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L’ex-otage Ingrid Betancourt à propos d’Olivier Vandecasteele détenu en Iran : "Que l’on paye sa libération !"

Ingrid Betancourt, ancienne otage des FARC et candidate à la présidentielle en Colombie.

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"Tout ça doit être traduit devant la Cour pénale internationale !", s’insurge l’ex-sénatrice franco-colombienne Ingrid Betancourt, ex-otage des FARC en Colombie, en apprenant les peines à l’encontre d’Olivier Vandecasteele, le travailleur humanitaire belge détenu depuis bientôt un an à Téhéran.

"Je porte en moi la douleur infinie d’Olivier Vandecasteele, dans ce que je conçois être un état terroriste et aussi l’angoisse et la douleur que vit sa famille, ne sachant pas ce qu’il faut faire. Annoncer qu’il va être fouetté en plus de la condamnation à de la peine de prison ! C’est une torture morale".

Téhéran a détaillé les peines. Selon les différentes sources, Olivier Vandecasteele écope d’une peine de 12 ans et demi à 28 ans de prison, sur une condamnation totale de 40 ans, assorti d’une amende d’un million de dollars et de 74 coups de fouet. Le Belge a été reconnu coupable de 4 chefs d’accusations : espionnage, coopération avec le gouvernement américain, contrebande de devises pour 500.000 dollars et blanchiment d’argent.

L’annonce froide de ces peines est probablement une manière pour Téhéran d’accentuer la pression sur la Belgique pour libérer Assadollah Assadi, un Iranien condamné en Belgique à 20 ans de prison pour terrorisme.

Pour les autorités belges, Olivier Vandecasteele est innocent et doit être libéré. Les affaires étrangères disent n’avoir pas reçu officiellement les charges retenues contre lui. La ministre Hadja Lahbib a convoqué l’ambassadeur iranien en Belgique.

 

Le gouvernement belge adopte une attitude de faiblesse et de lâcheté

Comment faire pour libérer Olivier Vandecasteele ? "Je trouve que le gouvernement belge adopte une attitude de faiblesse et de lâcheté, face à un régime violent", lance Ingrid Betancourt. "Il ne se mouille pas, il ne prend pas parti".

Pour tenter de libérer Olivier Vandecasteele, le gouvernement belge a proposé une solution juridique. La Belgique a négocié avec l’Iran un traité de transfèrement qui permettrait d’échanger sur base légale des prisonniers entre les deux pays. Théoriquement, échanger Olivier Vandecasteele contre Assadollah Assadi. Le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne a déposé en urgence le 29 juin, le projet de loi au parlement. Elle a été votée le 21 juillet.

"Il est beaucoup plus facile de transmettre le problème à la justice, que de prendre en main la négociation de la liberté d’Olivier Vandecasteele avec le régime iranien", critique encore Ingrid Betancourt avant d’ajouter, "il y a d’autres moyens de négociations, comme envisager le prix de sa libération. Que l’on paye sa libération ! Je préfère qu’on donne de l’argent au gouvernement iranien, plutôt qu’on libère un terroriste qui risque de commettre d’autres attentats".

Ingrid Betancourt, elle-même otage pendant six ans des FARC (guérilla marxiste) dans le sud de la Colombie, a pu être libérée en 2008 avec trois Américains et onze militaires colombiens, grâce à une opération d’infiltration de l’armée colombienne "soigneusement planifiée".

Les gouvernements français – sous la présidence de Nicolas Sarkozy – et américain, ont-ils payé une rançon ? "La France a mis la pression sur le gouvernement colombien pour qu’il agisse", a simplement expliqué l’ex-otage franco-colombienne, évasive sur le sujet. Selon plusieurs sources, des dirigeants des FARC ont touché près de 20 millions de dollars. La libération des otages, sans heurts, sans coups de feu, n’aurait été qu’une mise en scène pour éviter d’afficher le deal.

