Les heures et les jours passent, et la situation ne s’améliore pas vraiment à proximité de l’aéroport de Kaboul où, espérant parfois un miracle, des milliers de personnes et de familles demeurent massées entre les barbelés qui entourent le périmètre séparant les talibans des troupes occidentales. De quoi prolonger le chaos qui y règne depuis une semaine, de quoi aussi rendre plus compliquées encore les opérations d’évacuations qui se poursuivent vers de nombreux pays : les Etats-Unis, bien sûr, mais aussi le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne ou encore la Belgique et même la Nouvelle-Zélande.
Et la multiplication de ces acteurs ne simplifie pas les choses : "On est vraiment dans un contexte extrême", explique Nicolas Gosset, chercheur à l’Institut royal supérieur de défense, "et cela pas seulement par rapport au contexte d’insécurité et militaire autour de l’aéroport mais aussi par le nombre des acteurs présents et impliqués sur le terrain. Pratiquement toutes les Nations qui sont membres de l’OTAN et même au-delà sont impliquées avec des mouvements sur l’aéroport. Il y a ensuite le nombre gigantesque de personnes qui sont concernées par les opérations d’exfiltration sur des fenêtres de temps qui sont somme toute assez limitées. La complication est donc réellement grande". A un point tel que les forces spéciales allemandes sont récemment sorties de la zone sécurisée de l’aéroport pour aller chercher en ville une famille de trois personnes qui ne parvenaient pas à rejoindre l’aéroport.
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L’opération aurait-elle pu être mieux préparée ? Selon Nicolas Gosset, "il existe des canevas de planification pour ce type d’opération dite NEO (noncombatant evacuation), ce sont des procédures de fonctionnement écrites, il y a un cadre de fonctionnement. Mais entre la théorie et la pratique dans un contexte aussi compliqué que ce qui se déroule pour l’instant à Kaboul, cela crée le grand écart auquel nous assistons, même si ce week-end, il y a eu une montée en puissance de l’opération".
Respecter le délai du 31 août est jugé "impossible"
Selon les chiffres communiqués par les Etats-Unis, 30.00 personnes ont été sorties d’Afghanistan par les avions militaires américains depuis le 14 août. Washington espère exfiltrer 15.000 Américains mais aussi 50.000 à 60.000 Afghans et leurs familles, et c’est dans cette optique que les Etats-Unis ont réquisitionné des avions de plusieurs compagnies aériennes civiles, qui ne décolleront pas de Kaboul mais aideront au transport vers des pays tiers comme le Qatar ou les Emirats arabes unis, afin d’accélérer le rythme des opérations. Plusieurs milliers de personnes ont aussi été prises en charge à Kaboul par les nombreux autres pays.
Car le temps presse. Samedi dernier, Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, a jugé "impossible" d’évacuer tous les collaborateurs afghans des pouvoirs occidentaux avant le 31 août, n’excluant toutefois pas que les Américains puissent "changer d’avis" et donc rester au-delà de cette date. C’est précisément ce que souhaitent le Royaume-Uni et la France, qui estiment nécessaire un délai supplémentaire. Ce lundi après-midi, Berlin a fait savoir que des discussions étaient en cours avec plusieurs partenaires pour garder ouvert l'aéroport afin de permettre les évacuations après le 31 août. A Washington, Joe Biden y réfléchit depuis hier, car la probabilité que les évacuations soient terminées fin août est vraiment faible. Il l’a répété lors de sa dernière conférence de presse, il espère ne pas devoir prolonger les opérations, mais c’est quelque chose qui est envisagé : "Il y aura donc ou bien un grand renoncement, prévoit Nicolas Gosset, ou bien une prolongation. Les Américains sont clairement en contact avec les talibans pour essayer de créer les conditions qui permettent d’effectuer le pont aérien mais ce qu’il faut noter, c’est qu’il y a un changement de ton de la part des talibans concernant ces opérations".
"Une ligne rouge" pour les talibans
Les talibans ont en effet fait savoir aujourd’hui de façon très claire qu’ils n’accepteraient pas de prolongation : " C’est une ligne rouge " a même dit le porte-parole taliban Suhail Shaheen, "le président Biden a annoncé que les Etats-Unis retireraient toutes leurs forces armées le 31 août. Donc s’ils prolongent, cela signifie qu’ils prolongent l’occupation, alors que ce n’est pas nécessaire. Si les Etats-Unis ou le Royaume-Uni demandent plus de temps pour poursuivre les évacuations, la réponse est non. Ou il y aura des conséquences". Voilà une porte qui semble être fermée.
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La formation du gouvernement à Kaboul va être déterminante
L’attitude des talibans dans les prochains jours mais aussi dans les prochains mois sera déterminante pour la suite : "Pour l’ensemble des parties concernées, l’idée qu’il faut avoir une forme de dialogue minimum avec les talibans est acquise", explique Nicolas Gosset. "Le critère de base qui semble se dessiner pour savoir comment on va traiter avec ce nouveau régime, c’est la nature du gouvernement qui se met en place. Ce qui va sortir des différentes consultations et négociations qui sont en train de se dérouler à Kaboul, à Islamabad et au Qatar permettra de voir si, effectivement, les talibans vont dans une posture totalitaire et exclusive ou s’ils s’ouvrent un minimum, cela va être un déterminant essentiel, même si l’Union européenne a clairement conditionné la libération des paquets d’aide à la reconnaissance d’un socle de respect des droits de l’homme. La formation du gouvernement à Kaboul va être déterminante, et il faudra voir aussi dans les régions et dans les provinces, comment agissent les talibans. Pour l’instant, la situation dans les provinces est pour l’instant beaucoup moins bien documentée que ce qui se passe à Kaboul et, de ce que l’on en sait, elle est extrêmement problématique. Il va donc y avoir beaucoup de facteurs de changements".
Le premier pourrait bien être l’attitude des nouveaux maîtres de Kaboul vis-à-vis des dizaines de milliers de personnes qui doivent encore être évacuées avant le 31 août. Selon l’AFP, les talibans n’ont en tout cas pas l’intention d’annoncer la constitution d’un gouvernement tant qu’il restera des soldats américains sur le sol afghan.