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Les très inquiétants tirs de missiles nord-coréens

Le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un participe à un défilé militaire célébrant le 75e anniversaire de la fondation de l’Armée populaire coréenne en février 2023.

© AFP – STAFP

Par Philippe Antoine

"Evacuez immédiatement et mettez-vous à l’abri !" Voilà le message plutôt effrayant qu’ont entendu ce matin un peu avant huit heures les résidents de l’île d’Hokkaido, au nord est de l’archipel japonais. Une alerte de courte durée, les autorités japonaises ayant rapidement reçu la confirmation que le missile ne tomberait pas sur leur territoire, mais ce nouveau tir de missile par la Corée du Nord n’est pas passé inaperçu, ce qui est d’ailleurs sans doute l’objectif. Car en réalisant de telles opérations, Pyongyang envoie clairement un message à différents niveaux.

Au cours des dix dernières années, le développement de l’arsenal balistique de la Corée du Nord s’est considérablement développé : "Dans cet arsenal, il y a deux choses" détaille Antoine Bondaz chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et spécialiste des matières de politique étrangère et de sécurité de la Chine, de Taïwan et des deux Corées, "il y a d’abord une diversification du type de missiles développés, avec une allonge de certains missiles, pour obtenir une portée considérablement accrue, grâce au développement de missiles à portée intermédiaire et de missiles à portée intercontinentale, comme celui qui a été testé aujourd’hui et puis de l’autre côté, il y a des nouvelles technologies qui sont utilisées notamment en matière de propulsion solide et aussi en matière de trajectoire, c’est-à-dire que sur les missiles à courte portée, on est sur des missiles à combustion solide (un type d’engin facile à entreposer et transporter, dont le lancement ne nécessite quasiment aucun délai de préparation, ndlr) et aussi sur des missiles dont les trajectoires peuvent être dégradées ou manoeuvrantes, et cela avec deux objectifs : c’est d’accroître la précision des missiles et ensuite d’être capable de pénétrer les systèmes de défense antimissiles adverses".

Multiplication et dispersion

L’actuel dictateur nord coréen n’est pas le premier à procéder à des essais de missiles. Mais depuis son arrivée au pouvoir en décembre 2011, le rythme s’est accéléré. Si l’on prend toute la durée du règne de Kim Il Song et Kim Jong-Il, le grand-père et le père de Kim Jong Un, on estime qu’il y a eu environ une trentaine d’essais balistiques. Si l’on compare avec l’année 2022, King Jong Un en a fait réaliser entre 80 et 90, autrement dit deux à trois fois plus.

Mais il n’y a pas que la multiplication des essais pour développer l’arsenal balistique, il y a aussi sa dispersion : "Les missiles ont été répartis et peuvent désormais être tirés sur l’ensemble du territoire" explique Antoine Bondaz, "alors qu’auparavant, on était sur des essais de développement, et qu’il y avait en gros deux sites à partir desquels des missiles pouvaient être tirés".

Ces dernières années, Kim Jong Un a fait tester des tirs de missiles depuis plus de trente sites différents : "Il est important de signaler que ce ne sont pas que des sites techniques" ajoute le chercheur français, "cela peut être des bases militaires, mais aussi des aéroports ou même une autoroute. Et le message envoyé aux États-Unis et la Corée du Sud, c’est qu’il n’est plus possible, aujourd’hui, de neutraliser l’arsenal tant il est dispersé sur tout le territoire".

© AFP or licensors

Objectif ? Démontrer sa crédibilité !

Pour Antoine Bondaz, l’objectif de Kim Jong Un n’est plus simplement de développer des nouveaux missiles mais également de tester les capacités opérationnelles des forces armées nord-coréennes. "On ne teste plus simplement les capacités techniques du missile" explique-t-il, "on teste les capacités opérationnelles des unités, et c’est fondamental : si vous voulez être crédible, si vous voulez avoir des capacités de dissuasion, il ne suffit pas d’avoir des missiles, il faut aussi démontrer que vos unités sont capables de les utiliser ".

Lors du dernier test de longue portée qui a eu lieu il y a quelques semaines, en mars, la mise en scène communiquée par le régime était primordiale, à savoir le fait que Kim Jong Un avait demandé un lancement le matin et qu’il avait été réalisé dans la journée. "Le message de la Corée du Nord", analyse Antoine Bondaz, "est donc de dire que l’on n’est pas sur un exercice planifié à l’avance, on demande la réactivité extrêmement forte des unités nord-coréennes, ce qui se passerait en cas de guerre.

On veut le montrer aux adversaires potentiels, donc évidemment à la Corée du Sud, au Japon, et en toile de fond, bien sûr aux Américains. C’est à eux qu’est adressé le message des missiles à portée intercontinentale, mais les essais de missile à courte portée peuvent aussi s’adresser à Washington, parce qu’il y a des bases américaines sur le territoire sud-coréen, avec environ 29.000 soldats américains".

Le chercheur de la Fondation pour la recherche stratégique y voit aussi ce qu’il appelle un effet de découplage : "Il s’agit de faire douter les Sud-Coréens des garanties de sécurité américaines en envoyant ce message : êtes-vous sûrs que les Américains vous défendront si eux aussi peuvent être menacés ? Si Los Angeles est menacée parce que Séoul est attaquée, les États-Unis vont-ils vraiment intervenir ? Sont-ils prêts à perdre Los Angeles pour Séoul ? C’est un classique qui était utilisé pendant la guerre froide mais l’objectif est de fragiliser l’alliance entre la Corée du Sud et les États-Unis".

