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Les midterms aux Etats-Unis : une histoire d’élections qui riment bien souvent avec sanction

Joe Biden et Barack Obama

© Ed JONES / AFP

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Par Jean-François Herbecq

Les Américains votent ce mardi. Des élections très importantes qui tombent à mi-mandat de la présidence de Joe Biden. Depuis deux ans, les démocrates ont une courte majorité à la Chambre des représentants et une seule voix de majorité, celle de la vice-présidente Kamala Harris qui compte double, au Sénat.

Tous les sièges de la Chambre sont en jeu et 35 sur 100 au Sénat. Mais dans le camp républicain, les espoirs sont très grands de reprendre la majorité dans les deux assemblées. Les sondages, qui se trompent souvent aux Etats-Unis, leur prédisent une nette victoire. Donald Trump en particulier souhaite une "vague géante" républicaine dans l’optique d’un retour à la présidence en 2024.

Si c'est le cas, la seconde moitié de la présidence de Biden risque de se révéler difficile dans un pays politiquement et culturellement ultra-polarisé. Plusieurs de ses politiques pourraient se voir bloquées ou limitées, et parmi elles, il y a le soutien apporté à l’Ukraine face à l’invasion russe. C’est le lot de tout président paralysé par un parlement hostile et de plus affaibli en cas de mauvaises performances du parti dont il est de facto le leader.

Comment les autres présidents américains se sont-ils comportés après avoir perdu des midterms et que risquent de devenir les politiques de Biden au cours des deux prochaines années ?

Midterms : des élections à risque dans 9 cas sur 10

Dans l’histoire des Etats-Unis, le parti présidentiel a perdu des sièges à la Chambre des représentants dans 37 cas sur 41 depuis 1860 et la mise en place du système à deux partis. Et en particulier lors de 17 des 19 dernières midterms.

Un gros recul du camp présidentiel n’est pas rare : sur 19 élections de mi-mandat entre 1934 et 2006, le parti du président a perdu en moyenne 26 sièges à la Chambre des représentants et un peu plus de trois au Sénat.

Sur cette période, seuls trois présidents ont réussi à ne pas perdre de sièges à la Chambre (Franklin D. Roosevelt en 1934, Bill Clinton en 1998 et George W. Bush en 2002), et seulement six ont évité des pertes au Sénat (Roosevelt en 1934, John F. Kennedy en 1962, Richard Nixon en 1970, Ronald Reagan en 1982, Clinton en 1998 et Bush en 2002). Dans ces deux derniers cas, c’est la procédure d’empeachment pour affaire de mœurs lancée contre Clinton qui s’est retournée contre les républicains et les attentats du 11 septembre 2001 qui ont exalté le sentiment patriote en faveur de Bush.

On explique toutes ces pertes par la théorie du "Surge and Decline" (accroissement et déclin). Le parti du président mobilise moins facilement ses électeurs en général ces élections : ils sont soit trop confiants, soit désillusionnés.

Une autre théorie va dans le même sens : celle de l’élection-référendum, qui juge l’action du président après ses deux premières années. Or c’est souvent le moment des décisions impopulaires ou (le ressenti par l’électorat) de promesses non-tenues ou de compromis, et cela peut tourner au vote sanction. Les électeurs votent pour un contre-pouvoir fort face au chef de l’Etat.

Et conséquence d’un revers aux midterms : l’action du président est paralysée pour la seconde partie de son mandat

Obama et la perte de la majorité démocrate à la Chambre en 2010

L’exemple le plus récent remonte à 2010. Sous la première présidence de Barack Obama. En gagnant 63 sièges à la Chambre (et 6 au Sénat qui est resté démocrate), les républicains ont conquis une majorité à la Chambre, mettant fin à la domination démocrate du Congrès. Quatre ans plus tôt en effet, les Américains avaient offert la majorité au Sénat et à la Chambre au parti démocrate, deux ans plus tard, ils élisaient Obama.

Celui-ci a dès lors pu mener un début de présidence ambitieux: relance de l'économie, Obamacare (une assurance santé universelle, privée mais subventionnée pour les plus pauvres). Les politologues pensaient même que c’était le début d’une longue ère démocrate dans des Etats-Unis devenus une sorte de "paradis progressiste" comme l’écrivait la chroniqueuse politique Ann Friedman en 2008. Ils se trompaient.

Deux ans après son élection, Obama mobilise moins ou fait les frais d’une baisse de popularité au sein de la base qui l’a élu. Son parti subit donc ce désamour.

Barack Obama signe une loi
Barack Obama signe une loi © 2015 Getty Images

Dans le cas d’Obama, il faut encore ajouter le constat qu’il hérite en tant que président d’un pays en piteux état, notamment sur le plan économique et qu’il n’a pas la tâche facile. Le chômage en particulier n’est pas jugulé et fait un bond peu avant les midterms de 2010.

Les politiques lancées par Obama se heurtaient déjà à cette situation avant ces élections, après ce sera pire. Ses budgets 2011 et 2012 ne sont pas adoptés et le pays fonctionne aux dépenses courantes. Sur le plan des projets non aboutis, il doit se résoudre à dénoncer l'obstructionnisme des élus républicains, que ce soit pour sa volonté de réforme de l’assurance maladie ou pour le contrôle des armes à feu. Seule plume à son chapeau en cette deuxième partie de premier mandat, en 2011, un an avant la présidentielle, Obama peut annoncer la mort de Ben Laden : "Justice est faite". 

