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Les féministes victimes de Zoombombing : une technique pour les faire taire

© Getty Images

Par Camille Wernaers pour Les Grenades

Le 7 mars dernier, l’association féministe Le Monde selon les femmes, en collaboration avec le Collectif des femmes de Louvain-la-Neuve, présentait sa dernière publication sur l’écoféminisme, "Polyphonie écoféministe : entre terres et mèr·es".

"C’était un moment de fête pour nous, à la veille du 8 mars. Cela fait plus de 25 ans que nos associations collaborent. Nous étions très heureuses de présenter ce travail à l’intersection entre les luttes environnementales et pour les droits des femmes", souligne aux Grenades Agnès Bertrand Sanz, coordinatrice au sein du Monde selon les femmes.

L’événement s’est déroulé à la fois en présentiel et en ligne via la plateforme de vidéoconférence Zoom – une pratique qui s’est démocratisée durant la pandémie et permet la présence d’un public international. 50 personnes y participaient lorsque l’événement a dû être interrompu à la suite d’un Zoombombing causé par des hommes opposés aux mouvements et revendications féministes. Un zoombombing est une intrusion non désirée et perturbatrice dans une vidéoconférence, généralement effectuée par des trolls ou des pirates informatiques.

"Est-ce que c’est vrai que vous tuez des bébés ?"

Concrètement, les intrus interrompaient les invitées en criant des menaces, des insultes, notamment des "sales putes", ou des paroles inintelligibles, les empêchant de réaliser leur présentation. Lorsqu’une intervenante a parlé du droit à l’accès à l’avortement en Amérique latine, les "hackeurs" l’ont interrompue avec des "est-ce que c’est vrai que vous tuez des bébés ?". Les organisatrices ont dû couper le lien de la vidéo-conférence après la prise de contrôle de l’écran partagé par les hackeurs et la diffusion d’images pornographiques violentes.

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Ce n’est pas la première fois que le Monde selon les femmes se retrouve face à ce genre d’agression. En novembre 2021, un évènement en ligne qui réunissait une militante brésilienne et un militant congolais, toustes deux féministes, avaient déjà fait l’objet d’une attaque similaire.

Sophie Charlier, chargée de mission au Monde selon les femmes, était également présente à l’événement du 7 mars sur l’écoféminisme. Encore secouée, elle réagit : "Notre publication est née d’une recherche croisée entre des expériences de femmes en France, Belgique, Bolivie, Mexique, Brésil, Équateur et Sénégal pour préserver leur habitat et revendiquer leurs droits. L’écoféminisme est un mouvement pacifique, qui a pour boussole la justice sociale et environnementale. Ce genre d’attaques nous surprennent tant elles sont en décalage avec notre message."

Le cyberespace est un espace public où les femmes et particulièrement les féministes sont agressées

Agnès Bertrand Sanz reprend : "C’était d’autant plus violent que nous, nous étions dans un endroit discret qui accueille des femmes victimes de violence. Entendre des insultes faites aux femmes dans ce lieu était difficile. Il y avait aussi des messages racistes. Au début, nous avons culpabilisé, car nous avions laissé le lien vers notre réunion sur notre page Facebook, nous nous étions dit qu’il s’agissait d’un événement public où tout le monde était bienvenu. Puis nous avons compris que ce n’était pas notre responsabilité, nous sommes victimes de cette cyberattaque ! Le cyberespace est un espace public où les femmes et particulièrement les féministes sont agressées, et cela commence petit à petit à être reconnu. Nous devrions y être en sécurité."

Elle ajoute : "Pourquoi saboter deux ans de travail de cette façon ? C’est pour nous faire taire ! Et c’est facilité par le fait qu’ils sont derrière leur écran. Nous sommes néanmoins bien conscientes que cela est sans commune mesure avec ce que vivent les militantes environnementalistes et féministes dans certains pays d’Amérique latine, où elles sont assassinées."

"En tout cas, il faut dire que ces techniques ne fonctionnent pas car nous en sortons renforcées dans nos convictions écoféministes. On sert à quelque chose en portant ce discours et on va continuer à le faire", lance encore Agnès Bertrand Sanz.

Pas qu’en Belgique

Et ce type d’attaque en ligne concertée semble devenir un problème global. Au moins un autre événement féministe en a récemment été victime : l’événement "Sexisme en archéologie : des vestiges du passé aux enjeux actuels", organisé le 8 mars par le Bureau de l’Égalité de l’université de Lausanne, a également été la cible d’une cyberattaque, rapporte l’archéologue féministe Laura Mary, déjà interviewée par Les Grenades pour son travail de visibilisation des violences faites aux femmes dans ce milieu.

"Cette attaque prenait la forme d’un groupe d’une vingtaine d’hommes misogynes plus ou moins organisés qui se sont connectés à l’événement Zoom et qui ont essayé de déstabiliser les organisateurices, moi qui intervenais, l’intervenante et les participant·es en créant du chaos dans le but de faire stopper l’événement", explique-t-elle sur Twitter. "Les armes auxquelles ils ont recours sont simples mais elles peuvent se révéler hautement efficaces si on n’y est pas préparé : messages injurieux dans le chat, diffusion de sons parasites via micro, tentatives de prise de contrôle de l’écran des hôtes de la réunion Zoom, diffusion d’images scabreuses une fois la prise de contrôle réalisée."

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Un retour de bâton

Laura Mary rapproche ces attaques du concept de backlash, théorisé par Susan Faludi en 1991. L’autrice défend la thèse d’un retour de bâton en réaction aux avancées féministes. "Ce backlash peut être plus ou moins subtil (censure, moqueries, coups, etc.) et a pour but de reconquérir le pouvoir perdu ou menacé. Il faut dans tous les cas avoir conscience qu’il existe afin de pouvoir préparer au mieux la riposte", précise Laura Mary.

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Cela fait déjà des années que des groupes d’hommes masculinistes menacent des féministes ou perturbent leurs événements, des stratégies antiféministes étudiées notamment par le chercheur québécois Francis Dupuis-Déri et qui relèvent "d’une prise de pouvoir sur les femmes, sur les mouvements des femmes." Il écrit : "Des répondantes indiquent avoir assisté à des évènements publics qui ont été perturbés par des antiféministes, surtout lors des périodes de questions, alors que des hommes monopolisent le micro pour critiquer les féministes et revendiquer des ressources pour les hommes."

Ces techniques ne fonctionnent pas. On sert à quelque chose en portant ce discours et on va continuer à le faire

Que faire ?

Déjà confrontée à ces attaques auparavant, Laura Mary conseille : "Les 4 erreurs de débutant·e à ne pas commettre sont d’ouvrir la réunion à tous·tes sans y intégrer au minimum une salle d’attente qui permet de filtrer les entrées, de laisser traîner sur les réseaux sociaux l’heure et le lien de la réunion Zoom, de laisser ouvert les micros des participant.es, d’autoriser le partage d’écran aux participant·es. Si vous commettez une ou plusieurs de ces 4 erreurs et que votre réunion devient la cible d’un raid, d’abord restez calme. Expliquez en quelques mots aux participant·es désorienté·es ce qui est en train de se passer. Si vous avez accepté le contrôle à distance de votre écran par un autre participant : cliquez sur "arrêter le partage". Créez immédiatement un code d’accès pour la réunion. N’acceptez plus personne dans la réunion, bannissez toutes les personnes qui ouvrent leurs micros. Et 'don’t feed the troll', ne répondez pas dans le chat."

Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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