Les flèches empoisonnées de Prune Nourry au Musée des Beaux-Arts de Bruxelles

Eros et Thanatos

Un arc, une cible - qui est aussi un mamelon - et 888 flèches tirées vers la cible. L’installation réalisée en bois, plumes et laiton, est à la fois une attaque de la maladie vers le corps sain, mais aussi, à l'inverse, le combat personnel contre la maladie. Ou encore une représentation de la procréation: une métaphore de la course effrénée des spermatozoïdes vers l'ovule. L'arme pour donner la mort cohabite avec la flèche de Cupidon, incarnation de l'Amour et du Désir. L'amour, mais le corps amputé, la séduction menacée. 

Les cicatrices racontent l’histoire d’une personne et font aussi partie de la féminité, la beauté d’une personne.

Et dans l'esprit de Prune Nourry, à travers un corps attaqué, il y a une promesse de vie : la maladie suscite la créativité et l’espoir d’un renouveau. 

Equilibre des forces

Au-delà de la maladie et de la guérison, Prune Nourry s'intéresse aux mythes de l'origine, à la procréation et aux questions bioéthiques que posent la sélection de l’humain due aux avancées de la science. Deux de ses projets les plus importants, Holy Daughters en Inde et Terracotta Daughters en Chine sont axés sur le déséquilibre des sexes: comment depuis les années 80 on détournait les échographies pour sélectionner le sexe de l’enfant et avorter si c’était une fille. L'avortement sélectif pratiqué par un tiers de la population mondiale, Chine et Inde réunies, créant  un déséquilibre à l’échelle planétaire.

Pour Holy Daughters, premier volet d’un travail de plusieurs années en Asie, l'artiste conçoit plusieurs sculptures hybrides entre la vache, animal sacré et symbole de fertilité, et la fille, vecteur de fertilité mais non désirée, qu'elle abandonne dans les rues de New Delhi et récolte en photo et vidéo les réactions des habitants.

Pour le projet Terracotta Daughters en Chine, s'inspirant de la célèbre armée de terre cuite de Xi'an, Prune Nourry, aidée d'artisans-copistes, a créé une armée de 108 combattantes à partir du moule de 8 jeunes chinoises. D'abord exposée à travers le monde, l'armée a été enfouie en 2015 dans un lieu secret en Chine. Un site "archéologique contemporain" qui sera révélé en 2030, lorsque, selon les démographes chinois, le déséquilibre hommes/femmes aura atteint son maximum.

Résilience et ex-voto

Sous le titre générique Amazone Erogène, le Musée des Beaux-Arts présente l'installation dans le grand hall mais aussi 7 sculptures autour de la guérison et la fertilité. Prune Nourry voit cette exposition "comme une catharsis". Plusieurs pièces sont inspirées des ex-voto, ces plaques ou statuettes placées dans les lieux de culte en remerciement d'un voeu exaucé ou en demande (de guérison par exemple). L'ex-voto personnifie un espoir abstrait dans un objet. La femme miracle (2020) est inspirée des milagros mexicains qui représentent le morceau de corps dont on demande la guérison. Nourry a, elle, recréé un corps complet mais morcelé. "Sur cette idée que lorsqu’on est malade le système médical a tendance à vous morceler, avec tel spécialiste pour telle partie du corps, alors que le corps est un ensemble et composé aussi de l’âme" dit-elle.

Le rituel est lié à l’espoir. "Quand on est malade on espère guérir et on cherche une connexion avec l’éternité, l’éternel au sens large" confie l'artiste. Dans son langage plastique, elle décline trois objets qui sont tous symboliques de maladie et de guérison : la flèche objet de mort comme de défense, l'aiguille d'acupuncture qui rééquilibre le corps mais qu'elle utilise aussi de façon invasive comme une attaque de la maladie et le bâton d'encens, une offrande.

Le souci des sœurs de combat

Amazone Erogène est un projet en 3 volets : la gigantesque installation, Serendipity un film d’artiste et Aux Amazones, un livre pratique, conçu comme un outil destiné aux femmes atteintes d’un cancer du sein. Paru dans la collection Marabout de Gallimard, ce livre combine le récit d’épisodes de la maladie avec des conseils concrets. Prune Nourry souhaitait qu'il soit distribué gratuitement aux personnes concernées, via les services d’oncologie, les services sociaux mais aussi les bibliothèques publiques. Plus de 20.000 femmes en ont bénéficié à travers la France. L'opération a été financée par la vente des 888 flèches d'Amazone Erogène. Qui sont donc absentes à Bruxelles. Un vide empli de sens.

Prune Nourry, qui donne aussi des conférences et rencontre des experts de la santé, pose toujours un geste artistique fort qui place le discours en sous-texte, laissant le champ à diverses interprétations. Désormais, la maladie est un épisode de sa vie "qu'elle laisse derrière elle". L'artiste vient de donner un grand workshop au Nigéria dont le résultat, de nouvelles guerrières, sera montré à Lagos en novembre.   

Enfin, Amazone Erogène est aussi une chanson, composée par M sur un texte de Prune Nourry et Michel Pennac. 

L'exposition est à découvrir aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique jusqu'au 12 février 2023