Foire du livre

Les romans doivent-ils s'inspirer des mangas pour intéresser les jeunes à la lecture ?

Emission spéciale Foire du Livre

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Par François Saint-Amand via

La 52e édition de la Foire du Livre se tient du 30 mars au 2 avril à Tour & Taxis, avec pour thème principal : 'Osons l'imaginaire'. Un sujet qui peut passionner les jeunes... et leur (re)donner le goût de la lecture ? Eddy Caekelberghs a notamment reçu l'éditeur Dimitri Kennes, l'ancien président du CA de la Foire Émile Lansman, le mangaka Moonkey et l'auteure jeunesse Marie Colot pour dégager des pistes de réflexion.

C'est parti pour La Foire du Livre : petits et grands peuvent venir rencontrer les auteurs et éditeurs dans un espace de près de 4000 mètres carrés, entièrement consacré à toutes les formes de la littérature.

Cette 52e édition aborde un sujet qui concerne d'ailleurs toutes les générations de lecteurs avec 'Osons l'imaginaire', dont Pierre Bordage est l'invité d'honneur. Un programme aussi osé que diversifié, tant l'imaginaire repousse les limites de la lecture. Avec le foisonnement des contenus audiovisuels, les jeunes semblent, depuis plusieurs générations, se détourner du livre. En effet, d'après un sondage Ipsos/CNL, datant de 2018, la lecture figure toujours parmi les activités préférées des adolescents... mais se place en 9e position, derrière notamment les sorties entre amis, les jeux vidéo et les plateformes numériques. 

Mais la diversité des genres littéraires, car l'imaginaire englobe autant le fictionnel que non-fictionnel, peut devenir un allié des maisons d'éditions et de l'enseignement pour intéresser et captiver les enfants et adolescents.

Les mangas, un monde de référence ?

Parmi les genres qui occupent pour la première fois une place prépondérante à la Foire du Livre, on retrouve incontestablement les mangas. De leur côté, la question de l'intérêt ne se pose pas vraiment de cette manière. Les auteurs et éditeurs belges cherchent surtout à se distinguer des différentes séries nippones qui émergent. En effet, 53% des BD vendues sont des mangas, soit 41% du chiffre d'affaires de ce secteur.

Moonkey, mangaka belge, souligne l'efficacité de la stratégie japonaise. Elle agit comme un véritable rouleau compresseur sur le marché : "Les Japonais ont tout un système bien rodé avec une sorte de spirale vertueuse qui va du magazine au volume relié. Il y a des adaptations en dessin animé et donc en télévision, il y a énormément des adaptations en live : des films, des jeux vidéo, des jouets avec des statues qui valent 800€. On est donc sur tous les niveaux et ce sont des choses qui se nourrissent l'une l'autre, pour une même série. Au Japon, Demon Slayer bat par exemple n'importe quel film américain au cinéma".

Doit-on dès lors créer des ponts entre les mangas et les autres genres littéraires pour intéresser les jeunes lecteurs à la littérature classique ? "Il y a pas mal d'adaptations de romans (NDLR : des œuvres de Rabelais ou Molière ont été adaptées en mangas) qui existent et j'aurais tendance à penser qu'une personne qui a lu le manga il ne va pas forcément aller lire le roman derrière. Par contre, ce qui est très intéressant, c'est que les Japonais sont très pointilleux sur les détails". Ceux-ci se documentent notamment sur les lieux, reproduisant à l'identique certains endroits et quartiers familiers du Japon. Un point de départ dont s'est aussi inspiré le mangaka belge pour deux séries qu'il a publiées.

Varier les formats et tendre vers les courts récits

Pour les auteurs jeunesse comme Marie Colot, la littérature jeunesse ne doit en tout cas pas entrer en concurrence avec le manga : "La majorité de la classe (que je rencontre) lit des mangas alors que tout le monde ne lit pas des romans. Je pense qu'il est donc vraiment important de ne pas déprécier certains genres ou de les mettre en conflit".

