Cinéma

"L’Europe du cinéma", un essai qui retrace l’histoire et les synergies du cinéma européen

Le Fin Mot

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Par Eddy Caekelberghs via

A la veille de la clôture du Festival du cinéma de Cannes, Eddy Caekelberghs tente d’avoir Le Fin Mot sur l’Europe du cinéma avec José Moure et Vincent Amiel, qui publient une étude aux Impressions Nouvelles. Ils nous livrent à la fois le plaisir mais aussi une photo flash de ce cinéma européen qui dépasse naturellement les frontières nationales.

Première de couverture de l'essai "L'Europe du cinéma" publié au Impressions Nouvelles sous la direction de Vincent Amiel, Jose Moure, Benjamin Thomas et David Vasse.

Depuis longtemps, il existe une Europe du cinéma qui dépasse naturellement les frontières nationales : les échanges technologiques, économiques, mais aussi artistiques ont produit des films, et parfois des courants entiers dont on peut dire qu’ils sont européens plutôt que nationaux. Le cinéma européen est presque une pratique naturelle mais peu consciente au sens où les espaces publiques et médiatiques en rendent peu compte. De ce constat est née chez les auteurs cette envie de faire un livre qui ressort cette identité européenne et qui au travers de diverses situations précisément documentées, montre la réalité de cette Europe du cinéma. Un cinéma avec une telle quantité d’échanges et une telle diversité d’échanges qu’il offre un écrin parfait aux collaborations créatives et ce beaucoup plus que d’autres activités humaines.

Pour lire un extrait du livre.

L’influence allemande et le "Réalisme poétique"

Les premiers signes d’une Europe du cinéma remontent aux années 30. A l’époque, les techniciens allemands et russes impriment leurs marques sur les productions des studios français. Les techniques allemandes vont profondément modifier la façon de faire un film, les manières de travailler. Ce mélange de culture artistique et technique va transformer la méthode de fabrication des films mais aussi son esthétique. On assiste au début des années 30 à un transfert, un échange culturel sur la manière d’appréhender le cinéma comme médium artistique et comme industrie.

Le principal apport est cette esthétique particulière amenée par les Allemands : le réalisme poétique. Cette nouvelle esthétique émerge après l’arrivée du cinéma parlant en France dans les années 30 et est influencée par l’expressionnisme allemand, école apparue dans les années 20. Ce réalisme poétique va arriver à son plein épanouissement à la fin des années 30 et va modifier la façon dont les cinéastes appréhendent la lumière, le cadre, les effets de noir et de blanc et le contraste dans leurs productions. Ce métissage va intensément nourrir le réalisme poétique français de la fin des années 30.

L’Allemagne est en avance sur son temps. Plus riche, mieux équipée, elle réalise des tournages qui rivalisent avec le Hollywood des années 20. Les grands cinéastes allemands, Fritz Lang, Ernst Lubitsch ou encore Georg Wilhelm Pabst réalisent des films qui sont au niveau de leurs homologues Américains et qui leur donnent accès à leurs studios. Le cinéma allemand est en avance techniquement et économiquement et ne manquera pas d’influencer le cinéma Hollywoodien de l’époque.

Photographie datée de l’année 1965 du réalisateur d’origine autrichienne Fritz Lang. Après la Première Guerre mondiale, en 1920, Lang s’installe à Berlin où il continue à réaliser des films, dont le plus célèbre est Metropolis (1926).
Photographie datée de l’année 1965 du réalisateur d’origine autrichienne Fritz Lang. Après la Première Guerre mondiale, en 1920, Lang s’installe à Berlin où il continue à réaliser des films, dont le plus célèbre est Metropolis (1926). © HO / AFP

L’échange franco-italien

Après la Seconde Guerre mondiale, le cinéma allemand est mis entre parenthèses. Ce sont les échanges France-Italie qui vont donner le "La" de cette Europe du cinéma. Le néoréalisme de l’école italienne trouve des correspondances avec le réalisme français et les échanges se créent. Les cinéastes français tournent en Italie et inversement, les acteurs voyagent entre les deux pays et les coproductions dans les années 50 et 60 se multiplient. De par ces coproductions, l’espace de réception des films double, le marché s’élargit. Ces échanges ont permis l’ouverture du cinéma à un public plus large et l’augmentation potentielle du nombre de spectateurs.

Pourtant le public n’a pas conscience qu’il voit se créer devant lui un cinéma européen. L’Europe du cinéma se fait naturellement sans volontarisme du public. Les années suivantes verront le territoire européen s’élargir : comme en tout temps à travers l’histoire de l’Europe, ses figures artistiques et créatives, et par conséquent les cinéastes, n’ont cessé de bouger et de traverser les frontières. C’est ce périmètre de création qui fait notamment la singularité de l’Europe.

Photo prise en 1947 à Paris qui montre l’actrice italienne Anna Magnani pendant le tournage de "La voix humaine" (Una voce umana), réalisé par Roberto Rossellini, cinéaste adepte de l’école du néoréalisme italien.
Photo prise en 1947 à Paris qui montre l’actrice italienne Anna Magnani pendant le tournage de "La voix humaine" (Una voce umana), réalisé par Roberto Rossellini, cinéaste adepte de l’école du néoréalisme italien. © AFP

La langue un frein à la diffusion européenne

Pourtant, les auteurs du livre soulèvent un paradoxe inhérent de cette Europe du cinéma, à savoir sa difficile réception en dehors des frontières nationales. Autant cette création européenne est naturelle et existe autant sa réception reste nationale. Aujourd’hui encore, les films ont du mal de sortir de leur sphère linguistique. A l’époque, cette entrave est majeure. Les films sortaient peu sous-titrés et le public n’était pas enclin à voir les films en version originale. Les très grands succès restaient donc nationaux et sortaient peu de leurs pays.

Regard vers l’avenir

Avec la fin du Festival de Cannes, l’on pourrait penser que les grands festivals internationaux contribuent à la construction du cinéma européen. Mais pour Vincent Amiel, les festivals favorisent plutôt la pérennité d’un cinéma d’auteur où certes, le cinéma européen occupe une bonne place, mais n’est pas l’objet défendu.

Aujourd’hui, José Moure et Vincent Amiel expriment leurs inquiétudes pour le cinéma européen. Face à l’avancement numérique et aux transferts qui sont en train de s’opérer dans l’industrie, L’Europe politique semble en retard dans la façon dont ses réglementations s’adaptent. Pour eux, une chose est certaine, l’Europe devra repenser différemment ses productions.

L'équipe du film "Le Couvent", en 1995 à Cannes. John Malkovich et Catherine Deneuve sont accompagnés du réalisateur portugais Manoel de Oliveira.
L'équipe du film "Le Couvent", en 1995 à Cannes. John Malkovich et Catherine Deneuve sont accompagnés du réalisateur portugais Manoel de Oliveira. © Tous droits réservés

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