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Les organoïdes : ce monde miniature qui imite nos organes

Sur cette première image, on distingue des régions qui contiennent des cellules similaires au cortex cérébral humain en développement.

© F. Maurinot

Par Johanne Montay

Vous avez ouvert cet article, c’est qu’il vous intrigue. Soit vous avez déjà entendu parler des organoïdes, soit vous vous dites : "Mais qu’est-ce que c’est ?". Dans les deux cas, n’ayez crainte, on va tenter de vulgariser ce sujet passionnant.

D’abord, une question de vocabulaire : le suffixe "oïde", signifie "qui ressemble à". Ainsi, un humanoïde est un robot qui ressemble à un humain, avec deux bras, deux jambes, et tout le kit d’apparence de l’homo sapiens. De même, un organoïde est une construction cellulaire qui ressemble à un organe. De telle sorte qu’on parle parfois, de façon un peu "hype" ou "buzz", de "mini-organes". Les scientifiques qui travaillent à construire des organoïdes en laboratoire n’aiment généralement pas cette appellation, car elle est réductrice, même si elle intrigue et donne envie d’en savoir plus.

Plan de construction

Pour cultiver un organoïde, on part de cellules souches : soit des cellules provenant de l’embryon (cellules souches embryonnaires, qui peuvent se différencier en tous les types cellulaires), soit des cellules souches provenant d’organes chez les adultes (plus spécialisées). Ces cellules sont placées dans un milieu de culture, en laboratoire. Et il se trouve que ces cellules se mettent alors à s’auto-organiser in vitro en une structure en 3 dimensions, qui ressemble à un organe : un organoïde. Cette structure est constituée de multiples cellules présentes dans cet organe en particulier : par exemple, pour les organoïdes de cerveau (les "cérébroïdes") actuellement disponibles, il s’agit de structures qui miment le développement cérébral précoce (premier ou deuxième trimestre) dont les neurones ne sont pas ou peu fonctionnels, mais la structure permet d’étudier en détail comment les cellules souches neurales se développent pour former l’ébauche du cerveau humain, ce qui est très utile pour comprendre le développement cérébral humain précoce et ses dysfonctionnements dans certaines maladies comme les microcéphalies.

Aujourd’hui, on est capable de développer en laboratoire des organoïdes de nombreux organes : entre autres, de pancréas, de rein, de foie, de glande thyroïde, de rétine, d’ovaire et de cerveau. Le professeur Pierre Vanderhaeghen, professeur à l’ULB et au VIB (Vlaams Instituut voor Biotechnologie)/KULeuven, travaille sur des organoïdes de cerveau : "C’est ça sans doute la découverte assez fascinante en termes de biologie : quand on laisse les cellules à leur propre sort et qu’elles ont une certaine compétence, elles sont capables de faire beaucoup de choses toutes seules. On laisse les cellules flotter entre deux eaux, dans du milieu de culture, et puis à mesure qu’elles se divisent, elles vont en même temps se développer en 3 dimensions et en fonction du type cellulaire, générer des structures cellulaires qui ressemblent un peu à du tissu. On peut faire la même chose d’ailleurs avec des cellules d’origine adulte, donc pas embryonnaires : dans ce cas-là, par exemple, les chercheurs peuvent prendre des cellules de l’intestin, et ces cellules intestinales vont générer toutes seules une structure qui rappelle par exemple les cryptes intestinales. On peut faire ça aussi avec des cellules cancéreuses et qui elles, vont générer des structures qui rappellent le tissu cancéreux qui n’est pas si homogène qu’on ne le pense."

Sur cette deuxième image issue d’un autre groupe d’organoïdes, on reconnaît essentiellement les rosettes formées par les cellules progénitrices neurales.
Sur cette deuxième image issue d’un autre groupe d’organoïdes, on reconnaît essentiellement les rosettes formées par les cellules progénitrices neurales. © F. Maurinot, N. Corthout

Construire un organoïde : pour quoi faire ?

Aujourd’hui, les organoïdes sont très utiles à la recherche en biologie fondamentale : comprendre comment les cellules s’associent pour former un organe permettra aussi de comprendre ce qui dysfonctionne dans les maladies. On peut également étudier le développement des tumeurs, en cultivant des cérébroïdes de cellules cancéreuses, qu’on appelle des "tumoroïdes". Mais il y a aussi des applications plus immédiatement médicales. Frédéric Lemaigre, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Louvain et chercheur à l’Institut de Duve étudie notamment les organoïdes de foie : "On peut tenter de constituer un organoïde de foie, par exemple, en boîte de culture, de l’infecter avec le virus de l’hépatite et voir comment le virus se comporte dans le foie et tester des médicaments contre l’hépatite." Les organoïdes permettent de modéliser les maladies avec des cellules humaines. Ils permettent de réduire le recours à l’expérimentation animale, sans pouvoir toutefois s’y substituer.

Mais pourrait-on un jour arriver à reconstituer des organoïdes tellement développés qu’ils pourraient venir réparer un organe défaillant ? "On n’y est pas encore", explique le professeur Lemaigre, "mais c’est clairement l’idée dans un certain nombre de cas. Je parle du foie car c’est le domaine qui m’est le plus familier : c’est clair que c’est une des options qui est sur la table, de constituer des organoïdes qui pourront remplacer, non pas tout le foie, parce qu’un foie, chez une personne, c’est un organe de grande taille, mais au moins, de remplacer peut-être certaines fonctions qui pourraient être déficientes chez certains malades, par exemple. Certains ont tenté, et tentent de reconstituer la rétine sous forme d’organoïdes et de réimplanter dans l’œil un segment de rétine pour restaurer une certaine vision, par exemple. Ça, c’est ce que l’on appelle de la thérapie régénérative et ça fait certainement partie des options qui sont discutées pour le moment."

Questions éthiques

Mais si l’organoïde devient de plus en plus complexe, de plus en plus construit, quel devient son statut moral et éthique ? En particulier pour un organoïde de cerveau ? L’appellation de "mini-cerveau", souvent médiatisée, bien qu’elle soit abusive, porte en elle les germes d’une question éthique et morale : cet organoïde, ce cérébroïde, pourrait-il à un certain stade de développement acquérir une conscience ? Etre en souffrance ?

Les scientifiques que nous avons rencontrés répondent par la négative : "Les organoïdes ne sont pas vraiment des mini-organes", explique le professeur Vanderhaeghen. "Ils rappellent en général plutôt des états précoces du développement, et en particulier, pour ceux qu’on connaît le mieux - les organoïdes neuraux qui rappellent le cerveau - ils rappellent des structures cérébrales très, très précoces. Donc, en aucun cas, on ne peut parler d’un organe."

Cependant, des instances réfléchissent déjà à ces questions éthiques et morales, comme le projet européen "HYBRIDA" auquel participent des scientifiques de l’UCLouvain. Il s’agit de développer un cadre conceptuel et réglementaire sur les organoïdes pour la recherche au niveau européen.

Limites

Les organoïdes ne sont pas "connectés" à un corps : ces modèles produits in vitro ne sont pas vascularisés, ou innervés. C’est une limite importante qui les distingue également des organes. Par ailleurs, générer des organoïdes ne "marche" pas à tous les coups. Seul un faible pourcentage d’assemblages de cellules souches s’organisera en organoïde, alors que pour les embryons, la "construction" réussit correctement dans 99% des cas. Même plan, autre résultat, pourquoi ? Un mystère et une voie de recherche très intéressante.

Un Œil sur demain : séquence JT du 12 juin 2022

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