Faut que je vous raconte

Les grandes batailles en musique

Il faut que je vous raconte

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Par Vincent Delbushaye via

Il y a la grande Histoire. Il y a la grande Musique. Et parfois, les deux se rencontrent, se racontent et s’inspirent. Aujourd’hui, on vous emmène au cœur de la bataille, de plusieurs batailles à vrai dire, des confrontations qui ont marqué l’histoire, mais à des époques tout à fait différentes.

Ce qui va relier ces batailles entre elles, c’est qu’elles ont toutes été mises en musique, évidemment. Avec des moyens fort différents d’ailleurs, et propres à leur époque. Je vais en rappeler les circonstances pour nous permettre de nous rendre compte des différentes manières d’illustrer un conflit, que ce soit une éclatante victoire ou une amère défaite, car non, il n’y a pas que les vainqueurs qui chantent (même si c’est majoritairement le cas). Parfois, les chansons étaient produites dans le camp des vaincus. Après la bataille, quand les canons se taisent, c’est la musique qui commence à parler, et ce sont leurs histoires qu’il faut que je vous raconte.

La Bataille d’Azincourt, les anglais chantent leur triomphe

Anthology of poems by Charles of Orlans, made prisoner in Azincourt in 1415

Les Anglais ont chanté après avoir remporté la Bataille d’Azincourt en 1415, en défaisant l’armée française. C’est une bataille qui a mis fin à l’ère de la chevalerie : on s’est rendus compte qu’il était plus efficace d’utiliser des armes à distance plutôt que de chevaucher de lourds destriers en armure. En tout cas, les anglais l’avaient compris avant tout le monde et ils fêtaient leur victoire en chanson : C’est la Chanson d’Azincourt.

Marignan mise en musique...

Nous sommes pratiquement un siècle jour pour jour après Azincourt et la France a recouvré quelques de ses plumes, elle a appris de ses erreurs et c’est plutôt vers le Sud de son territoire qu’elle lorgne à présent. Nous sommes au matin du 13 septembre 1515, après d’interminables tractations (qui auront duré plusieurs mois), les émissaires du tout jeune Roi de France François 1er et ceux des mercenaires suisses qui défendaient alors le duché de Milan ne sont pas parvenus à se mettre d’accord. L’affrontement est devenu inévitable. Il faut dire que le tout jeune François 1er, qui vient d’avoir 21 ans la veille, doit encore faire ses preuves comme roi (en tout cas sur le champ de bataille). Il ne règne que depuis 8 mois et il a déjà hâte de se lancer dans ce qu’on appellera la 5eme Guerre d’Italie, puisque, comme tous ses prédécesseurs, il revendique lui aussi la propriété du Royaume de Naples et du Duché de Milan. Seulement voilà, les Milanais, soutenus par le pape, ne l’entendent pas de cette oreille. La bataille aura lieu dans le Nord de l’Italie, à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Milan, dans la plaine de Marignan. D’un côté, ceux qui se battent pour le Duc de Milan, les mercenaires suisses, jouissent de la légendaire réputation de leurs piquiers, sorte de fantassins munis d’immenses lances et capables de repousser n’importe quelle charge de cavalerie. Mais côté français, on a l’avantage du nombre, et surtout, l’avantage diplomatique. Il faut savoir qu’avant la bataille, François 1er avait déjà acheté la neutralité des espagnols et des anglais (pour n’avoir personne dans les pattes durant ce conflit), mais il avait aussi acheté celle de certains combattants suisses. Et oui, après tout, c’étaient des mercenaires et, les mercenaires, il suffit de les payer un peu mieux que le camp adverse pour retourner leur veste. La Suisse, à l’époque, est déjà une confédération, et tous les cantons peinent à se mettre d’accord sur l’attitude à adopter. Dans l’histoire militaire, c’est souvent le front le plus uni qui l’emporte et ce combat-ci était, il faut le dire, un peu gagné d’avance pour François 1er, même si, sur le terrain, la bataille fera quand même rage pendant 2 jours, obligeant les combattants à faire une pause pendant la nuit, et même à camper à moins de 100 mètres les uns des autres. Le lendemain, le 14 septembre 1515, l’issue du conflit ne fera plus aucun doute : victoire écrasante de l’armée française (un petit peu aidée par les Vénitiens il faut le dire, venus à leur rescousse), et tout ça laissera sur le champ de bataille plus de 10.000 tués côté suisse, et moitié moins côté français.

