Belgique

Les œufs de Pâques contribuent-ils à la déforestation en Afrique de l’Ouest ?

Les œufs de Pâques contribuent-ils à la déforestation en Afrique de l’Ouest ? Photo d’illustration.

© Getty Images

Par Africa Gordillo via

Les œufs en chocolat consommés ce week-end de Pâques seront-ils indigestes malgré leur délicieuse saveur ? Probablement pas mais la consommation de chocolat des Européens, Néerlandais et Belges en tête, n’est pas sans conséquence sur la déforestation en Afrique de l’Ouest où les cacaoyers poussent aussi vite que les œufs dans les jardins européens à Pâques. De quoi s’interroger sur la provenance du chocolat que nous mangeons et sur le chemin qu’il a parcouru avant d’être placé en bonne place sur les étals.

Les grands fabricants de chocolat se sont engagés dans des politiques de zéro déforestation. Le problème, c’est que la filière du cacao souffre d’un énorme déficit de traçabilité et de transparence, selon une étude publiée par Environmental Research Letters.

Une équipe d’une dizaine de scientifiques de l’UCLouvain a voulu aller plus loin en quantifiant précisément la déforestation et en traçant les chaînes d’approvisionnement en Côte d’Ivoire, le premier producteur mondial du cacao situé en Afrique de l’Ouest. Le pays compte un million de petits exploitants agricoles produisant deux millions de fèves de cacao chaque année, soit 40% de la récolte mondiale de cacao, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO).

© Malaurie Gallez – RTBF

Quantifier la déforestation

Pour ce qui est de la déforestation, le résultat est sans appel : les importations européennes sont allées de pair avec la déforestation de 838.000 hectares entre 2000 et 2015. Le coût environnemental est important, à l’image de la consommation européenne de chocolat. Les Européens sont en effet les plus gros consommateurs de chocolat au monde.

Par pays, les Pays-Bas consomment le plus de chocolat. Ils sont suivis des États-Unis et ensuite de la Belgique. Dans le même temps, les ventes de confiseries à base de chocolat augmentent : elles étaient d’un peu plus de cent milliards d’euros en 2019, soit une hausse de 33% en 2019, selon toujours selon la FAO.

Conséquence, de l’autre côté de la Méditerranée, au-delà du Sahara, les cacaoyères ivoiriennes ont grignoté 2,4 millions d’hectares sur la forêt entre 2000 et 2019. "C’est 125.000 hectares par an, soit la superficie du Brabant wallon", nous souffle Cécile Renier, chercheuse à l’Earth and Life Institute de l’UCLouvain et co-autrice de l’étude (à découvrir ici). D’autres cultures provoquent des dégâts, comme l’huile de palme ou l’hévéa (latex).

55% des exportations ivoiriennes de cacao non tracées

Les scientifiques ont utilisé les données publiées par les exportateurs pour évaluer la part du cacao qui peut être tracée dans toutes les exportations de 2019, des données collectées et en libre accès sur Trase : "Ce qu’on arrive à tracer jusqu’au premier acheteur – la coopérative de cacao en Côte d’Ivoire –, c’est moins de la moitié du cacao ivoirien (45%) alors que la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial", précise Cécile Renier, chercheuse à l’Earth and Life Institute de l’UCLouvain.

Autrement dit, plus de la moitié des exportations ivoiriennes de cacao (55%) ne sont pas tracées, soit parce que les négociants achètent le cacao indirectement auprès des intermédiaires, soit parce qu’ils ne donnent pas d’informations sur leurs fournisseurs. "Avec les données que les entreprises acceptent de publier, on parvient à tracer une partie du cacao seulement jusqu’à la coopérative c’est-à-dire même pas jusqu’à la plantation. Il y a un gros manque de traçabilité", poursuit la scientifique.

"C’est un vrai problème parce qu’il y a beaucoup de greenwashing autour du chocolat avec des entreprises qui vont mettre des labels de façon bien visible sur leurs emballages de manière à rassurer le consommateur ou la consommatrice, analyse Cécile Renier. Mais c’est seulement un petit pourcentage de la filière qui est couvert par le programme de durabilité et pas toute la filière".

© Malaurie Gallez – RTBF

Comme le montre le schéma ci-dessus, les agriculteurs vendent leurs fèves de cacao à des coopératives (pisteurs) ou à des intermédiaires qui revendent à des acheteurs locaux plus importants travaillant souvent sans aucune licence. Les exportateurs, eux, peuvent acheter directement le cacao auprès des coopératives ou des acheteurs agréés, ou indirectement auprès d’autres acheteurs avant d’exporter

Quelle transparence ?

Les recherches menées par l’équipe de l’UCLouvain portent aussi sur le manque de transparence de la filière du cacao en Côte d’Ivoire : "On ignore l’origine de 32% du cacao exporté en 2019. Aucune information n’est disponible sur ce volume-là", explique Cécile Renier. On ignore donc si ce tiers du cacao exporté par la Côte d’Ivoire a été produit oui ou non par des enfants, par des travailleurs mal payés ou s’il a un impact néfaste sur l’environnement.

Si on regarde les importations de cacao, les 27 ont importé 60% des fèves de cacao ivoiriennes en 2019, et moins de la moitié de ces importations étaient traçables jusqu’aux coopératives.

Objectif européen "zéro déforestation"

C’est pour lutter contre l’impact de la consommation de cacao sur la déforestation de la Côte d’Ivoire et, partant, de l’Afrique de l’Ouest que l’Union européenne a adopté la directive "zéro déforestation" en décembre dernier, une première mondiale. Si elles veulent vendre leurs produits dans l’UE, les entreprises devront prouver que leurs produits n’ont pas contribué à la déforestation. Bref, elles devront remonter la chaîne d’approvisionnement jusqu’à la parcelle de production. C’est vrai pour le cacao mais aussi pour le soja, le bœuf, l’huile de palme, le caoutchouc, le bois, le café, voire certains produits dérivés comme le chocolat ou les meubles.

Selon l’étude menée par l’UCLouvain cependant, les négociants doivent aller au-delà de la traçabilité de leurs propres chaînes d’approvisionnement pour sauver les dernières forêts d’Afrique de l’Ouest. “Améliorer la transparence et la traçabilité de la filière est nécessaire, mais cela ne suffira pas à stopper la déforestation. Le secteur doit investir dans des initiatives à l’échelle des territoires, en soutenant les producteurs tout en assurant une protection efficace des forêts”, propose Cécile Renier.

Sur le même sujet : l'invité dans l'actu de Matin Première

L'invitée dans l'actu: Cécile RENIER, chercheuse à l’Earth and Life Institute

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