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Les négociations sur le nucléaire iranien reprennent alors que l’enrichissement d’uranium en Iran n’a jamais autant inquiété les experts

Ali Bagheri Kani, vice-ministre iranien des Affaires étrangères et nouveau chef des négociateurs sur la question du nucléaire à son arrivée à Vienne, le 29 novembre 2021.

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C’est reparti pour un tour. L’accord nucléaire iranien est de nouveau sous les projecteurs avec la reprise, aujourd’hui à Vienne, des discussions après cinq mois d’interruption. Autant prévenir, l’ambiance autour de la table n’est pas au beau fixe.

Cet accord (le Plan d’action global commun, PAGC) négocié de haute lutte, puis signé en 2015 par l’Iran, la Russie, la Chine, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis, était le résultat d’un long processus diplomatique international, commencé en 2003, après que de forts soupçons pèsent sur la République islamique, en particulier sur sa volonté de se doter d’une arme nucléaire.

Pour les européens et les américains, ce contrat allait leur permettre – au moins - de maintenir un lien avec Téhéran, suffisamment pour imposer des mesures de contrôle sur la production de l’arme atomique.

Mais entre-temps, les termes de l’accord ont changé, puisqu’en 2018, Washington s’est retiré avec fracas, imposant des sanctions encore plus fortes à Téhéran.

Conséquences, dès 2020, l’Iran a annoncé qu’il s’affranchissait de l’accord, en ne s’imposant plus de limites pour l’enrichissement d’uranium. Et depuis février, Téhéran a considérablement restreint les inspections des agents de l’AIEA, l'Agence internationale de l’énergie atomique.

Pourquoi une ambiance si délétère ? Parce que la nouvelle équipe iranienne d’Ibrahim Raïssi a formulé des exigences qu’américains et européens jugent irréalistes. Elle réclame la levée de toutes les sanctions américaines et européennes imposées à l'Iran depuis 2017, y compris celles qui ne sont pas liées au programme atomique de Téhéran. "Il n’y a pas de négociations nucléaires", avait déclaré Ali Bagheri Kani, début novembre, le vice-ministre iranien des Affaires étrangères et nouveau chef des négociateurs sur la question du nucléaire.

Blocage donc, avant même de discuter. Les Etats-Unis participent de manière indirecte aux discussions.

L'Iran peut-il fabriquer une bombe nucléaire ?

Les récentes avancées en matière d’enrichissement d’uranium inquiètent les experts.

Partons du point de départ. D'après les termes de l'accord, l'Iran avait convenu de limiter le niveau d'enrichissement d'uranium à 3,67% pour un plafond de 202,8 kilos. Enrichi entre 3 et 5%, cet uranium sert à alimenter les centrales nucléaires pour la production d'électricité.

Mais en s’affranchissant de ses engagements, Téhéran a commencé à dépasser le plafond autorisé, en enrichissant toujours plus, jusqu'à atteindre aujourd’hui les 60%, tout près des 90%, nécessaires à la confection d'une bombe.

Ce n’est pas tout, pour la première fois selon les experts, Téhéran a développé de l'uranium métal, un matériau clé pour fabriquer une arme atomique. Tout ça assorti d’un plus grand nombre de centrifugeuses pour produire davantage, mieux et plus vite.

Bref, de l'avis des experts, l'Iran a parcouru 99% du chemin pour obtenir le matériau destiné à une bombe nucléaire. Les 90% d’enrichissement pourraient être atteint d’ici deux mois. Mais le matériau n’est pas suffisant, il faut ensuite de nombreuses étapes pour adapter l'arme sur un missile et faire fonctionner le dispositif correctement.

Téhéran ne se cache plus qu’il faudra compter l'Iran prochainement comme une puissance nucléaire, mais dément toujours vouloir se doter de la bombe.