Miniature française extraite des 'Discours de Cicéron', manuscrit du 16ème siècle, par Étienne Leblanc, François 1er à la bataille de Marignan en 1515, Suisse.
Miniature française extraite des 'Discours de Cicéron', manuscrit du 16ème siècle, par Étienne Leblanc, François 1er à la bataille de Marignan en 1515, Suisse. © Photo by API/Gamma-Rapho via Getty Images

D’un côté, ceux qui se battent pour le Duc de Milan, les mercenaires suisses, jouissent de la légendaire réputation de leurs piquiers, sorte de fantassins munis d’immenses lances et capables de repousser n’importe quelle charge de cavalerie. Mais côté français, on a l’avantage du nombre, et surtout, l’avantage diplomatique. Il faut savoir qu’avant la bataille, François 1er avait déjà acheté la neutralité des espagnols et des anglais (pour n’avoir personne dans les pattes durant ce conflit), mais il avait aussi acheté celle de certains combattants suisses. Et oui, après tout, c’étaient des mercenaires et, les mercenaires, il suffit de les payer un peu mieux que le camp adverse pour retourner leur veste. La Suisse, à l’époque, est déjà une confédération, et tous les cantons peinent à se mettre d’accord sur l’attitude à adopter. Dans l’histoire militaire, c’est souvent le front le plus uni qui l’emporte et ce combat-ci était, il faut le dire, un peu gagné d’avance pour François 1er, même si, sur le terrain, la bataille fera quand même rage pendant 2 jours, obligeant les combattants à faire une pause pendant la nuit, et même à camper à moins de 100 mètres les uns des autres. Le lendemain, le 14 septembre 1515, l’issue du conflit ne fera plus aucun doute : victoire écrasante de l’armée française (un petit peu aidée par les Vénitiens il faut le dire, venus à leur rescousse), et tout ça laissera sur le champ de bataille plus de 10.000 tués côté suisse, et moitié moins côté français.

...Par Jean Daetwyler, et par Janequin

Leonardo da Vinci

Et les plus valaisans d’entre nous auront la main sur le cœur à l’écoute de "Marignan", l’Hymne officiel du canton de Valais composé par Jean Daetwyler et qui, au départ, rendait hommage aux combattants suisses valaisans engagés dans la bataille de Marignan en 1515. Alors côté français, Marignan a aussi été mis en musique, mais avec une œuvre tout à fait contemporaine à la bataille, puisqu’elle est signée Clément Janequin (et que Clément Janequin, il est né en 1485 et qu’il est mort en 1558). On raconte même qu’en 1515, il était au service de Louis de Ronsard (le père du célèbre poète), Louis de Ronsard qui était chevalier aux côtés de François 1er et où était Louis de Ronsard le 13 septembre 1515 ? Mais à Marignan bien sûr ! Il est donc possible que Clément Janequin, lui aussi, ait traîné ses guêtres du côté du champ de bataille et qu’il ait vu, qu’il ait assisté à la célèbre victoire française. Au point de la mettre en musique. Mais c’est la manière dont il va la mettre en musique qui va frapper les esprits. Une pièce vocale en deux parties qui commence par inviter l’auditeur ou le spectateur à le suivre : "Ecoutez tous, gentils Gallois, la victoire du noble Roi François". Voilà les premiers mots de cette pièce mais qui bientôt va passer du côté des combattants, comme pour leur donner plus d’énergie et de courage "Nobles, sautez dans les arçons, la lance au poing, hardis et prompts, comme lions ! Chacun s’asaisonne, la fleur de lys y est en personne". Ah oui parce qu’il faut vous dire que l’une des particularités de cette bataille, c’est que François 1er y a personnellement pris part, en chargeant à la tête de ses cavaliers. C’est une image de roi-chevalier qui ne le quittera jamais plus, à tel point que 3 ans plus tard, on créera une reconstitution de la Bataille de Marignan, mais au château d’Amboise cette fois, avec des milliers de figurants autour d’un château de bois et de tissu attaqué par des canons chargés à blanc, et en première ligne, notre bon roi François. Et pour la petite histoire, la reconstitution était orchestrée par un certain Léonard de Vinci. A la fin de sa vie, on en parlait toujours puisque sur son tombeau, c’est un bas-relief de cette victoire de Marignan qui est aussi gravée dans la pierre. "Suivez François, le roi François, suivez la couronne, sonnez, trompettes et clairons, pour réjouir les compagnons".

