On a tous des exemples en tête d'artistes qui écrivent pour d'autres dans la variété et dans la pop, de Jean-Jacques Goldman qui écrivait (et composait) pour Céline Dion à Partynextdoor qui a écrit notamment pour Rihanna. Mais ce principe est beaucoup moins connu et souvent mal vu dans le monde du rap francophone. Et pourtant la pratique existe ! Comment ça se passe ? Qui écrit pour qui ? Pourquoi ce tabou ? Et quelle plus-value pour la musique ? On a discuté ghostwriting avec trois hommes de l’ombre du rap.
Pour créer leur musique, certain(e) s rappeu (ses) rs s’entourent d’autres artistes. Au-delà du beatmaker qui assure la composition de l’instrumentale, il/elle peut faire appel à un topliner et/ou à un ghostwriter. Le topliner a pour mission de trouver des mélodies de voix sur l’intru en question. Le rôle d’un ghostwriter est d’écrire les lyrics (ou une partie) du morceau.
Un vrai tabou
Il n’est pas rare de voir un rappeur écrire pour un artiste de variété (comme Damso qui a écrit pour Louane, par exemple), mais on parle beaucoup moins des rappeurs qui font appel à des auteurs.
D’ailleurs, pour écrire cet article, nous avons contacté pas mal de personnes du milieu de la musique. Plusieurs rappeurs nous ont confirmé écrire pour d’autres artistes mais refusent d’en parler publiquement.
Cette frilosité à évoquer ce sujet n’étonne pas Fabb qui a commencé comme rappeur avant de devenir auteur et topliner. Il a bossé pour RK, Landy, Naza, H Magnum, GLK, Vegedream, Fally Ipupa… "Sur chaque projet, j’ai eu des rôles différents : des fois c’est plus de la topline, des fois c’est plus de l’écriture, explique-t-il. Tu as rarement une seule casquette d’ailleurs, mais quand tu es en studio avec des artistes, certains ont plus besoin de toi dans un domaine plutôt que dans un autre".
Les artistes ont vraiment ce côté : le rap doit venir de nous
Pour lui, le tabou autour du ghostwriting dans le rap est beaucoup moins présent aux Etats-Unis. "Là-bas, on a toujours été habitués à voir des sessions avec Jay-Z ou Timbaland mais il y a toujours 5-6 mecs qui traînent dans les fauteuils derrière, se souvient Fabb. Tandis qu’en France, on veut garder cet aspect street cred et c’est dommage au final. Les artistes ont vraiment ce côté : "le rap doit venir de nous". Pourtant écrire pour les autres, je suis sûr que ça se fait depuis longtemps".
Un avis partagé par Karmen. Lui a démarré en tant qu’artiste sous le nom de Tortoz, avant de se lancer dans le ghostwriting et la topline pour d’autres rappeurs. "Il y a des artistes avec qui je travaille qui s’en foutent complètement, mais d’autres préfèrent que ça reste confidentiel, explique-t-il. Moi je respecte vraiment ça. A chaque fois, avant qu’un morceau ne sorte, je demande toujours à l’artiste comment il veut que je parle de son morceau".
Et quand il ne peut pas communiquer sur le fait qu'il ait participé à la création d'un morceau, il préfère le prendre avec philosophie : "Des fois, tu es en club, et un son sur lequel tu as écrit passe, personne ne sait que c’est toi, mais toi tu le sais. Je trouve ça hyper stylé !"
Le premier artiste avec lequel Karmen a collaboré, c’est Mister V. "Parce que c’est mon ami, confie-t-il. Il m’a demandé de bosser sur son 2ème album. Je me suis vraiment pris la tête avec lui pour faire un album qui lui ressemble. Mais on a vraiment fait les trucs ensemble". Ils ont par exemple signé ensemble le morceau certifié platine "Jamais" en featuring avec PLK.