Majid Golpour Docteur en Sociologie, chercheur associé CIERL (ULB).
Majid Golpour Docteur en Sociologie, chercheur associé CIERL (ULB). © Tous droits réservés

Un nœud gordien entre l’Iran et les Etats-Unis

Reprenons depuis le début. L’accord était censé limiter drastiquement le programme nucléaire de l'Iran en échange d'un allègement des sanctions économiques. Mais les Etats-Unis ont quitté unilatéralement le pacte en 2018 et rétabli les mesures punitives. En retour, la République islamique a progressivement abandonné ses engagements. Aujourd’hui, quels sont les points de blocage ?

"Téhéran réclame la levée de toutes les sanctions, il y en plus de 1400 de toutes sortes, c’est impossible", analyse Majid Golpour Docteur en Sociologie, chercheur associé CIERL (ULB). "L’administration Biden ne le fera pas, le Congrès ne le laissera pas faire".

Et d’ajouter, "Téhéran réclame aussi des dommages et intérêts pour compenser les effets économiques, socio-économiques, néfastes auprès de la population, qui sont la conséquences du retrait des Etats-Unis puis des sanctions. De leur côté, les américains ne reconnaissent pas que l’effet négatif, à la fois sur le plan domestique iranien et régional, est la conséquence de leur retrait".

"Sur le plan du droit international, le départ des Etats-Unis était parfaitement légal, puisqu’il ne s’agit pas d’un traité mais d’un accord politique", observe encore Majid Golpour. "Mais ces effets économiques, socio-économiques, auraient dû être examinés par la Commission des litiges du PAGC".

C’est à l’Europe de prendre le lead

Officiellement, la diplomatie américaine impose une pression maximale à l’Iran. Les discussions semblent totalement bloquées entre les deux pays. Mais dans les couloirs, d'intenses activités diplomatiques américaines sont mises en œuvre pour tenter de trouver un compromis.

"Pour parvenir à un accord, l'administration américaine travaille sur tous les fronts. Iranien, en premier lieu, mais aussi européen, russe et chinois", confirme Majid Golpour. "Les américains ont même envisagé d'inclure Israël - ennemi juré de Téhéran - dans ces discussions, avec l'idée d'un accord intérimaire ‘moins pour moins’. C’est-à-dire, qu’un gel de l’enrichissement d’uranium en Iran, entraînerait une levée des sanctions".

Mais dans un tel contexte, comment l’Iran accepterait-il de revenir au niveau d'enrichissement d'uranium à 3,67%, ligne rouge imposée par le PAGC ? Les américains vont-ils revoir à la hausse ce seuil d’enrichissement ?

L'un des scénarios envisagé par Washington serait, selon des diplomates, de négocier avec Téhéran un accord intérimaire sans date butoir qui serait valide jusqu'à conclusion d'un accord permanent.

"Un accord intérimaire entre américains et iraniens conduirait à un leurre, la République islamique iranienne, ne respectera jamais ses engagements", prédit Majid Golpour. "C’est un danger de laisser ces négociations entre les mains de deux pays fautifs. D’autant que le temps passe. Et plus il passe, plus Téhéran enrichit son uranium".

"C’est donc à l’Europe de prendre le lead. Elle ne doit pas seulement jouer un rôle de médiateur, mais de leader", recommande Majid Golpour. "Sur la question des dommages et intérêts, il faudrait que l’Europe analyse les chiffres économiques domestiques de l'Iran, au sein de la Commission des litiges du PAGC. Qu’elle présente ensuite la facture aussi bien à la République islamique iranienne, qu'aux Etats-Unis. C’est à l’Europe d’estimer les dommages causés par le retrait des Etats-Unis, et d’évaluer les demandes trop pressantes de Téhéran ainsi que son avancée dans l'enrichissement d'uranium. La Chine et la Russie devraient accepter, parce que tous deux voient un intérêt économique dans le rétablissement d’une meilleure santé économique de l’Iran. Tous deux réclament la levée des sanctions américaines sur l’Iran, pour favoriser les échanges économiques dans la région".

L'absence d'accord pourrait provoquer une réaction, prévient Israël, qui n'exclut pas une intervention militaire contre le programme nucléaire iranien.
 

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