Ce qui a surtout frappé les esprits dans cette chanson, il faut le dire, c’est sa deuxième partie. On est ici au cœur de la bataille, mais plus question de décrire l’action avec des mots. Ce sont à présent les sons des épées qui s’entrechoquent dans des "Tric trac", des "zin zin", des "pa ti pa toc", il y a aussi les tambours qui les accompagnent, avec les "Ta ri ra ri ra ri ra reyne" et puis bien sûr les cris des soldats qui chargent, à grands coups de "Tous à l’étandart, à mort à mort ou courage" sans oublier les sonneries des trompettes qui les encouragent, c’est tout ça que Janequin dépeint, à grand renfort d’onomatopées dans la deuxième partie de sa "Bataille". Ce qui ne l’empêche pas de suivre toute une trame narrative, de la première charge des mercenaires suisses, en passant par les contre-attaques françaises, jusqu’au "victoire" final. Ah on est loin de la petite chanson de geste qui relate tout en poésie les exploits de telle ou telle couronne. Janequin nous emmène au cœur des combats !

Jusqu’au 19e siècle (un petit peu moins après, il faut le dire), les batailles étaient de véritables confrontations à terrain découvert, on parlait même de batailles rangées, avec deux camps qui se faisaient face sur un grand champ dégagé (qui avait cet avantage d’offrir une meilleure visibilité, une meilleure lisibilité aux stratèges des états-majors. Du coup, les batailles ressemblaient souvent à de grandes fresques concentrées en un même lieu et, par voie de conséquence, les musiques qui les illustraient avaient elles aussi quelque chose d’une grande fresque.

Tchaïkovski, témoin de guerre

Peter Ilich Tschaikovsky Seated

On va faire un gigantesque bond de presque 3 siècles en avant pour retrouver une autre illustration de bataille en musique. Nous sommes en 1882 à Moscou et dans la ville, on inaugure en grande pompe la Cathédrale du Saint-Sauveur. Elle s’appelle comme pour remercier " la Providence Divine, qui aurait permis à la Russie d’être sauvée de la destruction qui la menaçait " 70 ans plus tôt, à savoir la Grande campagne de Russie menée par Napoléon Bonaparte, en 1812. Pour l’occasion, on commande à Tchaïkovski une œuvre de circonstance qui raconterait l’histoire de la campagne de Russie et son heureuse issue (enfin, pour les Russes en tout cas). Le moins qu’on puisse dire, c’est que le compositeur n’est pas très emballé : " Il est impossible d’écrire sans répugnance une musique destinée à glorifier, dans son essence, quelque chose qui ne me plaît en rien. Ni dans le jubilé d’une personne de haut rang (qui m’a toujours été plutôt antipathique), ni dans cette cathédrale que je n’aime pas non plus, se trouve quoi que ce soit qui pourrait éveiller mon inspiration. " Ceci dit, Tchaïkovsky se fendra quand même d’une Ouverture solennelle retraçant, en musique, les différentes étapes de la campagne de Russie : de l’entrée en guerre des deux pays aux premières victoires françaises pour poursuivre avec la retraite (la fameuse Débâcle) des troupes napoléoniennes, jusqu’à la victoire finale, côté russe. Et tout ça nous amène donc le 23 juin 1812, à la frontière russe, quand l’armée française, forte de 440.000 hommes (c’est la plus grande armée européenne jamais rassemblée) se met en marche, direction Moscou.

Les Français en Russie

Dans un premier temps, les troupes françaises ont plutôt le vent en poupe : ils ne rencontrent pas ou très peu de résistance. Il faut dire que l’armée russe refuse de prendre le risque d’une bataille rangée et en gros, ils ne font que fuir dès l’arrivée des Français. Plusieurs fois, les Russes essayeront d’établir une position défensive forte mais, à chaque fois, l’avance française est tellement rapide qu’ils n’ont jamais le temps de terminer les préparatifs, ils battent donc toujours en retraite, mais en ne laissant systématiquement derrière eux que ruines et incendies. C’est ce qu’on appelle la politique de la terre brûlée : plutôt que de céder à l’ennemi la moindre arme ou la moindre opportunité de se nourrir, on brûle tout : le matériel, mais aussi les récoltes. Il est de plus en plus difficile de se réapprovisionner et l’armée française, bien que victorieuse, peine à trouver les forces pour continuer d’avancer. Il faudra que l’Empereur en personne joue de son charisme pour redonner le moral à ses troupes, en leur rappelant les récentes victoires d’Austerlitz et d’Iena. Regonflés à bloc, les Français s’imposent à Smolensk et à la bataille de la Moskova, en septembre 1812. La route leur est tout ouverte pour arriver à Moscou, située à 125 kilomètres de là. Côté musique, chez Tchaïkovsky, on illustre ces victoires françaises par l’emploi de la Marseillaise et dès le début, on sent bien tout l’empressement français à marcher vers l’Est, à une vitesse telle que l’armée tricolore semble tout simplement inarrêtable.

