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"Les remparts de Varsovie", une chanson grivoise de Jacques Brel sur une dispute avec une ex-compagne ?

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Titre contenu dans le dernier album du grand Jacques, Les remparts de Varsovie, seul morceau joyeux, s'analyse tant comme une œuvre qui commenterait une dispute violente de l'auteur-compositeur-interprète belge avec une ex-compagne que comme une chanson à l'humour grivois.

L'album Les marquises, dernier disque de Jacques Brel, est un peu son Thriller à lui : toutes les chansons sont bonnes. Et toutes les chansons font événement.  

Entre la chanson de fanfare et l’air burlesque, Les remparts de Varsovie tranche sur la couleur crépusculaire et sépulcrale de ce fameux dernier album dont on sait qu’il est, d’une certaine façon, la première pierre de son tombeau. C’est la seule chanson joyeuse du disque, construite sur un texte dont le style virevoltant prouve l’habileté d’écriture qui était celle de Brel, jusqu’au bout…  

Le texte est très long, mais il est savoureux car assez vachard. Le grand parolier Claude Lemesle a d’ailleurs une théorie à propos de ce dernier album : il pense que chaque chanson de ce disque est une mise en point avec de baisser le rideau. Et quand on écoute ce qu’il raconte dans Les remparts de Varsovie, on ne peut pas vraiment lui donner tort...

Une dualité entre une dame qui vit dans le luxe et un narrateur dans la misère

"Madame promène son cul sur les remparts de Varsovie / Madame promène son cœur sur les ringards de sa folie / Madame promène son ombre sur les grands-places de l'Italie / Je trouve que Madame vit sa vie".

"Madame promène - à l'aube - les preuves de ses insomnies / Madame promène à cheval ses états d'âmes et ses lubies / Madame promène un con qui assure que madame est jolie / Je trouve que Madame est servie / Tandis que moi tous les soirs, je suis vestiaire à l'Alcazar". 

On comprend que le texte est charpenté sur cette dualité entre le portrait de Madame, décrite comme une femme du monde qui se permet tout, et le bref focus sur le narrateur qui, sans cesse, rappellera qu’il ne pèse pas grand-chose sur l’échelle du glamour. Il est, tour à tour, vestiaire, barman, plongeur à l’Alcazar.

Alors, le portrait qu’il fait de Madame est à la fois drôle et assez clair. Il s’agit d’une femme qui aime s’exhiber (elle promène son cul), elle vit sa vie jusqu’à l’aube, preuve de ses insomnies (elle aime disparaître dans la nuit et rester éveillée la nuit). Et puis, plus loin "Madame promène son cheveu qui a la senteur des nuits de Chine". Les nuits de Chine sont, selon la légende, câlines, dans le sens 'dépravées'. 

"Madame promène son regard sur tous les vieux qui ont des usines: Madame serait donc intéressée à se faire entretenir, et serait donc vénale. Elle a des goûts de luxe car, plus loin, il est question de casino ("Madame promène banco"), de bijoux "qu’elle veut bien me faire facturer", et de Rolls "que poursuivent quelques huissiers".

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Madame est aussi nymphomane et s'assume

Et le texte se corse.

"Madame promène son rire comme d'autres promènent leur vaseline / Je trouve que Madame est coquine". La rime vaseline-coquine, pas besoin de vous faire un dessin.

"Madame promène ses cuites de verre en verre, de fine en fine".

Il y a encore cette phrase terrible : "Madame promène les gènes de 20.000 officiers de marine". Madame serait donc portée sur l’alcool et sur les hommes en uniforme, en tout cas sur les hommes. Elle semble être fétichiste de l’uniforme puisque Brel insiste lorsqu’il dit : "Madame promène ses mains dans les différents corps d'armée". Pour elle, l’armée, si on en croit le narrateur, c’est open bar.

Enfin, cette allusion à la prétendue homosexualité de l’amoureux de Madame dont elle se servirait pour expliquer ses besoins en matière de sexe : "Madame raconte partout que l'on m'appelle Tata Jacqueline. Je trouve Madame mauvaise copine". Jacqueline... Jacques. On donne un gros indice sur l’identité du narrateur qui, selon moi, n’est pas du tout un personnage de fiction, mais qui est Jacques Brel lui-même.

© Henri Bureau/Sygma/Corbis/VCG via Getty Images

Une histoire qui est partie en fanfare

Les remparts de Varsovie se chante sur un air de fanfare, et ce n’est pas pour rien. Ce parti-pris nous met la puce à l’oreille. On se rend compte qu’en fait, Brel nous parle d’un cirque. Il parle d’une femme qui fait son cirque, comme on dit, une femme qui serait la majorette de sa propre vie. Après tout ce qu’on vient d’entendre, accessoirement, c’est aussi le portrait d’une nymphomane qui n’a pas besoin de l’autorisation de son mec pour s’envoyer en l’air…  

Et on en vient à se demander si cette chanson est autobiographique, ou purement fantasmée. De fait, Les remparts de Varsovie est une chanson sur un ex de Jacques Brel. Et pourquoi Varsovie ? Parce que cette ex en question était avec lui à Varsovie alors qu’il y donnait un récital, et dans plusieurs autres villes de Pologne en 1965 ou en 1966. À Varsovie, le couple est, semble-t-il, parti en pétard.

Les remparts de Varsovie est donc une chanson sur un souvenir de tournée et un message adressé à celle qu’il appelle Madame et qui, du coup, fait partie du grand théâtre des femmes et de l’amour cher au répertoire de Brel. 

Le bon plan des villes

Alors, Varsovie oui, mais Brel quand on y songe, a chanté d’autres villes. Et on se rend compte que – dès qu’il chante une ville, c’est bingo !

Amsterdam, lors du fameux Olympia 1966, un repère dans l’histoire de la chanson française.

Bruxelles en 1962, avant le piétonnier et le plan Good Move, et toujours la même énergie.

Vesoul en 1968, cette ville de Bourgogne Franche-Comté entre au panthéon de la chanson française. Et jusqu’à la fin – et pour revenir au dernier album "Les Marquises", il continue à éviter les villes avec Knokke-le-Zoute tango en 1977; date à laquelle paraît aussi cette drôle de chanson Les remparts de Varsovie.

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