La levée ou le partage des brevets sur le vaccin COVID, cela fait des mois qu’on en parle, même le président des Etats-Unis s’y est dit favorable et pourtant rien ne bouge vraiment jusqu’ici. Pourtant les inégalités vaccinales à l’échelle de la planète sont de plus en plus criantes. Déclic a essayé de comprendre les raisons du blocage.
Pour y voir clair nous avons contacté Mireille Buydens, spécialiste en droit des brevets à l’Uliège et à l'ULB. Elle n'est pas du tout surprise que ça n'avance pas : " Le problème c’est qu’il ne suffit pas de lever les brevets pour tout régler. Il faudrait, en plus, construire de nouvelles législations, agir au niveau européen… Et surtout il faudrait une volonté politique de fer, une volonté commune et solidaire, face aux géants pharmaceutique… " Et tout ça, ça manque beaucoup jusqu’ici.
Il existe déjà des outils législatifs pour les états
Si aujourd’hui une entreprise belge voulait produire un vaccin contre le COVID, par exemple sur base du brevet de Pfizer, elle devrait d’abord aller frapper à la porte de Pfizer pour lui demander une "licence volontaire". Cela signifie demander à pouvoir utiliser le brevet déposé par l’entreprise américaine pour son vaccin, contre rémunération.
Si Pfizer refuse cette " licence volontaire ", alors la Belgique pourrait – en vertu de règles qui émanent de l’OMC – imposer à Pfizer de partager son brevet via ce qu'on appelle une " licence obligatoire ". Mais cette option est très théorique. Il est, en effet, difficile aujourd’hui d’imaginer la petite Belgique, seule, entamer un tel bras de fer avec les géants de l’industrie pharma alors qu’elle fait tout, jusqu’ici, pour les attirer sur son sol, pour bénéficier de ses investissements en recherche et de ses emplois.
Le brevet n’est pas tout… loin de là
En outre, obtenir le brevet ne suffirait pas encore pour produire effectivement le vaccin, car le brevet ne dit pas tout sur la façon de fabriquer un traitement. Quand bien même une entreprise comme Pfizer ou Moderna aurait été contrainte de partager son brevet, elle ne serait pas obligée pour autant de partager son savoir faire et ses données cliniques, deux éléments pourtant essentiels.
Pour pouvoir mettre un traitement sur le marché, il faut obtenir une autorisation de l’EMA (l’Agence Européenne du Médicament). Or, sans données d’essais cliniques, impossible de l’obtenir. Une entreprise qui aurait obtenu le partage du brevet devrait donc refaire ses propres essais cliniques pour faire valider son vaccin, ce qui retarderait la possible mise sur le marché d’un an, au moins.
Mais là aussi les états pourraient agir, selon Mireille Buydens : " Ils pourraient construire des mécanismes de "licence obligatoire de Savoir-faire", imposer aussi à une entreprise de partager ses données cliniques. La Belgique pourrait le faire si elle le voulait... Mais il y a peu de chance qu’elle veuille monter seule au front face aux Big-pharma ".
Des entreprises multinationales face à des états divisés
C’est l’enjeu de fond derrière les aspects juridiques et techniques du partage des brevets. Aujourd’hui, les entreprises pharmaceutiques sont organisées à l’échelle mondiale et peuvent se permettre de mettre en concurrence des états divisés. Or ici, il s’agirait pratiquement de changer le paradigme de fonctionnement du marché mondial des médicaments. Cela ne pourrait se faire que si les Etats agissent de manière solidaire et concertée. " Au moins au niveau européen ", précise encore Mireille Buydens. Mais on en est très loin. Il suffit pour s'en convaincre de constater que le pays qui pèse le plus au niveau européen aujourd’hui, l’Allemagne, est toujours fermement opposée à cette levée des brevets.
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