Cependant, dans le cas d’Olivier Vandecasteele, pas sûr que les autorités iraniennes accepteraient ce genre de deal. Téhéran veut, avant tout, le retour d’Assadi en Iran.

Conférence de presse organisée par le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), le 10 janvier 2022 au Brussels Press Club à Bruxelles.
Conférence de presse organisée par le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), le 10 janvier 2022 au Brussels Press Club à Bruxelles. © Tous droits réservés

J’aurais pu être tuée ce jour-là

Ingrid Betancourt s’est beaucoup impliquée aux côtés du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) pour appeler à la révocation du traité belge sur le transfèrement. "Nous ne devons pas céder aux chantages d’un Etat terroriste", explique-t-elle. "L’Iran n’a pas les mêmes règles qu’un pays démocratique. Ça l’encouragera à poursuivre sa politique d’otages et à commettre des violences".

Le traité sur le transfèrement a été suspendu en décembre par la Cour constitutionnelle à la suite de nombreux recours d’opposants iraniens en exil, notamment du CNRI qui craint une possible grâce d’Assadollah Assadi, une fois remis à Téhéran. La décision de justice définitive devrait tomber en février.

Pourquoi la franco-colombienne est-elle à ce point impliquée aux côtés du CNRI ?

C’est parce qu’elle aurait pu être une victime d’Assadollah Assadi. L’Iranien projetait un attentat qui devait viser un grand rassemblement annuel du CNRI, le 30 juin 2018, à Villepinte, près de Paris, auquel Ingrid Betancourt participait. "J’étais en première ligne. J’aurais pu être tuée ce jour-là, comme beaucoup d’autres personnes", se souvient-elle.

La franco-colombienne s’était aussi constituée partie civile dans le procès en Belgique d’Assadollah Assadi.

Le CNRI doit jouer un rôle dans la transition politique en Iran

"Le CNRI doit jouer un rôle dans la transition politique en Iran", affirme Ingrid Betancourt.

La franco-iranienne est un grand soutien du CNRI dans son opposition au régime iranien. "Je soutiens cette organisation de résistance, parce qu’elle est dirigée par une femme musulmane (Maryam Radjavi, ndlr) qui défend les droits des femmes, les valeurs démocratiques et la sécularisation de l’Etat iranien. Malheureusement, cette organisation a longtemps été considérée comme une organisation terroriste (par les Etats-Unis, le Canada et l’Union européenne, ndlr). Or je connais très bien ce qu’est une organisation terroriste. Ce n'en est pas une. Le CNRI a été réhabilité mais le mal est fait", explique-t-elle.

Ingrid Betancourt s’exprimait mardi, lors d’une conférence de presse organisée par le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), en présence d’Alejo Vidal Quadras et Struan Stevenson, deux anciens membres du Parlement européen (1999-2014). Tous les trois estiment que le CNRI est l’organisation la plus légitime pour assurer une transition politique en Iran, une fois le régime tombé.

Une jeune femme kurde a interpellé les intervenants lors de la Conférence de presse organisée par le CNRI, le 10 janvier 2022, au Brussels Press Club.
Une jeune femme kurde a interpellé les intervenants lors de la Conférence de presse organisée par le CNRI, le 10 janvier 2022, au Brussels Press Club. © Tous droits réservés

Le CNRI est rejeté par une majorité d’Iraniens

"Le CNRI ne jouera aucun rôle dans la transition politique de l’Iran, parce qu’il est rejeté par une majorité d’Iraniens", s’est exclamé une jeune femme kurde qui s’est levée dans l’assistance, au moment de poser des questions. "Le CNRI promeut une idéologie islamiste, et je ne pense pas qu’après 40 ans de régime islamiste, les Iraniens en voudront encore".

De fait, le CNRI est loin de plaire à tous les opposants Iraniens.

