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Les outils d’Ihsane Haouach pour plus d’inclusivité en entreprise

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Par Sarra El Massaoudi pour Les Grenades

Une nouvelle perspective sur les enjeux liés à la diversité et à l’inclusivité. C’est ce que propose Ihsane Haouach dans son ouvrage Open up your organisation. Fully embrace diversity with profile inclusiveness.

Publié aux éditions Lannoo Campus, l’ouvrage s’articule autour de quatre grands axes interconnectés qui favorisent, selon l’autrice, la mise en place de politiques d’inclusivité au sein des entreprises : l’ouverture aux autres et donc aux différences, la patience et l’empathie envers soi-même et ses collègues, et la capacité à être naturel·le.

Diplômée avec grande distinction de la Solvay Business School en 2008, Ihsane Haouach illustre sa réflexion autour du schéma OPEN (pour ouverture, patience, empathie et naturel) avec des expériences personnelles issues des nombreux postes qu’elle a occupés dans les secteurs public, privé et associatif. Le livre se nourrit aussi du parcours de douze leaders, chef·fes d’entreprise et entrepreneur·euses. "Je considère que chaque personne est leadeuse, ce n’est pas forcément associé à un titre de management. Il y a des conseils qui sont donnés aux personnes qui sont en position d’autorité et d’autres aux personnes employées et indépendantes."

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"J’étais en train de réfléchir même en dormant"

Parmi ces conseils : prendre du temps pour soi. Ne pas laisser son ou ses jobs occuper toute la place et s’accorder des moments de repos, de sérénité d’esprit. Selon l’autrice, ces moments sont indispensables à la fois pour prendre soin de sa santé physique et mentale et pour booster sa créativité et sa productivité. Mais trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée n’est pas toujours simple.

Ihsane Haouach se souvient d’une période durant laquelle elle a frôlé le burn-out. Elle est alors expatriée en Hongrie, loin de ses proches, de son piano, de son chat et face à une importante charge de travail. "Je me souviendrai toujours de la fois où j’ai rêvé de lignes comptables en hongrois et où je me suis réveillée avec une idée de solution.” Cet épisode opère comme un déclic : “J’ai compris que j’étais en train de réfléchir même en dormant et ça, ça ne va pas parce qu’on a besoin d’un vrai sommeil réparateur."

Consciente du problème, elle réagit rapidement. D’abord en allant courir toutes les semaines. Puis en s’inscrivant à des cours de peinture. Des moments à elle, qu’elle n’autorise rien ni personne à interrompre, pas même les urgences professionnelles. "Je disais à mes supérieur.es hiérarchiques qu’on était lundi midi et que j’allais à la salle et que ce n’était pas négociable parce que ça n’arrangerait personne que je sois en burn-out. Ça coupait court à la conversation, explique-t-elle. Me mettre au premier plan me permet d’être plus efficace, d’avoir plein d’idées."

En tant que femmes minorisées, on doit être plus indulgentes envers nous-mêmes

Ces adaptations dans son mode de vie portent leurs fruits : elle évite l’épuisement complet. Mais tout n’est pas gagné : chaque changement de vie personnelle ou professionnelle peut à nouveau déséquilibrer la balance. "Je me rappelle régulièrement que je ne suis pas parfaite et que c’est OK. J’ai pris de l’âge et j’ai des enfants donc j’ai besoin de plus de repos qu’avant et je le prends ! Il faut se demander 'qu’est-ce qui est important pour moi ? de quoi j’ai besoin pour être bien dans ma vie ?'. Et se fixer des objectifs réalistes."

"On n’a pas de prime parce qu’on fait de l’éducation citoyenne"

Cet équilibre, Ihsane Haouach le trouve aussi en coupant court à certaines conversations, plus énergivores que constructives. Elle évoque par exemple un événement de networking professionnel lors duquel une femme la bombarde de questions sur ses opinions politiques, des manifestations en Iran aux conditions de travail au Qatar. Elle rappelle que le rôle des travailleurs et travailleuses minorisées n’est pas de déconstruire les stéréotypes ou d’éduquer leurs collègues. "Le problème, c’est qu’on a tendance à nous donner cette responsabilité supplémentaire alors qu’on n’a pas de prime parce qu’on fait de l’éducation citoyenne.”

