Pour ce qui est de la façon de le faire : "Macron est la quintessence de l’élite à la française, note le directeur de SciencesPo Lille. D’un côté une aisance technique, une culture générale, un athlète de haut niveau préparé aux grands concours. La belle machine, toujours en forme au bout de trois heures, il ne lâche rien. Un athlète de décathlon".
Preuve de cette maîtrise, la conclusion du président candidat : assénée sans un seul coup d’œil à ses notes, qui utilise tout le temps imparti, deux minutes, à la seconde près, au contraire de sa concurrente rivée à son texte et qui gaspille les dernières secondes…
Condescendance
"Mais avec un côté arrogant, installé dans son fauteuil de manière décontractée, qui ne regarde pas trop son adversaire mais plutôt les journalistes. Il l’interrompt, la reprend, fait le maître d’école, a des petits sourires moqueurs, de la condescendance, du mépris…", ajoute Pierre Mathiot. "Le côté premier de classe, impressionnant qui ricane face à la besogneuse".
"Marine Le Pen semble être rentrée sur le terrain avec le souvenir de 2017 avec l’idée de sous-jouer pour ne pas tomber dans le piège et les lacunes de 2017. Mais ce qui fait qu’elle a été sur un faux rythme. Sur la Russie, elle part dessus la première en commençant par dire qu’elle est d’accord avec toute la position de Macron. Et ce qui m’a surpris, c’est qu’il ne dise pas : 'Très bien, merci' et qu’il lui met un Scud".
Si on l’interroge sur autre chose, elle est à poil !
Le côté mécanique et les fiches de Marine Le Pen semble l’avoir desservi, note le politologue : "Quand elle se trompe et qu’il la reprend, qu’il lui demande de préciser, elle ne ripostait pas. Elle ne rebondit pas. Je pense qu’elle avait la trouille. Elle avait des fiches devant elle, comme un élève besogneux qui a appris par cœur sa leçon mais qui sait que si on l’interroge sur autre chose, elle est à poil !".
Un débat long comme un repas de mariage
La forme du débat, un long parcours à travers toutes les thématiques des campagnes des deux candidats pose aussi question.
"Ce n’était pas un débat projet de société contre projet de société, fait remarquer Pierre Mathiot. C’était le résultat d’un compromis entre les équipes des deux candidats autour de l’organisation du débat."
Les questions, les temps de parole, la scénographie, y compris la température du studio : tout avait été convenu. Mais la formule est sans doute un peu usée. "Comme un long repas de mariage, où la liste des plats est hallucinante et où après quelques plats, une partie des gens ont quitté la table."
La laïcité, l’immigration, la sécurité sont dès lors des "plats" qui arrivaient un peu tard dans la soirée, à l’heure où beaucoup de téléspectateurs avaient déjà décroché.
Sur le plateau aussi, la fatigue s’est fait sentir. "Il y avait de plus en plus de communication non verbale chez Marine Le Pen au fur et à mesure du débat, de plus en plus à se recoiffer, à se frotter les mains, des manières de manifester sa fatigue. Et c’est vrai que sur le voile, elle aurait pu attaquer. Et lui, il a attaqué en parlant de guerre civile. Il y a quelques années, elle aurait bondi."
Un débat peu suivi, avec peu d’impact
Pierre Mathiot insiste sur le fait que ce type de débat ne modifie pas en général l’issue de l’élection présidentielle : "Il n’y a pas d’effet sur le rapport de force, sauf peut-être pour la dernière fois en 2017. Et, remarque importante, ce débat a été très peu regardé. 15,6 millions de téléspectateurs sur 49 millions d’électeurs, à peine 30% de Français en situation de voter. En 1988, avec 10 millions d’habitants en moins, il y avait eu 30 millions de téléspectateurs pour le débat Mitterrand-Chirac."
Cela repose la question de l’impact de ces débats qui semblent de moins en moins influencer le vote. La théorie de l’exposition sélective de Paul Lazarsfeld explique que la grande majorité des spectateurs de ce type de débat savent déjà pour qui ils vont voter.
Les deux candidats ont finalement pris peu de risques. Tous deux se sont adressés à leurs électeurs de premier tour, Emmanuel Macron se cantonnant à vouloir montrer que le programme de Marine Le Pen n’a pas fondamentalement changé à part sur la sortie de l’euro, dit Pierre Mathiot. "Je n’ai pas vu Le Pen mettre en cause le bilan de Macron. Elle a avancé quelques petits trucs, le nombre de chômeurs, l’endettement… Mais ensuite, on ne voit pas trop. Elle n’a pas été bagarreuse. Elle a eu peur de perdre les pédales."
En conclusion, cette formule de débat a-t-elle vécu ? Faut-il plusieurs débats au lieu d’un seul de 3 heures ? Se recentrer sur un débat entre deux visions de société ? Ce sont des questions que se pose Pierre Mathiot.
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