Nous sommes en l’an de grâce 1453. Une année que toutes et tous, nous avons apprise dans nos cours d’Histoire comme étant celle qui marque la fin du Moyen-Âge. Le 29 mai, Mehmet II, sultan ottoman parvient à conquérir Constantinople. Il transforme un lieu symbolique pour les chrétiens, la basilique Sainte-Sophie, en mosquée. La nouvelle fait l’effet d’une bombe en Europe.
Philippe, donc, a l’ambition de partir en croisade, dans un sursaut d’esprit chevaleresque. Sans doute se souvient-il des récits de la débâcle de la croisade menée par son père, Jean sans Peur. Mais le duc est aussi un homme très pieux. C’est normal, qui ne l’est pas au Moyen-Âge ? Comment peut-il supporter que les musulmans, des " hérétiques " pour lui, transforment des églises en mosquées ? L’heure n’est pas tout à fait à la tolérance entre religions.
Le souci, c’est que personne ne veut d’une croisade. Alors, pour convaincre, Philippe le Bon organise une grandiose œuvre de propagande : une fête monumentale. Nous sommes le 17 février 1454, à Lille, au Palais de La Salle. C’est là qu’a lieu le Banquet du faisan, " la fête des fêtes ". Le duc a fait recouvrir les murs de la salle de tapisseries représentant les douze travaux d’Hercule, une thématique qui inspire les actes héroïques. Une table a été transformée en un gigantesque pâté en croûte, une colossale construction culinaire où vingt-huit musiciens assurent l’ambiance. D’une construction en forme d’église s’envolent des chants religieux. La musique emplit la salle. Des tableaux animés viennent éblouir les yeux des convives : des automates, des inventions, des gadgets en tout genre. Du sol, de la vapeur surgit en volute pour faire chanter de faux oiseaux.
Lentement mais sûrement, un géant entre alors. Il apparaît sous les traits d’un Sarrasin de Grenade, l’un des rares endroits d’Espagne encore aux mains des Maures. Il mène un éléphant, gigantesque automate au-dessus duquel trône une chaise transportant une magnifique apparition. Cette dame n’est pas n’importe quelle pieuse, elle incarne la sainte Église. Elle adresse au public une longue complainte qui appelle les gentilshommes de l’assemblée à venir à son secours. Un chevalier incarnant la Toison d’or entre dans la pièce, suivie d’un cortège de combattants et de demoiselles. Dans ses mains il tient un faisan vivant, orné d’or. L’homme s’agenouille devant le duc, dans un silence de cathédrale. Philippe se met debout et lève la main.
Moi, duc de Bourgogne, je me déclare plus décidé que jamais à partir en croisade et prêt à provoquer le Grand Turc en un duel à la vie à la mort. Je chasserai les hérétiques de la ville.
Son fils, le jeune Charles, âgé de vingt ans, se lève alors : " J’accompagnerai mon père ! " L’intervention était certainement préparée, mais elle ne manque pas de produire son effet. Les participants au festin, après avoir assisté à tant de belles choses, ressentent l’appel de leur devoir. Les uns après les autres, ils prêtent serment, une main posée sur le faisan, de combattre les Sarrasins jusqu’au dernier. Le duc de Bourgogne a réussi avec brio son opération de séduction.
Quoique, la réussite n’est pas si totale que le duc pouvait l’espérer. Son somptueux banquet a certes échauffé les esprits, mais ceux-ci retombent comme des soufflés dans les jours qui suivent. Le recrutement des chevaliers se fait laborieux, les choses traînent, le temps s’écoule. Frédéric III, l’empereur du Saint Empire romain germanique, n’a aucune intention de participer, les Anglais sont en pleine crise interne avec la guerre des Deux-Roses, le roi de France ne s’intéresse pas à Constantinople, et le pape Nicolas V, grand défenseur de la croisade, tombe malade et meurt. Philippe aussi tombe malade. C’est un fiasco. Mais le duc ne baisse pas les bras. Il va continuer à essayer, dans les années qui suivront, de partir pour Constantinople.