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Les éditeurs belges se serrent les coudes

Après la crise, quel avenir pour les éditeurs belges?

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Au terme de deux mois sans librairie, le monde du livre est inquiet. En France, une première aide du ministère de la Culture a été débloquée : 100 millions d’euros en faveur des éditeurs. Chez nous, aucune annonce de ce type. Chacun se débrouille comme il peut.

La situation des éditeurs francophones belges est très particulière : largement concurrencés sur leur propre territoire par les poids lourds français, ils peinent en revanche à se faire une place digne de ce nom hors de leurs frontières. Ils sont donc obligés de composer, inventant chacun la structure qui leur convient le mieux. Ainsi, des maisons qui donnent l’impression d’être de taille à peu près identique peuvent en réalité être dans une situation très différente les unes des autres. Les aides des pouvoirs publics sont généralement indispensables. Mais pour autant, peu de maisons ont les moyens d’avoir du personnel à plein temps. Celles qui se trouvent dans ce cas, comme Les Impressions Nouvelles, ont choisi de ne pas avoir recours au chômage économique, contrairement à toutes les grandes maisons françaises. Mais quelle que soit leur situation, ces maisons ont toutes mordu la poussière depuis le mois de mars ! Les temps sont durs pour le secteur du livre.

Premier constat, les éditeurs belges qui ne proposent que de la littérature sont peu nombreux. Prenons l’exemple de Weyrich, qui a réussi à imposer un catalogue en ancrant sa production et ses bureaux en province du Luxembourg, avant d’ouvrir récemment une antenne bruxelloise. En tout, ce sont dix employés et une vingtaine de collaborateurs externes, parmi lesquels on trouve des correcteurs, des pigistes, etc. Une partie du catalogue – dont l’excellente collection Plumes du Coq – est purement littéraire. Mais l’éditeur publie aussi des mooks, des calendriers, réalise de l’impression à la demande et tout un tas de livres illustrés en lien avec sa région. Dans une crise comme celle que le secteur vient de connaître, Weyrich a donc plus de souplesse que d’autres. "Nous avons repoussé des sorties et surtout programmé de nouveaux titres plus adaptés à la situation", explique Olivier Weyrich. "Nous publions pour l’été deux nouveaux romans policiers (lectures-plaisirs par excellence) et nous lançons deux nouveaux mooks à l’accent estival destiné au public belge. Le premier à paraître s’appelle 10 Découvertes pour s’évader à vélo (il sortira mi-juin) et le deuxième : 10 Découvertes pour redécouvrir l’Ardenne".

>> À lire également : À l’aube du déconfinement, les librairies indépendantes s’organisent

Quel avenir pour les éditeurs belges ?
Quel avenir pour les éditeurs belges ? © Libre de droits

Une situation plus qu’inquiétante

En revanche, pour ONLIT, éditeur de littérature qui s’est fait remarquer par la qualité de ses publications ces dernières années, traverser pareille période est beaucoup plus périlleux, même si les frais incompressibles sont bien moins élevés que chez Weyrich. Aucun membre du personnel n’a le statut d’employé, pas même Pierre De Muelenaere, le patron de la maison. Une demi-douzaine de free-lance s’emploient donc à faire paraître six titres de fiction en moyenne par an. Ayant démarré comme éditeur numérique avant de devenir éditeur mixte (papier et numérique), ONLIT a pu continuer à vendre en ligne via son site web. Mais la perte de rentrées sur les titres récents du catalogue est sérieuse. Les problèmes de liquidités que nous connaissons – qu’il s’agisse des rentrées propres (qui constituent 2/3 de notre budget) ou des subsides 2020 non encore perçus – hypothèquent nos sorties futures pour 2020, avoue Pierre De Muelenaere. La situation est donc inquiétante. À ce stade la perte en termes de chiffre d’affaires est tout simplement catastrophique et a mis à l’arrêt notre machine éditoriale, ajoute le patron de la maison d’édition.

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Peu d’autres maisons bien établies nous ont fait part de telles appréhensions quant à leur avenir. Mais toutes partagent la même inquiétude : celle de voir le tissu de librairies francophone belge ne pas résister à la crise. "Le risque, c’est de voir le marché se resserrer encore, confie Benoît Peeters, fondateur des Impressions Nouvelles. Face à une telle situation, ma crainte est de voir tant les jurys littéraires que les libraires se rabattre sur ce qui a le plus de chance de plaire." L’édition de création y résistera-t-elle ? En tout cas, aucune des maisons contactées n’a renoncé à des projets forts, auxquels elle croyait. Mais en les reportant de plusieurs mois, les places libres dans le calendrier de 2021 se sont réduites comme peau de chagrin. Pour les auteurs aussi, l’avenir va être difficile. "Nous sommes plus sévères sur les textes qu’on nous soumet, commente Benoît Peeters, parce qu’on a déjà rempli toutes les cases libres en 2021. Mais si on a un vrai coup de cœur pour un livre, on le prendra !"

Vers une littérature locale ?

Chacun travaille donc à sa manière pour faire face à une situation inédite. Lamiroy a purement et simplement suspendu toutes ses activités pendant trois mois. "Nous avons décidé de sortir des livres en juin pour ne pas les sacrifier en pleine rentrée littéraire, admet Éric Lamiroy. En aucun cas on ne renoncera à sortir les livres prévus. Ils ont d’ailleurs déjà été imprimés. Tout dépendra de l’attitude des lecteurs et des médias. S’il y a mouvement vers le local, vers la Belgique, nous sommes idéalement placés : maison belge, auteurs à 90% belges et impression en Belgique. Si on continue à mettre d’abord les auteurs et éditeurs étrangers en avant, ce sera plus dur…"

Voilà pour les maisons les plus en vue. Mais il y a aussi de très petits éditeurs, qui tirent souvent le diable par la queue. Pour eux, la survie devient parfois très difficile. C’est le cas pour Acrodacrolivres par exemple, petite maison d’édition installée dans le Brabant Wallon. Il s’agit d’une asbl dont le patron et son épouse ne sont pas rémunérés. 15 titres par an, en moyenne, depuis huit ans. Du livre jeunesse, de la poésie, des nouvelles, du roman. La diffusion sur la Belgique et la France est totalement à l’arrêt, comme pour tous les autres. Mais Acrodacrolivres a une particularité, comme le raconte son Administrateur délégué, Bou Bounoider : "Notre situation nous permettait de participer à différents salons en France et en Belgique, ainsi qu’à des dédicaces en librairies, principales opportunités pour la vente de livres. L’agenda était bien chargé. Tout cela s’est écroulé. Résultat, la maison d’édition repense son modèle économique. Il faut défendre les auteurs et leurs livres via d’autres canaux comme les réseaux sociaux en créant des vidéos, des directs live, des réunions privées sur Zoom ou autres…" Produire moins et défendre plus.

Une conclusion que pourraient reprendre en chœur la plupart des acteurs de l’édition, pas seulement en Belgique, d’ailleurs.

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