La Bérézina

Portrait de Alexandre II

Quand les français entrent dans Moscou, la ville est pratiquement désertée et vidée de toutes ses provisions. Bien maigre butin pour Napoléon, d’autant qu’il n’obtient pas non plus la capitulation de l’ennemi. Tout au plus un armistice temporaire – ce qui aura sans doute été la plus grande erreur de la France puisque la saison avançant, c’est un ennemi bien pire qu’il va falloir affronter, à savoir l’hiver russe. Le tsar Alexandre est persuadé que les grands froids vont obliger les Français à évacuer l’empire. Force est de constater qu’il aura eu raison : après les terribles incendies qui ont frappé Moscou au départ des russes, la ville est détruite à presque 90%. On ne sait même plus s’y abriter ! La retraite est inévitable, même si elle tombe au plus mauvais moment (nous sommes début novembre et les températures descendent déjà jusque -22°c). Les attaques incessantes de petites escouades de cavaliers cosaques, ajoutée au froid terrible et à la faim, commencent à entamer le moral des troupes françaises. Depuis quelques jours déjà, on a sacrifié le peu de chevaux encore en vie pour pouvoir se nourrir, abandonnant du coup les canons et les chariots devenus intransportables. Les cavaliers marchent, l’empereur lui-même descend de sa voiture 2 ou 3 fois par jour pour marcher aux côtés de ses hommes et – qui sait peut-être – soulager ses propres chevaux. C’est à ce moment-là aussi qu’on dénombre le plus de désertions dans le camp français, on rapporte même quelques scènes d’anthropophagie, c’est vous dire. Côté musique, chez Tchaïkovsky, on suggère ce retournement de situation par une musique plus posée, un diminuendo qui va amener 2 thèmes issus de chants populaires russes, comme pour montrer que petit à petit, à force de patience, la Grande Russie finit toujours par triompher. Au matin du 25 novembre 1812, l’armée française (ou plutôt ce qu’il en reste) arrive en vue d’un fleuve qu’il va falloir franchir, et dont le nom est resté tristement célèbre : c’est la Bérézina.

Une fin inattendue

Malgré les attaques répétées de l’armée russe, le gros de l’armée française parvient à tenir l’ennemi à distance et à franchir la Bérézina. Militairement parlant, Bérézina est donc une victoire française (Napoléon la définira même comme une bataille victorieuse menée dans une campagne perdue). Ils ont évité l’anéantissement en franchissant le fleuve et en en détruisant l’accès juste derrière eux. Seulement voilà, que de monde auront-ils laissé de l’autre côté de cette Bérézina, à l’heure de détruire ces ponts ! Tous les soldats blessés, malades ou simplement retardataires n’auront d’autre choix que de se ruer sur les ponts ou de tenter la traversée sur un fleuve gelé mais dont la surface se brisera sous leurs pieds. C’est cet épisode qui donnera à cette Bérézina le synonyme de défaite et de débâcle. Quoiqu’il en soit, la campagne de Russie s’achevait là, au terme d’un retournement de situation comme seule la Grande Histoire peut nous en réserver. Côté russe, 70 ans plus tard, on fêtait l’événement à grands coups de cloches et de coups de canon. "Dieu sauve le tsar", l’hymne impérial russe, retentit, en opposition avec La Marseillaise entendue précédemment. Alors, malgré les sonorités absolument triomphales de cette dernière partie de l’Ouverture 1812, Tchaïkovsky dira " L’ouverture sera très explosive et tapageuse. Je l’ai écrite sans beaucoup d’amour, de sorte qu’elle n’aura probablement pas grande valeur artistique. "

La chanson de guerre devient critique

Ruins and desolation on the Chemin des Dames.
Ruins and desolation on the Chemin des Dames. © getty image

