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"Les paradis perdus" : comment Christophe y faisait l’autobiographie de sa fin de vie

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Les paradis perdus de Christophe ont considérablement marqué la chanson française. Entre confession nocturne et prière électronique, l’auteur-compositeur-interprète et producteur, disparu en 2020, adressait un message nostalgique à ses fans.

En 1973, ce morceau se distingue avec ses nappes de synthétiseurs, des motifs très novateurs dans la variété française. Le texte est signé Jean-Michel Jarre. Comme d’habitude, ce genre de classiques est vu et relu par d’autres artistes qui veulent lui rendre hommage.

On recense Christine & The Queens en 2014. Une version personnelle où l’artiste mixe un sample d’un titre de Kanye West. Hervé Vilard a aussi repris cette chanson en 1984. Ce dernier était un ami de Christophe. Ils ont commencé ensemble et ont marqué l’année 1965 avec deux slows yéyé entrés dans l’anthologie des érections sixties : Capri, c’est fini pour l’un, et Aline pour l’autre.

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Enfin, il en faut toujours un qui fait le zouave au fond du medley, et à tous les coups, c’est le Belge Arno. En 2019, il enregistre Les paradis perdus en duo avec Christophe, un an avant son décès.

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Un élan de nostalgie

La chanson commence par ces jolis mots : "Dans ma veste de soie rose / Je déambule morose / Le crépuscule est grandiose".

Cette image inaugurale campe le décor, et surtout le climat que nous allons traverser durant la chanson, qui est habitée de spectres et de fantômes. Le tableau d’ouverture annonce aussi la dimension esthétique de l’univers dans lequel nous sommes invités.

Cet univers esthétique est immédiatement souligné par l’idée du temps qui s’est enfui : "Peut-être un beau jour / Voudras-tu. Retrouver avec moi / Les paradis perdus". La fuite du temps, le souvenir d’un amour ancien, la perte des paradis sont les thèmes de cette histoire racontée par un homme qui regarde, derrière lui, ce qu’il reste de sa vie.

"Dandy un peu maudit, un peu vieilli / Dans ce luxe qui s’effondre / Te souviens-tu quand je chantais ? / Dans les caves de Londres. Un peu noyé dans la fumée / Ce rock sophistiqué / Toutes les nuits tu restais là". On continue de préciser l’idéal de beauté cher au personnage, il nous parle de dandy, de luxe. Le dandy qu’il a été avec "un peu vieilli", le luxe qui fut le sien avec "qui s’effondre". Et si le personnage parle au passé, c’est pour les besoins de la mélancolie du récit. Car ce dont il parle c’est une chose qui en train de se dérouler en 1973 et à laquelle il fait référence entre les lignes.

Le dandy, le luxe, le rock sophistiqué, Londres, et ne parlons pas de "la veste de soie rose", tout cela renvoie au glam rock qui, à partir de 1971, plonge l’Angleterre dans une débauche d’électricité, de maniérisme, de looks, d’attitudes et de make-up. Luxure rock incarnée par Bowie, T.Rex, Roxy Music que Jarre et Christophe connaissent évidemment. Cette pop sophistiquée à laquelle Christophe, tournant le dos à la variété, finira par être assimilé.

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Christophe, éternel sybarite

Ce qu’il y a d’étonnant dans les paroles des Paradis perdus, c’est leur côté performatif : Christophe va devenir le personnage qu’il décrit dans la chanson. De Christophe, on dira qu’il est un dandy, qu’il adore le luxe. De lui, il dira qu’il aime les belles vestes et les matières précieuses.

En fait, tous les éléments présents dans la chanson vont servir à dessiner le personnage qu’il a été jusqu’à la fin de sa vie : un sybarite, c’est-à-dire un homme qui recherche les plaisirs dans une atmosphère de luxe et de raffinement. Un homme qui reçoit tard le soir, seul, dans un appartement chargé d’objets précieux et encombré de souvenirs. On le sait, c’est ainsi que Christophe recevait les journalistes et donnait ses interviews.

Des références à la littérature décadente

Le texte insiste sur l’idée de ruine, de décrépitude et sur la mémoire qui s’en va : "Dandy un peu maudit, un peu vieilli / Les musiciens sont ridés / Sur ce clavier que c’est joli / J’essaie de me rappeler / Encore une fois / Les accords de ce rock sophistiqué / Qui étonnait même les Anglais". Si ce micro-récit fait songer au glam-rock, il cite aussi la littérature décadente, Oscar Wilde, Le portrait Dorian Gray ou Jean des Desseintes, le personnage du livre A rebours d’Huysmans est un frère holographique du Christophe électronique.

Les paradis perdus est une ode à la poussière stellaire, la fin d’une étoile, supernova… Une chanson cultivée qui sert d’autobiographie fantasmée devenue réalité.

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