Ce conseil est une coalition d’opposants dont la principale composante est l’Organisation des Moudjahidines du peuple iranien (OMPI-MEK), au passé sulfureux. Elle est contrainte à l’exil, car pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988), l’OMPI a trouvé refuge, argent, soutien et armes auprès de Saddam Hussein, pour lequel les Moudjahidines ont créé une véritable armée - l’Armée de libération nationale (ALN) – qui a servi lors d’offensives irakiennes en territoire iranien, contre les soulèvements kurde et chiite en 1991.

Beaucoup d’Iraniens s’en souviennent comme un acte de traîtrise. Beaucoup ne leur ont pas pardonné.

Aujourd’hui, les militants de l’OPMI affirment avoir déposé les armes et travailler au renversement du régime islamique par des moyens pacifiques. Leurs moyens financiers leur permettent d’être très actifs à travers le monde, dans leur résistance au régime iranien.

D’aucuns s’étonnent cependant de voir autant d’intervenants occidentaux aussi prestigieux que Mike Pompeo, l’ancien Secrétaire d’État des États-Unis sous Donald Trump, Stephen Harper, l’ancien Premier ministre canadien (2006-2015) ou encore Guy Verhofstadt, l’eurodéputé et ancien Premier ministre belge (1999-2008), s’exprimer à la tribune des nombreuses conférences du CNRI à travers le monde, pour défendre les valeurs de cette organisation… alors que ces valeurs ne font pas l’unanimité en Iran.

Lien >> https://www.rtbf.be/article/verhofstadt-pompeo-harper-leur-participation-aux-sommets-des-moudjahidines-du-peuple-iranien-pose-un-probleme-10842309

L’Iranien Assadollah Assadi a été condamné en Belgique à 20 ans de prison pour terrorisme.
L’Iranien Assadollah Assadi a été condamné en Belgique à 20 ans de prison pour terrorisme. © Tous droits réservés

Nous n’avons rien fait

Pour l’heure, "nous sommes tous coupables de faiblesse et de lâcheté face aux agissements du régime iranien", estime Ingrid Betancourt. "Nous n’avons rien fait, à part des déclarations devant la presse et convoquer des ambassadeurs".

Pour la franco-colombienne et les autres intervenants de la Conférence de presse, il faudrait isoler le régime iranien sur le plan diplomatique, politique et financier, dans le but de le faire tomber. "Les pays européens devraient imposer la fermeture des ambassades iraniennes et réfléchir à d’autres sanctions économiques visant le régime", suggère Ingrid Betancourt.

La sentence d’Olivier Vandecasteele tombe alors que le régime iranien exécute des manifestants par pendaison, en laissant leurs corps inanimés suspendus à la vue de tous. Objectif, faire régner la peur pour pousser les contestataires à ne plus descendre dans la rue, après plusieurs mois de mouvements anti-régime, depuis la mort de Masha Amini. Pour Téhéran, la répression dans le sang est la meilleure façon de garder le pouvoir. L’ayatollah Ali Khamenei a prévenu, il n’a aucune intention d’adoucir sa répression.

Olivier Vandecasteele n'est pas un cas isolé. Plusieurs européens dont sept français sont détenus arbitrairement en Iran.

Au sein de l’UE on discute d’un quatrième cycle de sanctions contre Téhéran pour sa répression des manifestations ainsi que pour ses livraisons d’armes à la Russie. Des pays membres ont appelé à classer les Gardiens de la révolution iranienne comme "organisation terroriste". L’Allemagne y est favorable. La France reste prudente mais "n’est pas fermée à l’idée". Quant à la Grande-Bretagne, elle devrait prendre une décision en ce sens dans les prochaines semaines, imitant les Etats-Unis.

"Nous devons tous être unis en Europe, face au régime iranien", insiste Ingrid Betancourt.

Interview de Ingrid Betancourt sur la condamnation du belge Olivier Vandecasteele, en Iran, à 12,5 ans de prison et à 74 coups de fouet (La Première, 10/01/2022)

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