Le ministre de la Justice évoque la surpopulation carcérale pour justifier le nouveau report de son projet. Il n’y a pas assez de places dans les prisons. Ça, c’est un constat que l’on dresse depuis des années en Belgique. C’était connu, j’imagine, au moment où le projet a été lancé ?
En fait, il ne faut pas être naïf. Il n’y a pas que le problème de la surpopulation carcérale, ça, c’est le deuxième problème. Mais le premier problème, c’est que la loi n’aurait pas pu entrer en vigueur à la date prévue, tout simplement parce que, comme d’habitude, les politiques ont fait du ravaudage. Et ils se sont rendu compte un peu tard que cette fameuse loi qui date de 2006, qui a été amendée, prévoyait certaines choses, mais qui restaient en contradiction avec d’autres dispositions législatives qu’il fallait amender dans l’intervalle. C’est la raison principale du report initial et c’est la raison pour laquelle, au mois de décembre 2021, on n’a pas pu appliquer la nouvelle loi. Mais ça, évidemment, les politiques ne vont pas le dire.
La deuxième raison, c’est effectivement la surpopulation carcérale. Et là, ça devient un scénario totalement rocambolesque. Parce que la raison principale de la surpopulation carcérale à l’heure actuelle, c’est parce qu’il y a un retard énorme dans la gestion des dossiers des condamnés qui sont pourtant dans les temps pour obtenir des aménagements de peine. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas suffisamment de directeurs. Or, le directeur de prison doit donner un avis avant que l’on puisse aménager une peine. Et parce que les services psychosociaux sont totalement débordés, à telle enseigne qu’ils ne rendent pas d’avis et faute d’avis, de manière générale, le dossier n’est pas examiné par le tribunal d’application des peines.
Je souhaitais et je pense que c’est important parce que ça date du 28 avril, donc on ne peut vraiment pas dire que ce soit fort ancien. Voilà ce que m’écrivait quelqu’un dont je ne citerai pas le nom le 28 avril. "Monsieur s’inquiète que son dossier pour les modalités d’exécution de la peine n’avance pas du tout. Monsieur nous explique avoir introduit une demande aux TAP (tribunal d’application des peines, ndlr) il y a huit mois. Or, la loi du 17 mai 2006 prévoit que les détenus comparaissent au plus tard six mois après l’introduction de leur demande. Actuellement, il y a un retard conséquent dans la rédaction des avis de la direction, mais c’est bien la date de demande du détenu qui importe pour la fixation de l’audience. Qu’il y ait un avis de la direction ou non. Notre commission a rédigé un mail et a dénoncé la situation à la presse. Elle écrit aussi aux avocats pour les encourager à demander une fixation d’audiences sans avis de la direction afin que les dossiers des détenus puissent avancer." Ça, c’est le deuxième problème. Et cerise sur le gâteau, on demande en plus à des directeurs en sous-effectifs d’aussi préparer déjà le déménagement vers la prison de Haren.
Prison qui doit être livrée avec celle de Termonde d’ailleurs, à l’automne prochain.
Exactement. Comment est-ce que vous voulez que les directeurs rédigent des avis pour ceux qui sont en train d’exécuter les peines sous l’empire de l’ancienne loi ? Tout en préparant le transfert vers Haren ? Et là, on en revient aux politiques. Il faut justifier les fonds qui ont été investis dans Haren.
Si je vous comprends bien, il y a d’une part des gens qui ne vont pas en prison parce qu’on les a condamnés à des peines de moins de trois ans et que c’est comme ça et qu’on attend toujours que le projet de loi arrive. Et d’autre part, des gens qui pourraient quitter la prison, mais qui ne la quittent pas parce qu’il y a un embouteillage administratif.
Vous avez absolument tout compris l’insécurité juridique complète.
Est-ce que, pour revenir à ce qu’a décidé la commission de la Chambre hier, appliquer les peines entre deux et trois ans à partir du 1er septembre prochain, c’est jouable pour les acteurs de la justice ? Le collège des procureurs généraux dit déjà "non" et il annonce un chaos judiciaire si on doit appliquer ces courtes peines dès septembre prochain. Vous confirmez ?
Je confirme totalement. Ça me paraît totalement injouable. Ce qui n’empêche que ça fait plusieurs mois que je plaide à tout-va les dossiers de clients qui sont susceptibles d’avoir une peine frôlant les trois ans pour ne pas tomber sous l’empire de la nouvelle loi, puisqu’elle ne s’applique pas aux condamnations qui sont prononcées après son entrée en vigueur et à des condamnations définitives. Donc d’habitude, on essaye au pénal de retarder la comparution et la condamnation. Ici, on essaie parce qu’il y a le couperet qui s’apprête à tomber, mais on ne sait pas quand précisément. Et donc, chaque fois qu’un magistrat veut reporter un dossier, j’insiste pour plaider.
Pourquoi ça serait chaotique d’appliquer cette loi dès le 1er septembre prochain. Qu’est-ce qui n’est pas prévu finalement ?
Alors, à mon sens, les transferts vers Haren ne sont pas prêts. Je pense qu’il y a encore quelques couacs sur le plan juridique. Et puis, on peut quand même difficilement demander à des personnes qui sont condamnées à des peines de 2 à 3 ans de rentrer en prison alors qu’ils se trouvent encore en prison. Des personnes qui peuvent déjà prétendre depuis plusieurs mois à une libération. Ça crée la surpopulation, ça crée la récidive, ça provoque exactement l’inverse de ce qui est souhaité par tout un chacun. C’est réprimer la délinquance et espérer que l’on sorte meilleur que lorsque l’on est entré.
Nathalie Gallant, ce dossier-ci est à l’image d’une justice qui manque cruellement, toujours de moyens aujourd’hui ?
Évidemment, on nous dit qu’on va nommer des magistrats, mais c’est une plaisanterie ! Il n’y a déjà pas suffisamment de magistrats au tribunal pour juger à Bruxelles. Et maintenant, on nous parle de nommer. Ils vont sortir d’où ces magistrats ? Moi je suis curieuse de le savoir. Et le budget ?