Belgique

Les entreprises de travail adapté sont-elles menacées en Belgique ?

L’Atelier, une entreprise de travail adapté située à Namur.

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Le 17 mars dernier, la direction de Manufast située à Berchem-Sainte-Agathe, la deuxième plus grande entreprise de travail adapté (ETA) en Région bruxelloise, a annoncé son intention de procéder à un licenciement collectif. Sur les quelque 380 travailleurs, 100 vont ainsi perdre leur emploi.

Pour l’entreprise, cette situation est liée aux circonstances suivantes :

- Une crise économique qui persiste : la crise du Covid suivie de la hausse des prix (conséquence de la guerre en Ukraine) ;

- Le succès grandissant du digital mettant à mal le carnet de commandes de l’entreprise puisque les entreprises n’envoient plus de brochures, mais des mails ;

- La cyberattaque dont a été victime Manufast et qui lui a coûté très cher.

Mais est-ce que cela veut dire qu’il faut aussi s’inquiéter pour les autres entreprises de travail adapté (ETA) ?

Une centaine d’ETA en Belgique

La Belgique compte un peu plus d’une centaine d’ETA, anciennement appelées "ateliers protégés" :

Répartition par province des entreprises de travail adapté en Belgique.
Répartition par province des entreprises de travail adapté en Belgique. © Julie Coremans – RTBF

Leur objectif premier est la mise à l’emploi des personnes en situation de handicap (physique ou mental). Et cela de manière provisoire ou définitive.

Mais vous allez le voir en fonction des régions, les réalités sont différentes.

La réalité des ETA en Région bruxelloise

A Bruxelles, il y a 12 ETA, ce qui correspond à 1800 emplois, explique Benoit Ceysens, directeur et fondateur de la Ferme Nos Pilifs, et président de la FEBRAP, la Fédération bruxelloise des Entreprises de Travail Adapté.

Et la situation n’est pas au beau fixe, reconnaît-il : "En 2022, on a eu besoin d’une aide importante de la COCOF (Commission communautaire française de la Région bruxelloise, ndlr), 2 millions d’euros, pour arriver presque à l’équilibre dans la plupart des ETA. Mais certaines, malgré cette aide, sont restées en négatif". Et pour 2023, ils vont devoir solliciter des aides supplémentaires.

En cause : la crise économique qui touche toutes les entreprises et donc, les marchés se font plus rares. Mais aussi la concurrence des prisons qui proposent les mêmes types d’activités pour un moindre coût.

"On ne veut pas empêcher les prisonniers de travailler mais les prix pratiqués par la Régie du travail pénitentiaire sont tels que cela fait une forte concurrence. Et donc, si on reste dans ces métiers-là, on ne va pas s’en sortir. Il faut que l’on fasse une reconversion du secteur dans des métiers plus porteurs et plus inclusifs."

Et de citer en exemple une ETA, spécialisée dans le brochage : "Elle ne fait que ça. Le million de catalogues IKEA sortait de chez eux. Mais Ikea passe au digital, il n’y a plus de papier, c’est un million de catalogues en moins à faire chez nos collègues. Ils doivent se réinventer, trouver un autre métier."

Il faut dire que le modèle des ETA à Bruxelles date de 1963, "avec du conditionnement et des grandes chaînes de travail, etc. Alors qu’à Bruxelles, il n’y a plus ou quasiment plus d’industrie. Donc on doit se réinventer, rentrer dans des métiers de service et ça, c’est une tout autre logique d’entreprise qui va demander une refonte structurelle plus importante."

La FEBRAP est d’ailleurs en train de commanditer une étude, avec la COCOF, pour analyser la situation socio-économique des ETA à Bruxelles et créer un "New Deal".

Et pour Benoit Ceysens, cela passera donc par des reconversions. D’ailleurs, "il y a en a qui garde la tête hors de l’eau et ce sont celles qui sont les plus actives dans le jardinage, du service local qu’on ne délocalise pas, qu’on ne peut pas placer en prison, dans lesquels on peut pratiquer des prix du marché. Mais avec le pouvoir d’achat qui diminue, peut-être que les gens ne vont plus faire appel à nous et qu’ils vont tondre leur pelouse eux-mêmes…"

Il faut aussi, selon lui, penser davantage à des partenariats plutôt qu’à de la sous-traitance.