Plus le temps passe, plus la chanson qui parle de guerre va revêtir un caractère critique. On porte de moins en moins aux nues le courage des armées, la noblesse de leur chef ou les valeurs d’une patrie. On préfère se concentrer sur le destin misérable des pauvres soldats et sur l’absurdité, voire l’inutilité des conflits qui les ravagent. Tout ça va nous permettre d’évoquer une autre offensive, très meurtrière – tellement meurtrière qu’elle a laissé des plaies ouvertes encore aujourd’hui, je parle de la Bataille du Chemin des Dames. Nous sommes donc au mois d’avril 1917, au Nord-Ouest de Reims. C’est là que depuis 3 ans déjà, un conflit s’enlise, dans ce secteur qu’on appelle Le Chemin des Dames. Un nom bien romantique pour un lieu si funeste. C’est en tout cas sur cette ligne de front longue de 30 kilomètres que le Général Nivelle a décidé de concentrer tous ses efforts pour percer – tout simplement – les lignes allemandes, pourtant bien installées sur les crêtes. Il faut dire qu’ils étaient là depuis 1914, ils avaient eu le temps de bétonner leurs positions. Alors sur le papier, côté français, tout était réglé : des tirs d’artillerie allaient détruire à 80% les défenses ennemies, les chars (tout nouveaux à l’époque) allaient attaquer par les côtés et il ne resterait plus à l’infanterie qu’à gravir les collines et prendre les positions tout là-haut. Mais dès le début de l’offensive, les choses ne vont pas se passer comme prévu. La pluie, d’abord, qui va rendre le terrain boueux. Les bombardements imprécis qui, non seulement, vont à peine entamer les défenses allemandes, mais qui vont à tel point retourner, labourer le sol, qu’il sera très difficile d’y tenir debout. L’objectif de départ étant de progresser de 100 mètres toutes les 3 minutes est impossible à tenir. Les chars, ensuite, qui livreront là leur tout premier assaut de l’histoire militaire française, montreront à quel point leur technologie n’était pas au point : embourbés, difficilement manœuvrables, sans tourelle, mal blindés et avec des réservoirs de carburant mal protégés, il se font littéralement laminer par les mitrailleuses allemandes, et tout ça nous amène à l’un des pires bilans humains de ce conflit : environ 200.000 hommes tombés en l’espace de quelques mois et qui, au bout du compte n’auront fourni aucune avancée significative.

La Chanson de Craonne

En fait, le bilan de l’offensive du Chemin des Dames est meilleur (ou moins pire) que celui de toutes les attaques menées auparavant. Seulement voilà, après les sacrifices de la Somme et le bain de sang de Verdun, des pertes qui auraient été jugées acceptables en 1915 ne le sont plus 2 ans plus tard. C’est le début des grandes mutineries dans l’armée française. L’obstination des états-majors, les conditions de vie déplorables des soldats et la prise de conscience – lors de leurs permissions – qu’il existe une foule de planqués à l’arrière, aura raison du patriotisme, jusque là presque aveugle, de beaucoup de soldats. On estime que ces mutineries toucheront environ une soixantaine de milliers de soldats, et on sait aussi à quel point le commandement sera dur avec ceux-là (avec 3500 condamnations et pas mal de soldats fusillés pour l’exemple). Et il y a une chanson qui représente bien tout ça. Une chanson contestataire, évidemment, mais qui pour une fois, va directement faire référence à un lieu, presque à une date, puisqu’elle est écrite en 1917. C’est la Chanson de Craonne (le village de Craonne se trouvait sur ce fameux Chemin des Dames). Une œuvre qui sera forcément censurée en raison de ses paroles défaitistes (" on s’en va là-bas en baissant la tête "), antimilitaristes aussi (" Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes ") et surtout incitant à la mutinerie (" c’est bien fini, on en a assez, personne ne veut plus marcher, c’est fini, nous, les troufions, on va se mettre en grève "). On en connaît pas l’auteur (ou les auteurs) mais on sait qu’elle circulait sous le manteau dans les tranchées, apprise par cœur et répétées oralement de manière clandestine.

Une chanson pour le moins antimilitariste donc, et composée au cœur de la tourmente, en 1917, pendant l’offensive du Chemin des Dames. Voilà qui nous aura mené, au fil de l’Histoire, à la rencontre de quelques musiques qui parlent de guerre, certaines avec le frisson du patriotisme, d’autres avec celui du désespoir et la remise en question de la guerre elle-même. Ce sont toutes ces histoires-là qu’il fallait que je vous raconte. "

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