Convaincue de l’importance de se faire comprendre et de faire respecter ses droits, elle invite désormais les personnes minorisées à suivre leur intuition et à investir du temps et de l’énergie uniquement pour leurs collègues ouvert·es à la discussion. "Au début, je ne comprenais pas quand il y avait des personnes racisées qui ne militaient pas dans l’entreprise. Maintenant, je comprends qu’elles ont juste envie de vivre leur vie comme tout le monde et pas de rentrer là-dedans parce que ça prend énormément d’énergie."

Et pour savoir quand s’engager dans la discussion ou non, elle analyse la façon dont ses interlocuteur·trices lui répondent. "Est-ce qu’on te laisse parler ? Est-ce qu’on n’est pas en train de déformer tes propos ? Est-ce qu’on n’est pas en train de te poser d’autres questions sans même avoir écouté ta réponse ?"

Face aux personnes qui refusent le dialogue et privilégient les attaques, Ihsane Haouach apprend à lâcher prise, à se "rappeler que je n’ai pas de contrôle sur le regard des autres et sur ce qu’ils disent".

C’est tout un système qu’il faut changer. Les rôles modèles permettent aux plus jeunes de s’identifier et de faire avancer les choses mais il ne faut pas faire reposer toute la responsabilité du changement sur ces personnes-là

C’est l’un des plus grands enseignements qu’elle tire de la polémique autour de sa nomination comme commissaire au gouvernement auprès de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. "J’en parle dans le livre mais je le présente comme une expérience comme une autre alors que c’est clairement l’expérience la plus douloureuse que j’ai pu vivre au niveau professionnel. Ce qui m’a le plus marquée, c’est qu’on a perdu la culture du débat. J’aurais aimé qu’on puisse débattre du fond mais on a préféré attaquer la personne sans vouloir dialoguer."

L’importance des rôles modèles

Jeune femme d’origine maghrébine et portant le foulard, Ihsane Haouach a très vite occupé des postes dans lesquels peu l’attendaient, ce qui lui a valu d’être considérée comme un rôle modèle, un exemple.

Un statut qu’elle a d’abord eu du mal à accepter, en partie en raison d’un sentiment d’illégitimité. "Je l’ai encore vécu récemment où je pensais que je n’avais pas le niveau. Et puis en fait ils m’ont dit mais évidemment que tu as le niveau. Même si j’ai confiance en moi, c’est difficile d’en sortir. J’ai le sentiment que j’ai toujours besoin d’un certificat qui dit que je suis capable de faire ça pour me sentir capable de le faire."

Forte de plusieurs années d’expérience, elle assume désormais plus facilement ce rôle qui constitue un enjeu central des politiques de diversité et d’inclusivité. Avoir des rôles modèles permet en effet aux plus jeunes générations de se sentir représentées et d’imaginer des perspectives dans les secteurs concernés. L’absence de rôle modèle contribue au contraire à créer et renforcer le syndrome de l’imposture qui touche plus durement les femmes que les hommes, et d’autant plus les femmes minorisées.

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“C’est tout un système qu’il faut changer. Les rôles modèles permettent aux plus jeunes de s’identifier et de faire avancer les choses mais il ne faut pas faire reposer toute la responsabilité du changement sur ces personnes-là, estime Ihsane Haouach. En tant que femmes minorisées, on doit être plus indulgentes envers nous-mêmes. Vu la difficulté d’arriver à certaines fonctions, c’est déjà un accomplissement de les occuper. On peut se pardonner si l’une de nous ne révolutionne pas les choses parce que, quand on est seule face au système, on n’y peut pas grand-chose."

A travers son livre, pour l’instant publié uniquement en anglais, Ihsane Haouach entend créer des ponts pour que les personnes minorisées ne soient plus les seules à s’emparer des enjeux liés à l’inclusivité.

Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be.

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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