Objectif ? Démontrer sa crédibilité !
Pour Antoine Bondaz, l’objectif de Kim Jong Un n’est plus simplement de développer des nouveaux missiles mais également de tester les capacités opérationnelles des forces armées nord-coréennes. "On ne teste plus simplement les capacités techniques du missile" explique-t-il, "on teste les capacités opérationnelles des unités, et c’est fondamental : si vous voulez être crédible, si vous voulez avoir des capacités de dissuasion, il ne suffit pas d’avoir des missiles, il faut aussi démontrer que vos unités sont capables de les utiliser ".
Lors du dernier test de longue portée qui a eu lieu il y a quelques semaines, en mars, la mise en scène communiquée par le régime était primordiale, à savoir le fait que Kim Jong Un avait demandé un lancement le matin et qu’il avait été réalisé dans la journée. "Le message de la Corée du Nord", analyse Antoine Bondaz, "est donc de dire que l’on n’est pas sur un exercice planifié à l’avance, on demande la réactivité extrêmement forte des unités nord-coréennes, ce qui se passerait en cas de guerre.
On veut le montrer aux adversaires potentiels, donc évidemment à la Corée du Sud, au Japon, et en toile de fond, bien sûr aux Américains. C’est à eux qu’est adressé le message des missiles à portée intercontinentale, mais les essais de missile à courte portée peuvent aussi s’adresser à Washington, parce qu’il y a des bases américaines sur le territoire sud-coréen, avec environ 29.000 soldats américains".
Le chercheur de la Fondation pour la recherche stratégique y voit aussi ce qu’il appelle un effet de découplage : "Il s’agit de faire douter les Sud-Coréens des garanties de sécurité américaines en envoyant ce message : êtes-vous sûrs que les Américains vous défendront si eux aussi peuvent être menacés ? Si Los Angeles est menacée parce que Séoul est attaquée, les États-Unis vont-ils vraiment intervenir ? Sont-ils prêts à perdre Los Angeles pour Séoul ? C’est un classique qui était utilisé pendant la guerre froide mais l’objectif est de fragiliser l’alliance entre la Corée du Sud et les États-Unis".
Comment font les Nord-Coréens pour fabriquer leurs missiles ?
La Corée du Nord fait depuis longtemps l’objet de sanctions internationales. Outre l’interdiction d’exporter et d’importer des articles de luxe, les premières sanctions, décidées en 2006, comportaient un embargo sur les armes et surtout une interdiction frappant une série d’importations et d’exportations susceptibles de contribuer aux programmes de la Corée en rapport avec les armes nucléaires, les missiles balistiques ou d’autres armes de destruction massive. Entretemps, la liste des sanctions s’est allongée. Mais cela n’a visiblement pas empêché la Corée du Nord de faire d’impressionnants progrès dans le domaine des missiles. "Premièrement" explique Antoine Bondaz, "les Nord-Coréens ont des capacités propres. La Corée du Nord a un éco-système sur les questions nucléaires et balistiques avec des scientifiques qui depuis des décennies travaillent sur le sujet. Certains ont d’ailleurs en partie été formés à l’étranger à l’époque où il n’y avait pas encore de sanctions. Deuxièmement, c’est un choix et un arbitrage économique. La Corée du Nord décide de mettre des moyens considérables sur ce développement balistique, au détriment d’autres développements, que ce soit le développement militaire ou le développement économique, parce qu’elle considère que c’est une priorité pour la sécurité du régime. Troisièmement, la Corée du Nord contourne les sanctions internationales qui normalement l’empêchent de coopérer avec d’autres pays sur ces questions mais qui limitent aussi les devises étrangères du régime qui pourraient être utilisées pour acheter des composants ou des technologies à l’étranger. Et enfin, il y a toujours cette question de l’aide potentiellement extérieure, d’autres états et souvent, l’on se pose des questions sur certaines technologies qui ressemblent à des technologies russes ou chinoises : est-ce une prolifération d’un Etat vers un autre ? Est-ce le fait d’un réseau criminel dans ces pays vers la Corée du Nord ? Ces questions-là se posent, mais on n’a pas de réponse pour l’instant".
Face à ce constat, qui est évidemment inquiétant, quelle attitude devrait avoir la communauté internationale ? Selon Antoine Bondaz, la Corée du Nord bénéficie aujourd’hui de trois dynamiques : "Il y a d’abord une forme de banalisation" précise-t-il. "Il y a eu tellement d’essais ces dernières années qu’il n’y a plus forcément de réaction automatique alors même que chaque essai est une violation des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. Deuxièmement, il y a une distraction évidente avec la guerre en Ukraine, et c’est légitime. Les Européens, mais d’autres aussi, regardent davantage ce qui se passe en matière de sécurité en Europe que dans la péninsule coréenne et on le voit dans la couverture médiatique. La couverture médiatique aujourd’hui pour un essai balistique à longue portée n’a rien à voir avec celle en 2017 du principal essai à portée intercontinentale, au mois de novembre. Troisièmement, et c’est le plus gros problème, il y a une division de la communauté internationale. En mai 2022, la Chine et la Russie ont mis leur veto à un projet de résolution au Conseil de sécurité de l’ONU, condamnant et sanctionnant la Corée du Nord. C’était sans précédent : auparavant, la Chine et la Russie essayaient d’atténuer l’impact de la résolution et puis elles la votaient. Là, il y a eu un veto, donc la Corée du Nord profite de cette banalisation, de cette distraction et de cette division pour aller toujours plus loin et développer toujours plus vite son programme".
Faut-il s’en préoccuper ? Oui !
Et tout cela n’incite pas à la sérénité. Les nouvelles capacités techniques de la Corée du Nord et les marges de manœuvre générées par le contexte international placent le régime de Pyongyang dans une position très différente de ces dernières années. "Prenons un exemple concret", nous dit encore Antoine Bondaz, "que se passerait-il si demain des missiles conventionnels nord-coréens visent un ou deux sites industriels majeurs de production de semi-conducteurs en Corée du Sud ? Comment réagirait la communauté internationale, et surtout la Corée du Sud et les États-Unis, à un moment où les Nord-Coréens pourraient menacer, en cas de représailles sud-coréennes trop importantes, d’une escalade y compris potentiellement nucléaire ? Ce scénario, la Corée du Nord pourrait le mettre en œuvre alors qu’elle ne le pouvait pas il y a quelques années".
Ce jeudi, après ce nouveau tir de missile, les États-Unis ont, par communiqué, "condamné fermement" ce qu’ils appellent une "violation éhontée de plusieurs résolutions du Conseil de Sécurité des Nations unies, qui accroît inutilement les tensions et risque de déstabiliser la sécurité dans la région". La France quant à elle, par la voix d’une porte-parole du ministère des Affaires étrangères, condamne elle aussi "avec la plus grande fermeté" et réclame "une réponse ferme et unie de la communauté internationale".
Ces condamnations sont presque automatiques après les tirs de missiles, du moins de la part des puissances occidentales, et l’an dernier déjà (en février 2022), l’Union européenne avait demandé une "réponse unie".
Réclamer est une chose, obtenir en est une autre.