Chronique littérature

"Les jours sont comme l’herbe" de Jens-Christian Grøndahl : Et si le monde était en train de changer ?

© Gallimard – Ludovic MARIN / AFP

Par Sophie Creuz via

Dans son nouveau roman, "Les jours sont comme l’herbe", Jens-Christian Grøndahl place ses personnages face à des choix éthiques et personnels déchirants

Depuis son livre "Les Bruits du cœur" paru en français il y a une vingtaine d’années, nous suivons avec grande curiosité cet auteur danois dont toute l’œuvre est publiée par Gallimard et dans la collection Folio. Et de romans en romans, son écriture s’épure pour ne garder que l’essentiel. Qu’est-ce donc que cet essentiel ? Ce sont nos vies intimes et les choix que nous sommes amenés à faire. Ou plutôt dans quelle mesure il nous est loisible de choisir qui nous voulons être, où et comment nous voulons vivre. Et pour le dire, il donne à chaque fois la parole à un narrateur ou une narratrice, qui revient sur un épisode du passé par le biais d’un journal intime, d’une lettre ou d’une confidence faite à un tiers. Toujours avec pudeur, honnêteté et retenue.

Loyauté, conscience, fidélité à soi

"Les jours sont comme l’herbe", ce sont six courts romans, réunis en un seul volume. La plupart de ces "novellas", comme on les appelle, ces longues nouvelles, se déroulent au Danemark. Et si elles sont ancrées dans l’histoire de ce pays, dans ses traditions et dans l’évolution de sa société, de l’après-guerre à aujourd’hui, elles nous parlent bien évidemment aussi de nous, et de l’Europe face aux enjeux de civilisation.

La marque de fabrique de cet auteur, c’est qu’il aborde les grandes questions, celles de l’identité et de la liberté, au travers du prisme sensible de l’amour, du couple, de la vie familiale ou du village. Et on découvre que si jadis, l’église et le travail façonnaient les esprits et les comportements, et indiquaient les conduites à suivre, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Ce sont les réseaux sociaux, les modes, la consommation effrénée, la promesse du succès…

Jadis, ce n’était sans doute pas moins difficile, au sein d’une communauté de proximité de savoir qui on était, qu’aujourd’hui, où elles sont morcelées ou moins lisibles. Et c’est toutes ces questions qu’interroge subtilement cet auteur, à travers des événements qui engagent les personnages à rester ou partir, parler ou se taire en engageant leur responsabilité, à l’égard d’eux-mêmes et des autres.

Le titre du roman, "Les jours sont comme l’herbe", est également le titre d’une des nouvelles, la première et l’une des plus fortes, des plus secouantes, qui évoque une petite ville portuaire sous l’Occupation pendant la Seconde guerre mondiale. Nous suivons Lars, qui a treize ans, qui vient de perdre son père et qui se trouve en porte-à-faux entre sa mère et sa sœur, raidies par la religion et ses commandements.

Lars va devoir décider seul de ce qui convient de faire lorsqu’il va être confronté à un dilemme terrible. Il va se trouver face à un jeune fugitif, un Allemand échappé d’un camp danois au moment de la débâcle. Doit-il le dénoncer ou protéger ce garçon à peine plus âgé que lui et mal en point, quitte à mettre les siens en danger et à trahir ses convictions ? Ce n’est que bien plus tard qu’il apprendra le sort que son acte aura réservé à ce garçon qu’il n’a jamais oublié.

Ces nouvelles sont presque toutes passionnantes, parce qu’elles abordent la loyauté, la conscience, la fidélité à soi, qu’il faut parfois forcer, quitte à en payer le prix fort.

Des nouvelles également ancrées dans l’Europe d’aujourd’hui

Une autre de ces histoires se passe à Rome et aborde la question migratoire, en la replaçant dans une tout autre perspective. Et là encore, le protagoniste est un jeune garçon, qui nous interpelle et nous force à bouger pour ne pas laisser le terrain libre à la haine de l’étranger et au repli nationaliste. Mais tout cela nous apparaît à travers des événements privés, qui obligent chacun à se positionner, pour le meilleur ou pour le pire.

Dans une autre nouvelle encore, c’est une femme d’âge mûre qui nous parle, elle est déroutée par le choix de sa fille d’épouser les codes de la bourgeoisie clinquante et inculte, spéculative et improductive, aux goûts vulgaires, qui se sert des bienfaits de la société sans rien lui devoir en retour. Et on sent combien Grøndahl est attaché au modèle de la sociale démocratie, à la culture, à la beauté, à la notion de bien public et d’égalité des chances dont le Danemark a longtemps été le modèle.

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