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Les excuses belges à la famille de Patrice Lumumba

Statue de Patrice Lumumba à Kinshasa, photo prise à l'occasion du 60ème anniversaire de l'Indépendance du Congo.

© Belga - AFP

Par Pascal Bustamante et Fabien Van Eeckhaut avec Maurizio Sadutto

Ce lundi 20 juin aura lieu la remise officielle d’une "relique" toute particulière. La Belgique remettra une dent, qui a appartenu à l’ancien Premier Ministre congolais Patrice Lumumba, à sa famille. Une cérémonie mi- privée, mi- publique, dans le cadre prestigieux du Palais d’Egmont, en présence du Premier Ministre Alexander De Croo, ainsi que d’autorités officielles congolaises.

Lumumba, cet ancien Premier Ministre congolais, avait été assassiné en 1961 dans des circonstances mystérieuses, qui impliquaient les autorités belges de l’époque.

Pourquoi le gouvernement belge en est-il arrivé aujourd’hui à organiser cette cérémonie ?

Retour sur une période sombre de l’Histoire de notre pays.

La force d'un discours

Nous sommes le 30 juin 1960. C'est la troisième fois que le Roi Baudouin fait le voyage jusqu'au Congo, alors encore belge. Mais la situation s'est dégradée, depuis ses deux premiers voyages, en 1955 et 1959. Il y a eu des émeutes, son gouvernement balbutiait des réponses hésitantes face à la crise. La route inéluctable vers l'indépendance se terminait ici.

Mais le discours du Roi ce jour-là, face à une assemblée congolaise, louait "le génie du colonisateur Léopold II". Il suscitera la réplique féroce du Premier Ministre congolais d'alors, Patrice Emery Lumumba :

Patrice Emery Lumumba, le 30 juin 1960 à Léopoldville, au Congo, lors de son discours à l'occasion de la proclamation de l'Indépendance de son pays.

"Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres. Qui oubliera qu'à un noir on disait 'tu', non certes comme à un ami, mais parce que le 'vous' honorable était réservé aux seuls blancs ? Nous avons connu que nos terres furent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort."

Une intervention qui ne sera pas passée inaperçue et qui aura traversé les années.

Mais dès les premiers jours de l'indépendance, le pays sombre dans le chaos. Patrice Lumumba est arrêté et rapidement envoyé au Katanga. Il sera exécuté et son corps sera détruit.

Les circonstances de cette exécution resteront un mystère pendant des années.

Premières excuses officielles

En Belgique, une commission parlementaire se penchera sur la responsabilité du pays dans la mort du Premier Ministre congolais. Quinze commissaires, dix-huit mois de travail, des auditions de témoins à huis-clos, des perquisitions, l'aide de quatre historiens pour défricher des archives inédites jusqu'au Palais… 

Le rapport de mille pages en deux tomes avait conclu à la "responsabilité morale" de certains membres du gouvernement et d'autres acteurs belges dans l'assassinat d'un Premier Ministre détesté à Bruxelles, destitué, arrêté, livré à ses ennemis dans une province en révolte au Katanga et aussitôt tué en janvier 1961.

Le 6 février 2002, à la tribune de la Chambre, dernier à s’exprimer après un débat sur le rapport de la Commission d’enquête parlementaire, le libéral Louis Michel, alors ministre des Affaires étrangères, déclarait :

Le 6 février 2002, le ministre des Affaires étrangères Louis Michel à la tribune de la Chambre.

"Le gouvernement estime dès lors qu’il est indiqué et convenable de présenter à la famille de Patrice Lumumba et aux familles des Messieurs Mpolo et Okito, et au peuple congolais, ses profonds et sincères regrets et ses excuses."

Enquête sur un assassinat ignoble

Léopoldville, Congo, 6 décembre 1960 : ses bras attachés derrière lui, le Premier ministre congolais évincé Patrice Lumumba est brutalement manipulé par des soldats.
Léopoldville, Congo, 6 décembre 1960 : ses bras attachés derrière lui, le Premier ministre congolais évincé Patrice Lumumba est brutalement manipulé par des soldats. © Bettmann Archive

Une enquête judiciaire continuera en Belgique. Elle permettra d'éclaircir les circonstances de la disparition du corps de Patrice Lumumba.

Fusillé le 17 janvier 1961 avec deux compagnons d’infortune par des soldats du Katanga, son corps a été découpé et dissous dans l’acide avec l’aide de "barbouzes" belges.

Parmi eux, le gendarme Gérard Soete. Peu avant sa mort en 2000, l’homme paradait dans les médias pour y raconter, sans remords, la fin de Lumumba, et montrer une balle et deux dents :

"Ce corps devait être scié en morceaux manipulables et jetés ensuite dans une cuve de 200 litres. Et le reste, nous y avons mis le feu."

