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Les héros des uns sont-ils forcément les zéros des autres ?

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Par Olivier Marchal avec Garance Fitch Boribon

Si je vous dis qu’elle s’est levée contre la ségrégation en s’asseyant dans un bus en Amérique ? Vous me direz Rosa Parks.
Si je vous dis qu’il a offert la civilisation et la croissance économique à l’Afrique ? Vous me direz le Roi Léopold, évidemment.
Deux salles, deux ambiances et à écouter leurs fan-clubs respectifs : tous deux seraient des héros.
Une question surgit alors : " les héros des uns sont ils forcément les zéros des autres ? "
Quelques pistes de réponses pour avancer proposées Olivier Marchal, sociologue et directeur de la Cité des métiers de Charleroi.

Comment expliquer qu’il soit si difficile de se mettre d’accord ?

C’est très simple : prenez trois retraités. Anglais, Français et Wallon, et demandez-leur si Napoléon est un héros ?

L’Anglais va rire…
Le Français, quant à lui, vibrera de tout son être patriotique…
Et le Wallon ne dira rien, lui qui n’en a aucun.

Pour comprendre comment une même personne peut être vue de manière si antagoniste selon qu’on se situe dans une communauté ou un autre, un petit coup d’œil dans le rétroviseur est nécessaire.

Avec Jeanne d’Arc, que la gauche anticléricale hissa au rang de héros, avant de devenir ironie de son propre sort, héros absolu de la Droite Ultra religieuse Française, appelée " au secours " par l’ancien président du Front National, dans une vidéo devenue virale.

On comprend de la sorte et très rapidement qu’une société (ou une communauté) ne fabrique que les héros qui vont " lui servir " à confirmer et conforter l’image qu’elle entend donne d’elle à travers des processus qui vont lui permettre de se réaffirmer en tant que groupe, unis, souvent soudé contre un ennemi et porté par des héros qui portent sa cause, sa couleur et ses valeurs.

Conclusion : Gaston Bachelard, célèbre philosophe des sciences avait raison :
Rien est donné… Tout est construit ! "

Les héros seraient des constructions sociales ?

L’Histoire n’est en fait autre chose que l’occasion pour la société de " se la raconter "…
Et pour ça, il lui faut :

  • Sélectionner (souvent embellir) les récits, les héros qui vont dans le bon sens, entendu celui du pouvoir qui la produit.
  • Tout en " décidant d’oublier " les massacres, les persécutions, les génocides et autres extinctions organisées.

 

On apprend donc beaucoup sur nous des héros dont nous héritons, mais également de ceux que produisons en ce moment.
 

Produit-on aujourd’hui des héros comme on le faisait hier ?

Si le processus reste le même : 3 changements majeurs sont en cours et dont on mesure encore mal aujourd’hui, leur puissance respective et combinée.

 

1er changement : Moins de missiles, plus de langage. La mondialisation de la démocratie a fait des images et des mots les armes d’un nouveau champs de bataille : celui des opinions publiques et au travers : celui des droits sociaux et environnementaux.

 

2ième changement : les femmes ont enfin droit au titre de héros ! Ce fut long. Et ce n’est pas encore gagné. Une héroïne porte aujourd’hui toujours une cause de plus que son pendant masculin. La cause qu’elle défend et le fait d’être une femme qui parle publiquement.

 

3ième et dernier changement : L’hypervitesse

Les imaginaires ne peuvent pas aller plus vite que l’information. Et depuis ces deux dernières décennies, en la matière, les choses se sont violemment accélérées.
 

Avec accès direct à la parole et à la médiatisation, "héros et réseaux sociaux" font "cause commune", et c’est ainsi que, portée par le concept de viralité, chaque communauté se construit ses héros en temps réel, à travers un processus de catharsis, frôlant parfois l’euphorie, et retombant souvent très vite, après " usage ". Souvenons il y a peu, ces héros du quotidien de la première vague du coronavirus. Aussi vite applaudi qu’oublié ou renié depuis.


Cette vitesse, est indubitablement une opportunité pour les causes et les gens qui n’ont ni droit ni voix au chapitre.

C’est aussi un danger pour l’unité sociale. Car si chacun bien enfermé dans sa bulle affinitaire, se met à vénérer son petit superman, c’est la notion même d’universel qui glisse à la poubelle !

Faut-il trancher ? Qui est un héros et qui ne l'est pas ?

Quand Louis Michel évoque le héros Léopold, c’est rempli d’un imaginaire de la suprématie occidentale et blanche. Imaginaire qui continue de coloniser nos structures de pensées et d’actions.

Mettre à nu nos héros et nos rois n’a donc rien d’indécent, c’est là le cruel processus de l’Histoire et de la construction permanente des représentations sociales.

Et, c’est exactement ce qui se joue en ce moment, de Belgique en Amérique…

Car la Fin de l’Histoire, théorisée dans l’effroi par Fukuyama, aura donné naissance au concept de société de projets, moins guidée par l’obsession des racines, et entièrement portée vers la quête commune d’une juste destination.

Alors pour ça, il va falloir se retrousser les manches, et construire de nouveaux héros. Des femmes, des hommes, des gays. De toutes les couleurs, et de tous les parcours.

Des héros qui nous rassemblent parce qu’ils nous ressemblent.

Des héros qui, comme Anna, héroïne du très mythologique " la Reine des Neiges 2 " apprenant par la voix de la passée, que son Roi de père, a trahi les indigènes pour construire un barrage, saccager la nature et piller leurs richesses (aucun lien avec le contexte belge évidemment) se demande alors comment " tout réparer " avant de conclure en anglais, les joues mouillées de ces larmes qui font un engrais…

Then I’ll make the choice. To hear that voice. And do… the next right thing "

" Et je ferai le choix, d’écouter cette voix… Et de faire là, le geste… Le plus juste qui soit… ".


Appliqué au contexte belge ça donnerait : Soirée Disney au Palais Royal. Grosse discussion par téléphone avec la Reine de Neiges qui dirait : " Philippe, il ne tient qu’à toi de changer l’horizon en devenant Ce Roi-héros qui demanda pardon ! "

 

 

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