L'autrice propose également une autre manière d'attirer les jeunes lecteurs : miser sur la diversité des formats. Elle publie notamment dans la collection La Brève chez Magnard jeunesse : "C'est un format court où ils cherchent des romans percutants avec un ancrage réaliste et où tout le roman a aussi une version audio avec une promesse de lecture assez courte et où j'ai dû lire mon propre texte".

Le livre, une activité qui doit appartenir aux jeunes, pas être une recommandation des parents

Les éditeurs n'ont pas encore trouvé la recette miracle confie de son côté Dimitri Kennes : "Il faut se mettre à la place d'une petite lectrice de 13 ans parfois, ce n'est pas toujours facile".

Pour l'éditeur belge, reproduire la stratégie marketing du manga n'est pas la voie à suivre impérativement. Si le manga a la cote par rapport aux romans, il faut chercher l'explication du côté des contenus sur plateformes en ligne "sur lesquelles il n'y a pas d'obligation d'avoir du contenu européen". Pour lui, "pendant la crise du covid les jeunes ont regardé énormément de mangas et comme par hasard, on est passé de 25 à 55% de lecture du manga. Je ne pense donc pas que c'est le genre qui est porteur, mais c'est ce qu'ils voient à la télé. C'est ce qu'eux regardent. Le problème c'est que quand on fait des livres, on espère, de manière très artisanale, le faire connaître sur base de coups de cœur, et s'ils rencontrent leur public et qu'ils ont un gros succès, alors on a un producteur télévisé qui nous propose de faire des adaptations. Cela prend des années, tandis que Demon Slayer c'est une déferlante marketing immense. C'est ce qui me dérange dans le manga : ce côté du livre qui devient un produit dérivé".

Dimitri Kennes estime qu'il faut avant tout changer de philosophie sur la lecture chez les jeunes. Cette activité ne devrait pas être une recommandation des parents, souvent pour contrer les jeux vidéo. Agir de cette manière serait contreproductif. 

Le livre devient ce que les parents voudraient qu'on fasse, mais on ne veut jamais écouter la musique de nos parents, on ne veut jamais faire ce que font nos parents. Il faudrait qu'on comprenne que le livre c'est quelque chose à eux.

Le manga possède justement cette caractéristique, observe-t-il : "C'est quelque chose à eux car en Belgique les adultes ne lisaient pas cela. Comme on leur dit : 'tu ne lirais pas autre chose (que les mangas)', cela leur donne encore plus envie d'en lire. Il faut trouver quelque chose qui leur appartient et qui leur donnera envie de lire et qu'ils aiment".

© Vyacheslav Dumchev / iStock / Getty Images Plus

Les préjugés sur les genres littéraires préférés des jeunes ont toujours existé

Le sondage Ipsos révélait aussi que 86% des jeunes Français de 15 à 25 ans lisaient au moins un livre par an et 81% de ce taux s'adonnent à la lecture comme activité de loisir. Pour Émile Lansman, ancien président du CA de la Foire du Livre, il faut donc nuancer cet a priori.

"Je pense que les jeunes lisent beaucoup plus que les adultes. Nous avons comme but de ramener le livre, et sans préjugé. Je pense que beaucoup de gens parlent du manga aujourd'hui, mais je ne suis pas sûr que les adultes en ont lu beaucoup. Les préjugés qui sont portés sur des gens me font penser à ce qui a existé plus tôt : au début des années 1970, avec la naissance de nouvelles maisons d'éditions, dans tous les colloques, il y avait bien quelqu'un à un moment donné qui faisait son petit couplet contre les Martine, disant que c'est un scandale, que les petites filles ne pouvaient pas s'identifier à cela. C'étaient les interventions les plus idiotes parce que si les jeunes lisaient des Martine, tant mieux. Il fallait se poser sur ce qu'ils lisaient pour éventuellement les emmener ailleurs".

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