reconnaît Manuel Lambert. Aux États-Unis par exemple, toute une série de règles ont changé très rapidement avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump", rappelle-t-il.

Les failles des algorithmes

L’autre problème pointé par les détracteurs de la reconnaissance faciale est de taille : les algorithmes ne sont pas neutres. On ne compte plus le nombre d’expériences où des outils virtuels ciblaient davantage certaines catégories de la population.

"On sait déjà que, de manière générale, des populations sont plus touchées par le contrôle policier. Avec la reconnaissance faciale, les choses pourraient s’accentuer", s’inquiète le conseiller juridique.

Les personnes noires, par exemple, sont plus difficilement reconnues. Les risques de "faux positifs", autrement dit d’erreurs d’identification, sont plus élevés. "Ce sont souvent des personnes blanches d’un certain âge qui ont construit ces algorithmes avec une série de biais involontaires", explique Manuel Lambert. En bout de course, certaines catégories de la population risquent donc de se voir discriminées par des outils en apparence impartiaux.

Une pétition pour interdire la reconnaissance faciale à Bruxelles

Inquiètes devant ces risques de discrimination ou de libertés bafouées, plusieurs associations ont déposé une pétition devant le parlement bruxellois. Réunies derrière le slogan "Protect my face" (Protégez mon visage), elles réclament l’interdiction pure et simple de l’usage de la reconnaissance faciale dans l’espace public de la capitale.

Si le but est de faire de Bruxelles "un modèle pour le reste de l’Europe" en termes de vie privée, il s’agit également de pousser les parlementaires à en parler. "Nous estimons que cette technologie se développe sans aucun débat public. Il est important que ce débat ait lieu", insiste Manuel Lambert de la Ligue des Droits Humains.

La ministre de l’Intérieur nuance

La ministre de l'Intérieur Annelies Verlinden reconnaît que "personne n'a besoin d'une société Big Brother".

Contactée par nos soins, la ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden (CD&V) s’est exprimée sur le sujet. "Personne n’a besoin d’une société Big Brother, reconnaît-elle. En revanche, certains y voient un outil très utile pour faciliter, par exemple, la recherche de personnes disparues dont la vie est supposée en danger", nuance-t-elle.

La question reste donc ouverte. De son côté, la ministre rappelle qu’un cadre juridique pour l’intelligence artificielle est en cours d’élaboration au niveau européen, l’AI-act. C’est ce texte qui réglementera, entre autres, l’utilisation des caméras à reconnaissance faciale. Présenté en avril 2021, il ne sera pas adopté avant plusieurs mois, voire l’année prochaine.

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