Une situation "moins dramatique" en Flandre

En Flandre, la réglementation sur les entreprises de travail adapté et la réglementation sur les ateliers sociaux (qui font de l’insertion des personnes éloignées du travail, pas spécialement des personnes en situation de handicap) ont fusionné. Il n’y a plus de distinction entre les ETA et les Ateliers sociaux (ce que nous avons encore en Wallonie). On parle donc de "maatwerkbedrijven", des "entreprises sur mesure", en français.

Il y en a 120 au total, ce qui correspond à 20.000-25.000 emplois. Parmi elles, 47 ETA.

Ici, "les difficultés, ce sont surtout les prix de l’énergie mais aussi le malaise économique global. Les ETA travaillent pour des entreprises qui ont elles-mêmes des problèmes économiques et donc elles ne donnent plus de travail aux ETA", explique Nathalie Colsoul, chargée de communication chez Groep Maatwerk, la Fédération flamande des Entreprises de Travail Adapté.

Autre problème : "Avant, il y avait beaucoup de travail d’emballage, mais cela est en train de disparaître car les supermarchés cherchent d’autres solutions, plus écologiques. Nous cherchons donc des alternatives durables, mais ce ne sera jamais les quantités d’autrefois. On essaie aussi de se diversifier."

Malgré tout, la Flandre semble avoir une longueur d’avance sur les autres régions. C’est en tout cas l’avis de Nathalie Colsoul qui affirme que ces dernières années, ces entreprises ont beaucoup investi pour se moderniser.

Et de citer en exemple, l’entreprise Buseloc, active dans le textile, elle confectionne des matelas. Là-bas, chaque employé a une tablette avec un programme qui leur explique, étape par étape, ce qu’ils doivent faire.

Au nord du pays, cela fait aussi longtemps que l’on joue la carte du partenariat plutôt que de la sous-traitance et cela semble fonctionner, même si elle reconnaît qu’il y a des gens qui sont actuellement au chômage économique, "beaucoup plus que l’année dernière en cette même période."

Mais ici, comme ailleurs, on cherche continuellement à se renouveler.

Un problème de main-d’œuvre en Wallonie

En Wallonie non plus les réalités ne sont pas les mêmes qu’à Bruxelles.

"Les réglementations sont différentes et la réalité territoriale leur permet d’avoir d’autres types d’activité", explique Gaëtane Convent, directrice de l’Eweta, la Fédération wallonne des entreprises de travail adapté.

"En Wallonie, on est plus dans des zonings industriels et commerciaux. Ce qui fait qu’on a parfois beaucoup plus de place et qu’on peut développer d’autres types d’activité", poursuit-elle.

Ce qui ne veut pas dire que les ETA wallonnes n’éprouvent pas de difficultés, mais elles ont "un peu les mêmes difficultés qu’ont toutes les entreprises classiques." Notamment à cause de l’augmentation des prix et tous les "challenges" vers une transition économique.

Mais elle le reconnaît : "Nous ne sommes pas à l’abri de voir une ETA mise à mal prochainement". Elle est d’ailleurs régulièrement interpellée par des directeurs d’ETA ces dernières semaines pour voir quelle activité abandonner ou redévelopper, mais aussi quels investissements faire pour diminuer les coûts structurels.

Reste un autre problème, spécifique à la Wallonie : la difficulté aujourd’hui de recruter des personnes en situation de handicap.

En cause, une nouvelle réglementation adoptée il y a deux ans et qui fait seulement sentir ses effets. Les conditions d’accès ont changé, elles sont plus strictes pour favoriser l’engagement des personnes très lourdement en situation de handicap, mais dans les faits cela pose un problème : "Il faut que la personne ne soit pas qualifiée, qu’elle ait raté son diplôme ou qu’elle n’ait pas trouvé un emploi alors qu’elle était en recherche pendant 5 ans", explique Gaëtane Convent.

"La difficulté, c’est que l’évolution de la société, des techniques et des machines fait qu’on est quand même obligé d’avoir des travailleurs qui ont la capacité d’avoir une certaine autonomie, ne fût-ce que pour faire fonctionner la machine. Ce qui ne veut pas dire qu’à côté de ces personnes-là on ne peut pas avoir des personnes plus lourdement en situation de handicap."

Certaines mises au point sont donc encore nécessaires. Ce qui n’empêche pas la fédération d’évoluer car c’est "un secteur qui ne peut pas se reposer sur ses lauriers".

Un projet de voyage inter-ETA est d’ailleurs sur la table. Un peu comme pour les compagnons bâtisseurs, en France, les travailleurs des ETA vont être invités à aller voir ailleurs comment leurs compères s’en sortent. "Une façon d’apprendre entre eux d’autres dispositifs", se réjouit Gaëtane Convent.

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