Truman et Clinton : confrontation ou compromis

Avant Obama, d’autres démocrates avaient vécu des revers aux midterms. Harry Truman qui avait succédé à Franklin Roosevelt à sa mort en 1945 essuie une défaite en 1946. Les démocrates perdent 54 sièges en faveur des républicains. Truman voit son "Fair Deal" (sa poursuite du New Deal, libérale avec des propositions en matière d’enseignement, d’assurance santé et d’emploi) bloqué. En vue de sa réélection en 1948, Truman choisit la voie de la confrontation, déplore l’obstructionnisme des républicains et qualifie le Congrès d’institution inerte. Il réussit toutefois à faire passer le plan Marshall et d’autres politiques ayant trait à la guerre froide.

Harry Truman
Bill Clinton

Une approche différente est celle de Bill Clinton qui, après 1994, a souvent choisi de gouverner au centre et de faire des compromis avec les républicains, dont celui sur la réforme de l’aide sociale adoptée en 1996. La perte encourue par les démocrates à la Chambre est identique, 54 sièges, on parle de "révolution républicaine". Ils vont pouvoir faire passer plusieurs points de leur programme comme la loi sur les télécommunications, une loi sur l’emploi et une sur le mariage. Par contre pour Clinton, son plan santé est un échec, mais son recentrage va lui permettre de gagner l’élection présidentielle de 1996.

Que pourra faire Biden face à un parlement républicain ?

Pour Joe Biden, le résultat de ces élections sera décisif : il risque de devoir gouverner avec une Chambre à majorité républicaine, prélude à un retour de Trump aux présidentielles de 2024. S'il perd, il n’aura plus que son droit de veto pour s’opposer aux décisions qu’il désapprouve. Seules les lois indispensables comme celle de financement pourront encore passer.

Quelques thématiques vont dominer les deux années à venir : la gestion de la crise Covid, le droit à l’avortement, la guerre en Ukraine et surtout l’économie, avec une inflation galopante sans parler de Trump, toujours en embuscade.

Si les républicains gagnent, ils voudront par exemple ouvrir des enquêtes sur la gestion de la pandémie par l'administration Biden, ciblant certaines des figures détestées par le mouvement antivax, comme le conseiller médical de la Maison Blanche, Anthony Fauci.

Ils devraient aussi tenter de mettre fin à la commission parlementaire d’enquête sur l’attaque du Capitole, qui pourrait mettre Trump en difficulté.

Ils pourraient aussi revenir sur l’interdiction des forages pétroliers et gaziers, orienter la politique en faveur de l'économie et non de l'environnement, de la sécurité au détriment du contrôle des armes à feu, de la limitation de l'immigration au lieu d'améliorer le système de santé...

En cas de victoire, le président et son parti veulent aussi voter une loi protégeant le droit de vote des minorités. Sur le climat, le président Biden veut maintenir un cap inchangé. Son plan climat est bétonné: pour le changer, les républicains auraient besoin d'une majorité de deux tiers, impossible. Plus question par exemple de sortir de l'Accord de Paris comme Trump l'avait fait.

Sur les relations commerciales avec l'Europe, il ne faut pas s'attendre à beaucoup de changement, les positions des républicains et démocrates étant fort proches.

Le flou sur l'Ukraine

Dans la guerre en Ukraine, les Américains jouent un rôle de premier plan en fournissant à Kiev de l'aide militaire, économique et humanitaire. Jusqu'à présent, les républicains ont soutenu cette aide. Mais si les Etats-Unis arrêtaient, l'Europe se retrouverait seule aux côtés de l'Ukraine.

Les républicains sont assez mitigés: pas de chèque en blanc pour les Ukrainiens mais certains disent toutefois vouloir aller plus loin que Biden en livrant des armes plus performantes.

L’enjeu de l’avortement

Au Sénat, 35 sièges sont en jeu cette année, dont 14 détenus actuellement par des démocrates, et 21 par des républicains. Les deux groupes sont actuellement à égalité avec la double voix de Harris pour les démocrates. Le Sénat est crucial pour Biden : il l’a constaté avec le blocage de son action par deux sénateurs récalcitrants, plusieurs fois opposés à ses projets. Joe Manchin, (Virginie-Occidentale) et Kyrsten Sinema, (Arizona), plutôt conservateurs sur le terrain économique, ont bloqué à eux seuls le plan de relance massif de Biden.

Pour le président, c’est l’occasion d’élargir sa majorité. Pour cela, il compte beaucoup sur l’enjeu du droit à l’avortement. Il promet de l’inscrire dans une loi fédérale, pour court-circuiter la décision de la Cour suprême, qui permet aux États conservateurs de l’interdire au niveau local (depuis treize Etats ont interdit totalement la procédure et cinq autres ont réduit les délais légaux pour mettre un terme à une grossesse).

Mais le droit à l’avortement risque d’être éclipsé par la préoccupation majeure des Américains à l’heure actuelle, l’inflation. Cinq Etats ont cependant choisi d’inscrire un référendum sur le droit à l’avortement au programme électoral de ce mardi, ce qui devrait mobiliser sur la question.

Le résultat des élections risque enfin de préfigurer celui de 2024 : Trump voit ce scrutin comme un test grandeur nature pour son retour. Non seulement, des républicains "deniers" qui contestent la validité du résultat de la présidentielle de 2020 risquent d’être élus, mais des gouverneurs pourraient être choisis dans leur camp qui seront ceux qui devront certifier ou pas le résultat de présidentielle de 2024.

Pour Nicole Bacharan, historienne et politologue franco-américaine, "Donald Trump a soutenu des candidats républicains qui, tous, devaient se soumettre à ce test et affirmer, eux aussi, que l’élection de 2020 a bien été volée. Aujourd’hui il y a un risque que les perdants ne reconnaissent pas leur défaire, ce qui fragilise la démocratie. Une démocratie ou les perdants refusent d’accepter leur défaite, ce n’est plus une démocratie."

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