Comment font les Nord-Coréens pour fabriquer leurs missiles ?

La Corée du Nord fait depuis longtemps l’objet de sanctions internationales. Outre l’interdiction d’exporter et d’importer des articles de luxe, les premières sanctions, décidées en 2006, comportaient un embargo sur les armes et surtout une interdiction frappant une série d’importations et d’exportations susceptibles de contribuer aux programmes de la Corée en rapport avec les armes nucléaires, les missiles balistiques ou d’autres armes de destruction massive. Entretemps, la liste des sanctions s’est allongée. Mais cela n’a visiblement pas empêché la Corée du Nord de faire d’impressionnants progrès dans le domaine des missiles. "Premièrement" explique Antoine Bondaz, "les Nord-Coréens ont des capacités propres. La Corée du Nord a un éco-système sur les questions nucléaires et balistiques avec des scientifiques qui depuis des décennies travaillent sur le sujet. Certains ont d’ailleurs en partie été formés à l’étranger à l’époque où il n’y avait pas encore de sanctions. Deuxièmement, c’est un choix et un arbitrage économique. La Corée du Nord décide de mettre des moyens considérables sur ce développement balistique, au détriment d’autres développements, que ce soit le développement militaire ou le développement économique, parce qu’elle considère que c’est une priorité pour la sécurité du régime. Troisièmement, la Corée du Nord contourne les sanctions internationales qui normalement l’empêchent de coopérer avec d’autres pays sur ces questions mais qui limitent aussi les devises étrangères du régime qui pourraient être utilisées pour acheter des composants ou des technologies à l’étranger. Et enfin, il y a toujours cette question de l’aide potentiellement extérieure, d’autres états et souvent, l’on se pose des questions sur certaines technologies qui ressemblent à des technologies russes ou chinoises : est-ce une prolifération d’un Etat vers un autre ? Est-ce le fait d’un réseau criminel dans ces pays vers la Corée du Nord ? Ces questions-là se posent, mais on n’a pas de réponse pour l’instant".

Face à ce constat, qui est évidemment inquiétant, quelle attitude devrait avoir la communauté internationale ? Selon Antoine Bondaz, la Corée du Nord bénéficie aujourd’hui de trois dynamiques : "Il y a d’abord une forme de banalisation" précise-t-il. "Il y a eu tellement d’essais ces dernières années qu’il n’y a plus forcément de réaction automatique alors même que chaque essai est une violation des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. Deuxièmement, il y a une distraction évidente avec la guerre en Ukraine, et c’est légitime. Les Européens, mais d’autres aussi, regardent davantage ce qui se passe en matière de sécurité en Europe que dans la péninsule coréenne et on le voit dans la couverture médiatique. La couverture médiatique aujourd’hui pour un essai balistique à longue portée n’a rien à voir avec celle en 2017 du principal essai à portée intercontinentale, au mois de novembre. Troisièmement, et c’est le plus gros problème, il y a une division de la communauté internationale. En mai 2022, la Chine et la Russie ont mis leur veto à un projet de résolution au Conseil de sécurité de l’ONU, condamnant et sanctionnant la Corée du Nord. C’était sans précédent : auparavant, la Chine et la Russie essayaient d’atténuer l’impact de la résolution et puis elles la votaient. Là, il y a eu un veto, donc la Corée du Nord profite de cette banalisation, de cette distraction et de cette division pour aller toujours plus loin et développer toujours plus vite son programme".

Faut-il s’en préoccuper ? Oui !

Et tout cela n’incite pas à la sérénité. Les nouvelles capacités techniques de la Corée du Nord et les marges de manœuvre générées par le contexte international placent le régime de Pyongyang dans une position très différente de ces dernières années. "Prenons un exemple concret", nous dit encore Antoine Bondaz, "que se passerait-il si demain des missiles conventionnels nord-coréens visent un ou deux sites industriels majeurs de production de semi-conducteurs en Corée du Sud ? Comment réagirait la communauté internationale, et surtout la Corée du Sud et les États-Unis, à un moment où les Nord-Coréens pourraient menacer, en cas de représailles sud-coréennes trop importantes, d’une escalade y compris potentiellement nucléaire ? Ce scénario, la Corée du Nord pourrait le mettre en œuvre alors qu’elle ne le pouvait pas il y a quelques années".

Ce jeudi, après ce nouveau tir de missile, les États-Unis ont, par communiqué, "condamné fermement" ce qu’ils appellent une "violation éhontée de plusieurs résolutions du Conseil de Sécurité des Nations unies, qui accroît inutilement les tensions et risque de déstabiliser la sécurité dans la région". La France quant à elle, par la voix d’une porte-parole du ministère des Affaires étrangères, condamne elle aussi "avec la plus grande fermeté" et réclame "une réponse ferme et unie de la communauté internationale".

Ces condamnations sont presque automatiques après les tirs de missiles, du moins de la part des puissances occidentales, et l’an dernier déjà (en février 2022), l’Union européenne avait demandé une "réponse unie".

Réclamer est une chose, obtenir en est une autre.

Corée du Nord : nouveau tir de missile (Interview de A. Bondaz, chercheur français, Fondation pour la recherche stratégique - LP 13/04/23)

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