Pénurie d’enseignants
Pour l’instant, la Flandre impose toujours le français comme première langue étrangère et le néerlandais est obligatoire dans l’enseignement francophone à Bruxelles. Alors pourquoi ne pas imposer le néerlandais en Wallonie ?
" Fausse bonne idée " estime le didacticien Eloy Romero Muñoz : " Le néerlandais est déjà imposé à Bruxelles et les résultats ne sont pas bons. Cela poserait aussi des problèmes logistiques : qui donnera cours alors que l’on ne parvient déjà pas à assurer le cadre ? "
"On est face à une pénurie généralisée d’enseignants", confirme Joseph Thonon du syndicat CGSP Enseignement Wallonie-Bruxelles. Selon une étude de la FAPEO, près de 200 heures n’ont pas été dispensées pendant l’année scolaire notamment en raison du manque de personnel enseignant. Cela correspond à six semaines de cours au total par an. Ce sont par ailleurs les cours de néerlandais, français, sciences et math qui sont les plus touchés.
D’après le nouveau pacte d’excellence, l’apprentissage d’une langue moderne sera obligatoire dès la troisième année primaire à partir de l’année scolaire 2023-2024, ce qui signifie trouver encore 220 professeurs d’ici-là.
Si, en plus, il faut trouver de nouveaux professeurs pour assurer les cours obligatoires, il semble très difficile d’avoir suffisamment d’enseignants. D’autant que le néerlandais n’est pas la langue la plus choisie parmi les candidats pédagogues : " Avant les professeurs étaient généralement formés en anglais/néerlandais. Maintenant, la combinaison anglais/espagnol est la plus populaire ", précise Eloy Romero Muñoz.
Sortir de la classe
Même si l’on impose le néerlandais comme première langue moderne, d’autres problèmes continueront à ralentir l’apprentissage efficace des langues : " Je pense notamment à une forte centration sur l’erreur, peut-être liée à notre obsession systémique pour l’évaluation certificative. L’enseignant francophone passe en effet énormément de temps à évaluer les attendus, bien souvent contre son gré, ce qui réduit d’autant le temps consacré aux apprentissages ", explique Eloy Romero Muñoz.
Il craint que les principes inscrits dans la charte des référentiels pour le Pacte d'excellence ne renforcent cette tendance : " On pourra bientôt de nouveau évaluer des connaissances linguistiques (les temps primitifs par exemple) et métalinguistiques (Pourquoi le verbe est-il à la 2e place dans cette phrase ?) hors contextes. Si l’on sait que les élèves ne sont déjà pas très enthousiastes, une approche encore plus orientée vers la connaissance abstraite de la langue ne fera sans doute qu’empirer la situation. "
C’est comme donner cours de cuisine, sans jamais aller dans une cuisine.
En d’autres mots, il n’y a pas assez de place pour la communication et l’apprentissage, estime le linguiste : "En tant qu’enseignant, on doit faire des choix didactiques pour maximiser l’exposition à la langue dans un contexte très défavorable, certainement pour le néerlandais. "
Selon le chercheur, l’enseignement des langues gagnerait donc à sortir de la classe et des manuels : " Il faudrait pour cela revoir l’organisation de l’année scolaire afin de permettre des séjours en immersion dans un environnement néerlandophone, y compris pour les enseignants. "
Problème de société
Rendre obligatoire le néerlandais dans les classes wallonnes risque aussi d’être mal accueilli auprès des parents : " De plus en plus d’élèves choisissent l’anglais, car les parents trouvent que cette langue est plus importante que le néerlandais : elle est beaucoup plus utilisée dans le monde", constate Joseph Thonon de la CGSP.
Eloy Romero Muñoz pointe aussi le rôle des parents : " Si les enfants n’aiment pas le néerlandais, l’imposer n’y changera rien. Quid des parents qui influencent, selon moi, ce que leurs enfants pensent aussi ? Il est un peu injuste d’attribuer le désamour pour le néerlandais à l’enseignement uniquement. C’est comme si on demandait à l’enseignement de résoudre un problème de société. "
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Le didacticien des langues ne comprend par ailleurs pas pourquoi on invoque en premier un argument pragmatique pour réconcilier les francophones avec le néerlandais : " Il y a un intérêt objectif à apprendre le néerlandais et pourtant les gens ne le font quand même pas. Ça ne fonctionne pas avec des adultes, pas avec des ados. C’est pourtant un vrai passeport pour l’emploi. C’est donc que cette approche pragmatique ne fonctionne pas. "
Parcours d’obstacles
En attendant, la ministre de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles, Caroline Désir (PS) s’exprime via son porte-parole sur une éventuelle obligation du néerlandais comme première langue en Wallonie : " Lorsqu’il s’est saisi du dossier à l’initiative de Caroline Désir, le conseil des ministres a estimé que l’organisation de ce débat n’était pas indispensable et que la question pouvait être tranchée en son sein. "
Paul Magnette, président du PS, avait quant à lui expliqué dans l’émission Terzake (VRT) en octobre : " Les trois partis sont d’accord sur le fait d’imposer le néerlandais comme deuxième langue. Mais nous sommes confrontés à un problème : trouver plus de professeurs de néerlandais. "
Trouver plus de professeurs de néerlandais, l’épine dans le pied de la ministre Désir. À ce sujet, elle a commandé une étude visant à objectiver la capacité de la Fédération Wallonie-Bruxelles et du système scolaire à absorber une décision de généraliser le néerlandais ou l’allemand : " Ce travail est en cours de finalisation et le dossier devrait être remis sur la table du gouvernement dans les prochaines semaines. "
En somme, imposer le néerlandais (ou l’allemand) aux Wallons permettrait de réduire le nombre d’élèves qui n’ont jamais appris un mot de néerlandais pendant leur scolarité (à condition de trouver suffisamment d’enseignants).
Mais, même si le néerlandais devient obligatoire, ce ne sera pas forcément une garantie de réussite si on ne change pas la manière de donner cours. Il faudra donc encore franchir de nombreux obstacles avant que les élèves wallons ne deviennent réellement " tweetalig " (bilingues).