En 2016, une dent - une seule - était saisie chez sa fille, après plainte "pour recel" du journaliste à qui elle l'avait montré. Une tragique relique qui allait demeurer conservée dans les greffes de la justice.

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Au final, l’assassinat de Lumumba n’est pas dû à son discours du 30 juin 1960 devant le roi Baudouin, comme certains le croient encore ; il n’est pas non plus le résultat d’un complot organisé minutieusement depuis la rupture avec la Belgique, le 14 juillet. C’est le résultat d’un lent processus par lequel une coalition large, mais hétéroclite, s’est engagée, en y voyant la solution possible pour régler la crise que traversait le Congo et surtout pour y conserver chacun son pouvoir ou son influence.

Les responsables belges sont intervenus directement ou indirectement de manière persistante pour affaiblir le gouvernement Lumumba, dès juillet 1960, contribuer à renverser le Premier ministre, obtenir son assignation à résidence et son incarcération, et faire réaliser le transfert de Lumumba au Katanga, où il sera assassiné.

Personne n’expliquera jamais ouvertement les raisons de cette politique, mais il est clair que Lumumba était considéré par ces responsables belges comme le leader congolais qui pouvait contrecarrer l’influence belge et occidentale au Congo indépendant.

Assumer ses responsabilités

A présent, la famille de Patrice Lumumba a demandé à récupérer les restes du Premier Ministre congolais. En septembre 2020, une décision de justice consentait à les lui restituer.

Une restitution qui peut sembler être une bien mince compensation par rapport à la responsabilité de la Belgique dans cette affaire, mais pour les descendants de Patrice Lumumba, elle possède également une valeur culturelle et symbolique :

Roland Lumumba, fils de Patrice Emery Lumumba.

"Comme chez nous, les Bantous, quand quelqu’un meurt loin de chez lui, et qu’on ne peut pas le ramener, on ramène au moins un peu de ses cheveux et ses ongles et on les enterre chez lui.", explique Roland Lumumba, son fils. "Donc, pour nous, c’est sa dépouille, et ça représente beaucoup pour nous."

En Belgique, un square a été baptisé du nom de Patrice Lumumba. Et il y a six mois, lorsque l'on commençait à évoquer la restitution de ses restes, un collectif a publié une carte blanche qui appelait à l'exercice de mémoire.

Ludo de Witte, un historien et sociologue flamand, est également co-auteur de cette carte blanche. Il est à l’origine tant de la recherche historique sur l’assassinat de Lumumba que de la redécouverte de la relique. Il explique l’importance de ne pas manquer cette occasion unique :

Ludo De Witte, historien et sociologue flamand, à l’origine de la recherche historique sur l’assassinat de Lumumba.

"Nous croyons que c’est un ‘momentum’, justement, pour faire le point sur cette situation. Pour assumer la responsabilité de la Belgique dans cet assassinat. Dans cette façon indécente de garder les restes de Lumumba ici en Belgique. Et d’en tirer toutes les conclusions concrètes et matérielles."

Entre autres mesures, une indemnisation substantielle pour la famille. Pour le gouvernement belge, il importe de respecter les demandes de la famille Lumumba. La restitution des restes de Patrice Lumumba sera un moment important dans les relations entre la Belgique et la République Démocratique du Congo. Selon l'entourage du Premier Ministre, il y tient, il sera présent et y prendra la parole.

In memoriam

Selon les autorités congolaises, et à l'heure où nous écrivons ces lignes, les cérémonies publiques d'hommage débuteront dès le 20 juin dans l'après-midi, à l'ambassade de la République Démocratique du Congo. Le lendemain, une autre cérémonie aura lieu au square Lumumba et le même jour, une cérémonie militaire est également prévue à l'aéroport de Melsbroek, lors du départ de la relique vers la RDC.

Une fois arrivée sur le sol congolais, la dépouille devrait alors faire le tour du pays : Lumumba-ville, Kisangani, Shilatembo... Ce sera l'occasion de diverses cérémonies et hommages dans des lieux qui auront marqué la vie de l'ancien Premier Ministre.

Un périple qui se terminera à Kinshasa, d'où sera initiée une journée de deuil national, et où un mausolée accueillera la dépouille de Patrice Emery Lumumba le 29 juin.

Un retour calculé au plus près, c'est-à-dire à la veille des commémorations de l'indépendance du pays, et qui devrait mettre un point final à plus de 60 ans de tensions historiques belgo-congolaises autour de la personne de Patrice Lumumba.

Séquence diffusée dans le JT du 19 juin 2022

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