C’était la nouvelle politique du week-end : la nomination de la journaliste Hadja Lahbib au poste de ministre des affaires étrangères par le MR. Un coup politique qui a aussi un coût politique.
Le fait du président
Le "coup" politique c’est le fait du prince, enfin du président. En nommant ministre une personnalité surprise, le président Georges Louis Bouchez fait acte d’autorité. Les trois nominations qu’il a eues à gérer sont des "coups" qui n’ont laissé personne indifférent. La surprise provenait de ce que Mathieu Michel et Adrien Dolimont n’avaient aucune expérience d’une fonction exécutive à ce niveau. C’est encore plus vrai ici. Car Hadja Lahbib est une personnalité extérieure au parti et même à la politique. Sur la personnalité même d’Hadja Lahbib, le "coup" offre au MR une possibilité de casser son image de parti plutôt conservateur défendant les riches blancs du sud de Bruxelles.
Offrir à une Bruxelloise issue de l’immigration algérienne la représentation de la Belgique à l’étranger a été salué jusque dans les milieux féministes progressistes favorables à la diversité. Féministe, progressiste, diversité trois catégories avec lesquelles le président du MR est plutôt en guerre culturelle. Pourtant, ce qu’il appelle “la gauche wokiste”, saluait largement hier son choix.
Le "coup" politique est bien sûr une préparation des prochaines élections à Bruxelles. Une personnalité comme Hadja Lahbib doit permettre d’afficher, au sens littéral et figuré, un MR ouvert à la diversité, et percer dans des électorats issus de l’immigration. Un domaine largement délaissé jusqu’ici au profit du PS et à Ecolo.
Coût interne
Mais ce "coup" a aussi un coût. Le premier coût est interne au MR. Nommer une personnalité extérieure au parti, qui plus est une personnalité qui se dit ni de gauche ni de droite, passe mal auprès de certaines et de certains. Plusieurs y voient une nouvelle fois la main de l’emprise de la famille Michel sur le parti. Des élus ont l’impression d’être considérés comme des pots de fleurs incompétents par le président. Car ni Hadja Lahbib, ni Mathieu Michel, ni Adrien Dolimont n’ont été choisi par les électeurs lors d’élections régionales ou fédérales. C’est le choix du président avant le choix du peuple. Signalons que c’est loin d’être une spécialité du MR, Thomas Dermine au PS ou Céline Tellier chez Ecolo n’étaient pas non plus passés par les urnes avant d’avoir leur maroquin.
Coût pour les affaires étrangères
Le second coût est pour les affaires étrangères. Nommer une personnalité inexpérimentée en pleine guerre en Ukraine c’est considérer les affaires étrangères comme une variable d’ajustement pour la politique intérieure. La tradition politique en Belgique, comme dans de très nombreux pays, est de nommer des personnalités aguerries, habituées à des négociations et capables de tisser rapidement des réseaux. Hadja Lahbib tranche avec Sophie Wilmès, Didier Reynders, Louis Michel, Karel De Gucht, Willy Claes, Marc Eyskens, Leo Tindemans sur ce point.
Il est vrai que la Belgique n’a pas de valise nucléaire ou une ligne directe avec Sergueï Lavrov, mais c’est néanmoins dans une période très sensible qu’Hadja Labib devra faire ses armes.
Coût pour le journalisme
Le troisième coût est pour le journalisme belge francophone. Une nouvelle fois une présentatrice ou présentateur de la télé passe au MR. La liste commence à s’allonger. Frédérique Ries, Michel de Maegd, Olivier Maroy, Florence Reuter, Hadja Lahbib pour ce seul parti qui adore visiblement les journalistes de télé. Ajoutons-y Anne Delvaux au CDh, les frères Dubié chez Ecolo, Jean Paul Procureur, Pierre Migisha, etc. Les transferts de la télé à la politique sont monnaie courante en Belgique francophone. Avec les “fils de” ça devient une autre spécialité locale et n’a plus rien d’original.
Bien sûr chaque journaliste, au niveau individuel est pleinement légitime pour faire le choix noble de la politique. Mais l’accumulation des cas est problématique. Le risque de cette débauche de débauchages c’est que le public perçoive encore plus le politique et le journalisme comme un entre-soi, comme une même sphère, comme une élite consanguine.
Bien sûr c’est plus compliqué que ça. L’arrivée des vedettes de la télé en politique n’a pas radicalement changé le rapport entre média et politique ces dernières années. Mais la perception ça compte, ça compte même beaucoup. Chacun de ces coups politiques est donc aussi un coup porté à l’image du métier.